Le jeûne thérapeutique. (santé) (2)

Pour guérir, jeûner en marchant

 

1er juin 2016 / Pascal Gémaud 
 

  

    
 

Pour guérir, jeûner en marchant

L’idée d’un jeûne alimentaire total provoque encore surprise et inquiétude. Il est pourtant un moyen de se réapproprier son corps comme de le purifier, explique l’auteur de cette tribune. Qui, souffrant d’une maladie chronique, a tenté l’expérience une semaine durant et en a été transformé.

Pascal Gémaud est titulaire d’un diplôme de Sciences-Po. Après six années d’un parcours médical infructueux pour soigner une maladie chronique, il s’est tourné vers le jeûne thérapeutique assorti d’activité physique, une semaine durant, en mars 2016.


« Le temps est un grand maigre. » C’est à cette phrase étrange de Balzac que j’ai pensé en scrutant ma silhouette amincie dans le miroir de la salle de bain, mes côtes bien saillantes, mes muscles presque atrophiés, mes cinq kilos en moins et mon visage moustachu, osseux et sec comme la face calleuse des paysans jadis.

Au septième jour de jeûne, le temps s’est comme allongé, et je bascule doucement vers un état de torpeur nonchalante. La délivrance n’est plus très loin.

Le jeûne ? Oui, le jeûne complet, l’arrêt total de l’alimentation sur une période de quelques jours. L’idée provoque souvent une sorte d’étonnement, teinté d’inquiétude. Moi-même, n’ayant jamais vraiment compris l’intérêt des régimes alimentaires — trop souvent associés à la perte de poids — je dois bien avouer que le jeûne d’une semaine me paraissait saugrenu, voire dangereux.

Maintenir le corps actif pour faciliter la détoxification 

Mais il y a parfois des circonstances qui nous obligent à revoir nos a priori. À 22 ans, comme venue de nulle part, j’ai développé une maladie chronique touchant le système digestif. De nos jours, la liste de ces maladies chroniques ne cesse de s’allonger — fibromyalgie, arthrite, cholestérol, maladie de Crohn, etc. À l’heure où celles-ci explosent au sein des populations occidentales, les sciences médicales ne parviennent plus à trouver des solutions durables aux patients.

Dans mon cas, la maladie a été diagnostiquée bénigne malgré la dégradation continue de ma qualité de vie. Pendant six ans, j’ai fréquenté le corps médical et enchaîné les examens. Rien n’y a fait : je me suis vu prescrire systématiquement des médicaments, allant des antalgiques et antispasmodiques jusqu’aux sinistres anxiolytiques et autres antidépresseurs. Ce que la médecine ne sait pas soigner, elle le met sur le compte du psychologique avec sa pharmacopée adaptée.

Seul face à cette maladie étrange, j’ai donc dû chercher hors de la médecine conventionnelle. C’est ainsi que j’ai découvert les différents régimes naturels existants, parmi lesquels le jeûne alimentaire, dont le réseau de pratiquants et accompagnateurs se développent en France.

Pour l’expérience, j’ai donc suivi une semaine de jeûne avec un groupe d’une quinzaine de personnes, à Léoux, dans la Drôme provençale, chez la famille Bölling, une famille allemande établie dans la région depuis 30 ans et pionnière de la pratique du jeûne associé à la randonnée en France depuis le début des années 1990. Car, en effet, selon la méthode Buchinger, pour bien jeûner il ne s’agit pas simplement de cesser de s’alimenter, il faut aussi maintenir le corps actif pour faciliter la détoxification, entretenir l’activité musculaire et respiratoire, et se vider l’esprit grâce à l’effort du corps et au contact avec la nature [1].

Reconsidérer la nourriture et la relation qu’on entretient avec elle 

Que dit un corps qui ne reçoit pas sa dose habituelle de nourriture ? Il panique un peu, certes, mais avec une préparation minimale, la peine est supportable. Elle est passagère surtout, et un corps sans nourriture est un corps qui vit, et qui vit même plutôt bien. C’est d’ailleurs un moment où, par une sorte de réflexe archaïque, le corps entreprend de se nettoyer, comme le fait depuis si longtemps le corps des mammifères, en particulier chez les adeptes de l’hibernation, ou bien encore comme chez l’emblématique manchot empereur, qui est capable de supporter un jeûne de plusieurs mois pendant la période de nidification.

Au matin du premier jour, le vrai, c’est-à-dire celui qui suit la purge, on ressent de légers vertiges, les gestes sont anormalement lents au réveil. On se lève en trois temps, comme un fiévreux, pour marcher doucement vers la bouilloire. De l’eau chaude dans un bol et on a déjà l’impression de déjeuner quelque chose. Et puis, à peine habillé, on se met en train, on marche vers la montagne, simplement, comme un troupeau, tantôt silencieux, tantôt bêlant, véhiculant nulle part et comme indéfiniment nos corps vides, seule façon peut-être d’oublier qu’on ne mangera pas aujourd’hui, seule façon de ne penser à rien, d’occuper son corps pour reposer son esprit.

Car, c’est aussi à cela que sert l’expérience du jeûne : faire une vraie pause, durant laquelle le corps et l’esprit se reconstituent. Il s’agit, en s’en privant, de reconsidérer la nourriture et la relation qu’on entretient avec elle. Jeûner relève probablement d’une hygiène comparable à ces sursauts d’écœurement qui nous font subitement éteindre la télévision, l’ordinateur, le téléphone, et nous enjoignent de quitter ce bruit de fond, lancinant, tout aussi excessif et indigeste, pour prendre le chemin des forêts, des grands espaces, de la nature sauvage.

Un corps tout neuf, un esprit plus frais, plus vif, plus serein 

L’expérience de la faim, qui peut être pénible psychologiquement par moment, est une expérience des limites, un moyen de faire l’examen de nos priorités. La reprise alimentaire constitue par ailleurs un chapitre très important dans l’aboutissement de l’expérience. À la fin de la semaine, nous rompons collectivement le jeûne autour d’une grande table en consommant des pruneaux trempés, une pomme de terre bouillie et des crudités râpés. Un festin qui fait saliver après cette semaine fatigante. Pourtant, de ce maigre repas, je n’en viendrai même pas à bout, rapidement rassasié par quelques bouchées. Mais quelques jours plus tard, j’ai la sensation surprenante d’avoir un corps tout neuf, un esprit plus frais, plus vif, plus serein. Et je me rends compte, deux mois après, de tout l’élan et de la force que m’a apporté cette semaine sans manger. Un regain de santé qui m’a naturellement incité à adopter un régime alimentaire plus sain, réduisant les protéines animales, le sucre raffiné, les laitages et tous les excitants (café, thé noir, alcool).

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Selon la méthode Buchinger, pour bien jeûner, il faut aussi maintenir le corps actif pour faciliter la détoxification, entretenir l’activité musculaire et respiratoire, et se vider l’esprit grâce à l’effort du corps et au contact avec la nature.

Jeûner est une expérience de réappropriation de son corps, malade ou pas, ouvrant la possibilité de retrouver sa place dans un monde étrange, permettant une rupture et une grande respiration vis-à-vis d’un quotidien étouffant, vaincre les angoisses, se purifier, se rasséréner, changer ses idées noires et même, peut-être, prendre un nouveau départ. Oui, tout cela, et peut-être même davantage, un antidote à bien des maux sûrement, et qu’il faudrait essayer, au moins une fois, au moins avant d’entrer dans la logique pernicieuse des béquilles médicamenteuses, de la vie sous perfusion, ou de la vie assistée par ordinateur que nous souhaitent tous les adeptes du transhumanisme.


[1] Il est à noter que quelques maladies comme la tuberculose pulmonaire ou le diabète de type 1 sont incompatibles avec la pratique du jeûne alimentaire — il faut bien se renseigner avant de commencer un jeûne.

 


Lire aussi : Qu’est-ce que le jeûne thérapeutique ?

 

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