MONO : "Hear the wind sing"
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/09/2025
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Je me doute bien que ça ne plaira pas à tout le monde. C'est particulier, je le conçois totalement.
Je peux l'écouter vingt fois de suite.
J'en ai besoin. Quand je cours, quand je pédale, quand je m'occupe du potager, du jardin, de planter des arbres, de fendre du bois, de tamiser une allée en graviers pour la remettre en état... J'ai besoin de ces musiques répétitives, de ces leit-motiv et de leurs crescendos et le groupe MONO est une référence dans ce domaine.
Je sais d'où vient ce goût profond pour ces musiques lancinantes et puissantes.
J'ai mis longtemps à en retrouver la source. Je veillais mon frère, dans sa chambre d'hôpital et il était entouré de machines dont les "bip, bip" rythmaient les heures. Et il m'arrivait de fabriquer intérieurement des mélodies qui se joignaient à ce tempo.
J'ai souvent regretté de ne pas avoir appris à jouer d'un instrument et de ne rien connaître au solfège mais je construis souvent des musiques dans ma tête et celles de MONO y ressemblent.
J'aime infiniment la puissance. Même si je sens qu'elle diminue en moi, ces musiques en réveillent les échos et je devine dans mon corps des mémoires enfouies qui se réjouissent. Il y a si longtemps aussi que j'écoute ce genre de musique qu'elles sont pour beaucoup associées à des moments forts, des moments inscrits, jusque dans mes chairs.
J'ai beaucoup écouté ces musiques quand j'étais cloué au lit et que personne ne pouvait me dire si j'en sortirai un jour, ni dans quel état. Ces mélodies répétitives, elles me nourrissaient, elles étaient des flux d'énergie qui coulaient en moi, des pentes enneigées, des sommets lumineux, des forêts immenses, des courses sur les chemins élevés.
J'aime infiniment le silence, c'est un besoin vital mais la musique l'est tout autant.
"JUSQU'AU BOUT"
Il sortit et reçut la lumière du soleil comme un don.
Il quitta son sous-pull. Son torse devait se nourrir des ondes divines. Il aurait aimé courir nu mais les esprits pervers n’auraient pas compris.
Il partit sur la route.
Dès les premières minutes, il chercha à se concentrer sur le rythme de ses foulées, la musique de son souffle et de ses pas, le tempo de son cœur, se coupant du monde extérieur, n’acceptant que les rayons solaires et la brise fraîche, sans objectif précis, il s’enfonça dans les forêts, traversa le plateau granitique de la Pierre Levée, suivit un temps le ruisseau du Ninian, rejoignit une route qu’il ne chercha pas à reconnaître, refusant de construire un parcours, limitant le travail de son esprit à la précision de ses gestes et quand il sentit que les muscles des jambes durcissaient, que le ventre et le dos supportaient de plus en plus difficilement les chocs répétés, il s’interdit de penser à un probable retour et, peu à peu, il sentit s’installer en lui la mécanique hypnotique de la course, s’engloutissant à l’intérieur de lui-même, insensible à toutes les sensations extérieures, ne vivant que dans l’infini profondeur de son propre abîme, il ne distingua de son corps que le passage rapide devant ses yeux d’un pied puis d’un autre, le premier disparaissant, immédiatement remplacé par le second et cela sans fin, et il trouva magnifique la mélodie répétitive de ses pas sur le corps de la Terre, comme des étreintes répétées, un don d’énergie partagée, il buvait à la source de vie et s’enivrait de jouissance, cette alternance rapide et saccadée et cette absence de volonté, le corps agissant indépendamment de tout contrôle, sans crainte et donc sans fatigue, le cerveau, submergé de douleurs ayant abandonné l’habitacle, s’évaporant dans un ailleurs sans nom, il la trouva magnifique cette musique en lui, chaque foulée se répercutant dans l’inextricable fouillis de ses fibres musculaires, dans les souffles puissants jaillissant de ses poumons vivants, comme une alarme infinie qui retentit, un appel à la vie, un cri de nouveau-né qui emplirait le ciel et gonflerait les nuages, ses perles de sueur comme des semences inondant la Terre, les râles de sa gorge comme des mots d’amour et il comprit pleinement, par-delà les pensées, que les poumons, le cœur, le sang et les cellules n’existaient que dans ces instants d’extrême exploitation, que les jours calmes étaient des jours morts, des jours sans éveil, des jours d’abandon et de faiblesse, des heures disparues dans le néant de la mort, des pourritures rongeant l’extase, des impuissances de verge éteinte, des mollesses de cadavres agités dans l’attente des vers, c’était inacceptable et il ne l’accepterait plus, sa vie devait être comme cette course, sans cassure, sans déchet, sans seconde évaporée, un cri de vie dans le silence des cimetières, une rage aimante comme un hommage, il plongerait son âme dans le calice du monde jusqu’à noyer les derniers résidus des morales apprises, il couvrirait la Terre de son corps embrasé, il emplirait le vide de son amour enflammé, il sentit les larmes couler, c’était si beau ce moment de vie, enfin la vie.
Il courut si longtemps qu’il ne sut pas quand il rentra."
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