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LE DESERT DES BARBARES : Les enfants dans le chaos

J'ai pleinement conscience que le chaos que j'entrevois atteindra les enfants, des milliards d'enfants.

Je ne suis pas indifférent à l'immense détresse que ça provoquera.

Je suis deux fois grand-père. Qu'adviendra-t-il pour ces deux petits ?

Dans l'écriture de la tétralogie, je l'ai mis en scène. 

 

 

LE DESERT DES BARBARES

CHAPITRE 45

« Pire qu'en 2002, pire qu'en 2014. »

Tout le groupe était réuni dans la grande salle à manger de la maison de Sophie et de Tristan. Ils avaient décidé d'un repas commun. Ils entendaient la pluie tambouriner sur le toit.

« C'est certain, Didier, on est bien au-dessus de ces années-là.

- Onze jours de déluge, tu imagines à Alès ?

- J'ai connu les deux inondations précédentes, le quartier du Pré-Saint-Jean et celui du Moulinet, deux-cents millimètres d'eau en six heures. Et là, ça fait onze jours que ça tombe. Je pense que toute la vallée est sous les eaux.

- Les anciens l'ont toujours dit. Construire comme ça en fond de vallée, c'est criminel. Tout est bétonné, les forêts rasées, les haies détruites, du goudron partout, les cours d'eau ne sont plus curés depuis des lustres, il n'y a plus de zones humides pour éponger, et c'est partout pareil. Enfin, bon, tout ça, on le sait.

- Ouais et c'est pour ça que j'ai toujours vécu en hauteur, expliqua Didier.

- Vous imaginez, intervint Sophie, si ce déluge, c'est sur toute la France, toute l'Europe ou même la planète entière ? Vous voyez à quoi je pense ? Vous n'avez pas un peu l'impression que ça fait beaucoup d’événements naturels ?

- La nature, la Terre, Gaïa ?

- Oui, Tristan. Une vague impression de quelque chose qui nous dépasse totalement. Comme une intention.

- Terrain glissant, tout ça, s’immisça Moussad. On entre dans la croyance et tu peux être certaine que des tas de sectes et de gourous ont saisi l'occasion pour prendre la parole et si l'humanité est en roue libre, certains voudront prendre le guidon. Et tout ce qui relève du paranormal sera du pain béni.

- Oui, tu as raison, reprit Sophie. Mais c'est tellement stupéfiant. Nous, ici, comme la plupart des survivalistes, on imaginait que les humains seraient les déclencheurs et les seuls responsables du chaos, des troubles sociaux, économiques, des conflits internationaux, des crises financières, des éléments essentiellement issus des humains. On savait que le dérèglement climatique allait ajouter à tout ça, que ça compliquerait encore les choses et puis les crises énergétiques viendraient achever le travail, enfin, on avait tous des scénarios qui se tenaient plus ou moins, des enchaînements progressifs, des niveaux de gravité, des tentatives pour sauver les meubles. Mais là, c'est toute la maison qui brûle d'un coup, humanité et nature dans un même mouvement. C'est ça qui est stupéfiant.

- Comme si les deux étaient liées », intervint Kenza.

Et tout le monde la regarda.

« Je pense qu'on est plusieurs à le penser, intervint David qui se remettait doucement. Ça en devient biblique cette histoire, l'apocalypse de Saint-Jean. Il s'agit de savoir qui jouera le rôle du sauveur, qui viendra enchaîner Satan pour mille ans.

- J'espère bien que personne ne laissera un soi-disant sauveur nous voler notre liberté et le retour à un monde plus sain, s'immisça Emma. Parce que je ne sais pas si vous y avez songé ces jours-ci mais l'arrêt de toutes les industries, des avions, des exploitations minières, l'arrêt de milliards de voitures, elle doit se sentir respirer notre chère Gaïa.

- Pour l'instant, elle se montre plutôt revancharde.

- Oui, Tristan. C'est tout à fait ça. Comme si la dégringolade de l'humanité lui redonnait du poil de la bête ! lança Didier.

- Il reste à savoir jusqu'où elle a l'intention d'aller.

- Vous voyez la vitesse à laquelle vous avez validé l'idée d'une volonté, d'une conscience, d'une intelligence à la planète ? C'est fascinant comme une idée irrationnelle peut convaincre, s'amusa Anne. Et moi la première ! J'aime beaucoup l'idée que la Terre ait une conscience et qu'elle ait décidé de participer au nettoyage.

- Vous oubliez tous une chose, intervint Louna. Ma mère est morte.

- Et mes parents aussi », ajouta Martha.

Et le silence tomba sur l'assemblée comme une chape de honte.

Les regards qui se cherchent comme dans l'attente d'une parole.

« Oui, vous avez raison toutes les deux. Et nous sommes tous désolés de la violence de nos propos, exprima Sophie. Nous nous sommes laissés emporter par ce moment convivial et nous n'avons pas mesuré nos paroles. Ça n'arrivera plus.

- Il y a sûrement aussi le fait que notre situation au regard de celle des zones urbaines nous prouvent combien nous avions raison, et ça nous donne une espèce de joie, de satisfaction personnelle, ajouta Tristan. Mais ça ne nous donne aucunement le droit d'oublier votre douleur à toutes les deux. »

Louna esquissa un sourire et prit la main de Martha, assise à ses côtés.

« Vous n'y êtes pour rien dans la mort de papa, maman. Et moi, je vous aime beaucoup. Parfois, je pense à ce monde, maintenant, je vous ai entendu parfois, c'est quoi mon avenir, papa et maman sont morts et moi je deviens quoi ? C'est quoi ma vie maintenant ? Je voulais voyager, je voulais voir les girafes en Afrique. L'école, mes copines, mes cours de piano, mes chiens, j'ai plus rien de tout ça. Vous, vous êtes heureux parce que vous avez réussi à bien vous préparer et même à vous défendre. Alors, c'est ça ma vie maintenant ? Pas du piano mais apprendre à tirer avec une arme à feu ? C'est ça le nouveau monde ? Je ne sais pas si vous imaginez pour moi ? Je ne veux pas vous faire de peine, je comprends que vous soyez heureux de votre réussite mais moi, c'est pas ce monde-là que je voulais connaître. »

Louna vit les larmes qui coulaient sur les joues de l'enfant. Tous la regardèrent se lever et personne ne trouva les mots.

« Je vais aller dormir et vous laisser discuter de votre monde. Mais je vous aime beaucoup quand même. »

Elle balaya l'assemblée de ses yeux tristes. Elle posa un baiser dans sa paume et souffla dessus.

Et ce fut comme si les mots de Martha volaient dans les airs, glissaient contre les murs, flottaient sous le plafond, ruisselaient dans les esprits, comme des effluves âcres, entêtants, insoumis.

Ils avaient ignoré Martha, ils l'avaient reléguée en arrière-plan. Ils s'étaient contenté de laisser Louna jouer un rôle de grande sœur, unies par leur deuil. Et à Tian de veiller sur elles deux.

Ils vivaient depuis trop longtemps dans l'attente du grand chambardement pour avoir encore accès à l'émotion d'une enfant, depuis trop longtemps dans une projection future pour saisir la réalité de l'instant et ils comprirent tous à quel point leur sensibilité, leur empathie, leur ouverture, tout ce qui contribue à élever l'humain avait été étouffé par l'immensité de leur projet et sa réalisation. Ils comprirent tous que cette quête de liberté avait cloisonné leurs cœurs.

Sophie se leva et quitta la pièce, les yeux baissés, sans un mot. Tristan vit qu'elle prenait la direction de la chambre de Martha.

 

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