Madame la Ministre

« Monsieur Ledru, expliquez-moi quelles sont les raisons qui vous amènent à vouloir démissionner ?

…..

-Vous êtes mariée, je crois Madame la Ministre ?

-Oui, effectivement.

-Et vous aimez votre mari.

-Oui, je vous remercie de ne pas avoir formulé une question.

-Je n’en avais aucun doute Madame la Ministre. Alors maintenant, essayez d’imaginer que vous soyez obligée de quitter cet homme que vous aimez. Rien n’a changé en vous quant aux sentiments mais les conditions mêmes de votre existence et toutes les interférences qui viennent s’installer entre vous et votre mari, tout ce sur quoi vous n’avez aucune emprise en est venu à vous mettre en danger. Vous savez que vous êtes en train de sombrer et que cette lutte est devenue absurde et dangereuse pour vous. Alors, vous avez deux solutions : soit vous partez pour vous sauver mais vous perdez cet amour, soit vous décidez de rester et de continuer à vous battre pour que ces conditions d’existence s’améliorent.

Si vous optez pour la deuxième solution, imaginez que vous avez une pelle dans les mains et que vous ayez pour mission de creuser un trou. Un trou parfaitement délimité, rectangulaire, d’une profondeur égale, vous n’aurez aucune liberté pour le tailler à votre envie mais vous accepterez la tâche. Et comme vous gardez en vous cet espoir d’un amour sauvé, vous allez donc vous montrer déterminée, appliquée, patiente, volontaire, opiniâtre. Vous éprouverez même parfois quelques bonheurs, une sorte de fierté, de contentement devant la précision de votre trou.

……

Mais vous aurez été tellement concentrée sur votre tâche que vous n’aurez pas vu que les conditions d’existence ne se sont absolument pas améliorées. Rien n’a changé malgré votre abnégation. Il est même probable que cette énergie que vous avez dépensée vous soit reprochée, comme si vous n’agissiez que pour votre bien-être.

Un jour, sans doute à la suite d’un problème inhabituel, vous arriverez à prendre un peu de recul. Peut-être même que vous arrêterez de creuser. Dans la lumière de cette situation, vous sentirez tomber sur vous des siècles de fatigue. Alors, vous lèverez les yeux et vous verrez que le rebord du trou est trop loin, que vous ne pouvez plus sortir, que vous avez tellement creusé que la surface du monde est devenue inaccessible.

C’est votre tombe.

 

Vous vouliez sauver votre amour et vous vous êtes détruite et tout ce que vous avez fait n’aura pas empêché que votre amour disparaisse mais en plus et c’est pire que tout, ces années que vous aurez passé à creuser votre tombe, vous aurez sali cet amour, vous aurez contribué à sa déchéance.

Voilà pourquoi je veux partir Madame la Ministre. »

 

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