Marion Gervais a choisi de filmer Louis, jeune “chien fou” qui aime se mettre en danger, parce qu’ils partagent la même “quête d’intensité”. Leur rencontre illumine ce documentaire, à voir jeudi 4 juillet sur France 3.
La première fois que Marion Gervais a vu débarquer Louis, « avec sa bonne tête et ses grandes oreilles »,c’était au skatepark de Saint-Malo, où elle s’apprêtait à tourner La Belle Vie (2016) (on peut toujours en voir la version websérie, La Bande du skatepark). De la bande de gamins que ce joli portrait de groupe saisit à l’entrée de l’adolescence, quand pointe la question de savoir ce qu’on risque de perdre avec l’enfance, il était le plus grand et le plus sauvage. « Un chien fou, qui ne tenait pas en place du fait de son hyperactivité, et qui se mettait en danger en grimpant sur les toits, se souvient-elle. Sitôt le documentaire terminé, je n’avais qu’une idée en tête : filmer cet être désarmant d’humanité et de puissance de vie, comme on en croise rarement. »
C’est que Marion Gervais fonctionne aux coups de cœur. De sa rencontre avec une Bretonne de 24 ans qui déployait une énergie farouche pour vivre envers et contre tout de la culture de plantes aromatiques, elle a tiré Anaïs s’en va-t-en guerre(2013, en replay jusqu’au 12 juillet).
Le succès rencontré par le film via les réseaux sociaux exposa au grand jour la détermination de la jeune femme, révélant du même coup le talent de cette documentariste douée pour capter la fougue de la jeunesse et ses moments de grâce. Entre elle et ses protagonistes, dont elle tire des portraits empathiques, se devine une forme de cousinage qui explique son adresse – on ne saisit bien l’autre que lorsqu’on reconnaît en lui un peu de ce qu’on est et de ce qu’on a vécu.
“Je me retrouve dans sa quête éperdue d’intensité.”
La soif de liberté en partage
Après une enfance « cabossée » et une adolescence « douloureuse », Marion Gervais s’est fait la malle à 18 ans pour « inventer sa vie », seule à travers le monde, risquant sa peau du fleuve Niger à Venice Beach, où la mena une insatiable soif de liberté, qu’elle partage avec Louis. « Je me retrouve dans sa quête éperdue d’intensité. »
Mais si Marion est allée jusqu’en Inde et en Indonésie pour « prolonger cette expérience du voyage qui vous met à l’épreuve, vous déconstruit pour mieux vous reconstruire », Louis se contente de rêver à des virées lointaines avec un van et le surf qui lui permet de s’évader d’une existence trop étriquée.
A 18 ans, les actes de délinquance qu’il a commis pour de l’argent facile ont failli l’envoyer en prison ; et c’est au nom d’une prétendue sagesse qu’on entend aujourd’hui le convaincre de se conformer à ce qu’attend de lui l’entreprise Saint Maclou, où il est en apprentissage. « Courbe l’échine », lui serine sa tutrice, des sanglots dans la voix, lui confiant qu’elle aussi a été jeune, pleine d’une vie qui semble bien l’avoir quittée. La vie d’adulte passerait-elle par une forme de renoncement à soi ? Louis ne peut s’y résoudre et Marion capte magnifiquement le désarroi de ce jeune homme qui se débat pour ne pas sacrifier sa vie.
“Ses rêves l’ont aidé à tenir et à rester vivant.”
« Lui et moi avons survécu, résume Marion Gervais. Il a fait ce qu’il fallait pour ne pas mourir et il fait aujourd’hui ce qu’il faut pour se maintenir à flot. S’il veut accéder à la vie à laquelle il aspire, il ne doit pas se contenter du peu qu’il a. Ses rêves l’ont aidé à tenir et à rester vivant. Il doit en faire quelque chose pour ne pas, comme tant d’autres, se retrouver précisément à “courber l’échine”. » Parole d’une aînée qui a aussi tourné Louis dans la vie « pour qu’il s’appuie dessus ». « Car mes documentaires, explique-t-elle, se situent du côté de ce qui grandit, de cette capacité que nous avons à transformer notre existence. »
Les livres comme planche de salut
Le prochain est déjà en route, né lui aussi d’une rencontre avec un être singulier :Sarah Gysler (25 ans), dont le récit (Petite, paru l’année dernière aux Editions des équateurs) est celui d’une jeune fille qui s’est sauvée en se sauvant, en parcourant un monde dont elle a découvert qu’il n’était pas « que monstrueux ». « Elle est rentrée changée et elle a publié ce livre magnifique. »
Les livres, c’est grâce à eux que Marion Gervais a su garder le cap et la tête hors de l’eau au cours de ses errances. Ceux de Jack Kerouac, qui l’ont guidée jusqu’à Bixby Bridge et dans la cabane de Ferlinghetti, mais aussi à Big Sur et sur la tombe de l’écrivain, dans le Massachusetts. Les pieds plantés dans ses herbes aromatiques, Anaïs a découvert Walden ou la vie dans les bois, de Henry David Thoreau, et s’y est reconnue. Si Louis n’a pas, comme elles, accès aux livres, la force qui lui a permis d’essuyer des tempêtes où d’autres auraient fait naufrage le sauvera peut-être.
Cet été, Marion Gervais prend les commandes de son fourgon aménagé et filera à la rencontre de jeunes surfeurs nomades qu’elle prendra en photo, portée par cet appel du large qui, inlassablement, la guide."