Lettres aux écoles 8
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/04/2012
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"L'avenir de tout être humain, des jeunes comme des vieux, semble sombre et effrayant. La société elle-même est devenue dangereuse et totalement immorale. Quand un jeune affronte le monde, il est inquiet et plutôt effrayé par ce qui va lui arriver au cours de sa vie. Ses parents l'envoient à l'école puis, s'ils ont les moyens, à l'université et ils veulent qu'il trouve un travail, qu'il se marie, qu'il ait des enfants. Quelques années après leur naissance, les parents consacrent peu de temps à leurs enfants. Ils sont préoccupés par leurs propres problèmes et les enfants sont à la merci de leurs éducateurs qui eux-même ont besoin d'éducation. Ces derniers ont peut-être un excellent niveau d'études et ils veulent que leurs élèves acquièrent les meilleurs diplômes, que l'école ait la meilleure réputation. Cependant, les éducateurs ont leurs propres problèmes et à l'exception de quelques pays, leurs salaires sont plutôt bas et socialement, ils ne sont pas tenus en haute estime. Donc, ceux qui vont être éduqués connaissent des moments plutôt difficiles avec leurs parents, leurs éducateurs et leurs compagnons d'études. Ils sont déjà dans ce flot de lutte, d'angoisse, de peur et de compétition. C'est le monde qu'ils ont à affronter : un monde surpeuplé, sous-alimenté, un monde en guerre, un terrorisme grandissant, des gouvernements incompétents, la corruption et la menace de la pauvreté. Cette menace est moins évidente dans les sociétés d'abondance.
Voilà le monde que les jeunes doivent affronter et naturellement, ils ont vraiment peur. Ils pensent qu'ils doivent être libres, dégagés de toutes activités routinières, qu'ils ne doivent pas se laisser dominer par leurs aînés et ils refusent l'autorité. Pour eux, la liberté, c'est de choisir ce qu'ils veulent faire mais ils sont confus, incertains et ils aimeraient malgré tout qu'on leur montre ce qu'ils doivent faire.
Ainsi, l'étudiant est pris entre le désir de liberté et les exigences de la société qui le presse de se conformer à ses besoins à elle.
Voilà le monde qu'ils ont à affronter et auquel ils doivent s'intégrer au cours de leur éducation.
C'est un monde effrayant."
Krishnamurti.
Je rappelle que ce texte a été écrit en 1976...
Non seulement, rien n'a été fait pour améliorer la situation mais il est même évident que tout s'est aggravé.
Les "sociétés d'abondance" ne sont plus à l'abri de leur "croissance". L'économie ne peut plus valider la pression éducative parce que les perspectives d'avenir ne sont plus portées par cette fameuse évolution sociale. Le conditionnement de l'individu dans ce contexte prend désormais son vrai visage. Etant donné que les valeurs matérialistes ont perdu de leur aura, il ne reste rien. Et la perdition générale apparaît au grand jour.
La solution ne viendra pas des structures politiques étant donné que celles-ci tentent par tous les moyens de sauver l'ancien système. Le moi encapsulé. Le système économique impose un système éducatif, un système de pensées, un système familial, professionnel, un engagement complet de l'individu dans une voie de croissance économique. Mais pas de croissance spirituelle. Et le mot "spitiruel" continue à être perçu comme une dérive sectaire ou religieuse. La plupart des gens n'y voient que des connotations "New Age" ou de gourous infatués. La philosophie n'est pas une valeur marchande et la lucidité qu'elle préconise ne doit pas être mise en valeur. Sa pratique, cognitive, dans une classe de terminale ne met pas en péril le conditionnement. Il est déjà en place.
La crise n'est pas encore autre chose qu'une crise économique et sociale. Elle ne prendra sa vraie mesure qu'avec la prise de conscience de l'état intérieur des individus. Pour l'instant, les politiques, les économistes, les financiers, s'évertuent à placer des pansements sur les blessures. Les dégâts collatéraux d'ordre existentiel ne sont perçus qu'à travers la détresse sociale. Il n'est pas question de nier la gravité des faits. Il y a des millions d'exclus. Et quelques milliers de privilégiés qui vont oeuvrer au maintien de leurs privilèges. Tout ça n'est toujours qu'un état des lleux superficiel. Dans le sens de l'observation intérieure. C'est le changement de paradigme qu'il faut envisager. Il viendra de chaque individu et sûrement pas d'une structure étatique. Aucun état ne voudrait d'une Révolution spirituelle. Les candidats à la Présidence ne parle que de changements matérialistes. Aussi importants soient-ils au regard de ces millions d'exclus, ces changements ne représentent qu'une tentative de maintien du paradigme. Pour la raison évidente que ce maintien permet le maintien des privilèges.
Pour ce qui est de l'éducation nationale, il est évident qu'elle ne proposera jamais ce changement. Elle est au service de l'Etat et les "éducateurs" sont eux-mêmes les serviteurs. La pyramide est en place. Système féodal. Lorsque j'ai écrit au ministre, il y a de ça, une vingtaine d'années, j'ai été convoqué par l'inspecteur d'académie et "cassé". Blocage de salaire pendant sept ans. Il suffisait de ne pas venir m'inspecter. Je n'ai pas changé de point de vue pour autant. Et je sais même avec le recul combien j'avais raison. Je n'avais juste pas perçu totalement l'ampleur de la manipulation.
Il y a une chose qui m'interpelle dans le texte de Krishnamurti. A mon sens, ça n'est pas "le monde qui est effrayant." C'est l'état intérieur des individus qui le constituent. Un groupe n'existe pas pour lui-même. Il n'est que l'assemblage des individualités. Il conviendrait donc de dire plutôt que "les individus sont effrayants" et que l'assemblage de ces individualités forme un monde effrayant.
Plus effrayant encore est de considérer le fait que ces individus, une fois unifiés, n'existent plus individuellement. Là, on entre dans l'horreur.
Et lorsqu'un groupe existant dès lors par lui-même s'écroule, non seulement les individus perdent leurs repères, mais ils ne peuvent plus exister individuellement. C'est la que la "crise" prend toute son ampleur.
Oui, mais il y a les élections présidentielles qui viennent à point nommé pour rassembler et magnifier de nouveau les identifications. Et on repart pour un tour...Un petit tour...Tout petit...
Prise de conscience.
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