Nu...
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/09/2014
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J'étais enfant.
J'aimais infiniment me baigner nu dans la mer. Sentir l'eau sur la totalité de mon corps, le soleil, le grain rugueux des rochers ou la chaleur du sable.
Et puis, un jour, je me suis dénudé dans les bois, loin des chemins, sous les frondaisons. J'ai marché sur les feuilles et je sentais les mousses épaisses. J'ai enlacé des troncs.
Je me souviens avoir pleuré. Comme si en moi coulaient les bonheurs des arbres, l'amour de la terre.
Adolescent, j'ai couru à ne plus avoir de souffle sans savoir où j'allais, comme empli d'une vitalié trop grande, j'ai senti les parfums des mousses, j'entendais le frémissement des feuilles qui croissent, le flux de la sève comme une semence verticale et la force en moi comme un magma qui cherche une issue.
J'ai aimé marcher nu dans la clarté des cieux étoilés, écouter la nuit qui respire.
Adulte, il m'est arrivé de marcher nu sur les crêtes des montagnes. Je me suis baigné très souvent dans les torrents et les lacs d'altitude, sous les cascades et les pluies d'été
Je n'ai jamais rien senti de plus beau qu'en étant nu sur la terre.
Sinon, les instants d'amour dans les bras de ma Belle.
Quand il n'y a plus rien d'autre que cette connexion à la vie, quand tout ce qui parasite l'émission vibratoire a été effacé.
Je sais infiniment, au plus profond de moi, ce que vit cette jeune fille.
"JUSQU AU BOUT"
EXTRAIT
"Il démarra et rejoignit le parking de la plage. Il regarda la montre du tableau de bord. 8h20.
« Alors là, c’est peut-être un peu trop tôt ! » se moqua-t-il à voix haute.
Il décida d’aller marcher sur la plage. Il escalada le cordon de dunes.
Le vent léger du large l’accueillit, apportant l’odeur piquante du sel, des algues, des particules d’eau sans cesses agitées, le parfum de l’immensité. Il contempla l’étendue et pensa que c’était l’amour qui s’ouvrait devant lui, la paix, la beauté simple et nue, des odeurs mêlées, un corps offert aux regards, juste aux regards, pour le plaisir des yeux, et puis surtout cette complicité silencieuse, l’inutilité des mots, le bonheur limpide d’être ensemble, juste ensemble, c’était beau, si beau et si tendre. Il enleva ses chaussures et descendit sur la plage et dans la pente il pensa que, comme lui à cet instant, tout descendait un jour à la mer, les glaciers et les ruisseaux, les rivières et les fleuves, les routes humaines et les chemins de forêts, tout aboutissait finalement dans ce grand corps accueillant et même si on restait au bord, même si on ne s’aventurait pas sur sa peau et qu’on restait assis contre ce ventre immense, on retrouvait déjà la paix de l’enfant contre sa mère. C’était ça la magie de l’océan…Un refuge offert à l’humanité entière.
Il se sentit fort et heureux. Il marcha sans penser, sur un rythme de houle, les pas dans le sable comme le parcours respectueux des doigts d’un homme sur un corps de femme, des gestes délicats, légers, effleurements subtils. Il n’aurait pas osé courir, il voulait juste que le sable le sente passer, délicatement. Il laissa une vague lécher ses pieds. Ce fut comme un salut matinal, un bonjour joyeux mais un peu endormi. L’eau se retira avec un sourire écumeux, des petites bulles d’air pleines de joies qui se dispersèrent dans le rouleau suivant. Il se demanda si l’océan avait pu ressentir ce contact. Est-ce qu’il percevait toute la vie qui l’habitait, les poissons amoureux, les coquillages multicolores, les baleines câlines, les dauphins joueurs, les algues dansantes ? Et les hommes, est-ce qu’il les ressentait comme des prédateurs impitoyables ou parfois aussi comme des êtres bons ? Il s’arrêta et regarda le large, lançant sur les horizons ouverts tout l’amour qu’il pouvait diffuser. Il se déshabilla et entra dans l’eau, juste quelques pas, sans atteindre le creux des rouleaux. Il s’allongea sur le dos et attendit la vague suivante. Elle le baigna soigneusement, glissant entre ses cuisses, passant sur ses épaules, jetant malicieusement quelques gouttes sur son ventre, il frissonna au premier contact puis s’abandonna à l’étreinte. Les yeux fermés.
Il se releva enfin et reprit son sac. Il resta nu et marcha les chevilles dans l’eau. Une trouée dans le ciel dispensa un souffle chaud qui descendit sur la plage comme une haleine solaire. Il s’arrêta et ouvrit la bouche, buvant les ondes célestes, inspirant à pleins poumons cette chaleur ténue mais pleine de promesses. Au large, des bandes bleues, luisantes de lumière, s’étaient peintes à la limite de la mer. Le vent de la marée montante rameutait vers la côte ces plages éclatantes comme autant de halos incandescents. Des crayons rectilignes, vastes torrents éblouissants, cascadant des altitudes éthérées, tombaient sur la mer enflammée. Il imagina les poissons remontés sous ces auréoles chaudes, jouant à la surface miroitante, frissonnant de bonheur sous leurs écailles.
Quand il s’arrêta, il s’aperçut que la courbure de la côte l’isolait de tout. Il ne voyait plus l’accès à la plage et devant lui, aucune zone habitée, ni même portant trace humaine, ne se dessinait. Cette solitude lui parut incroyable, presque irréelle. Le cordon de dunes le coupait de tous regards vers les terres. La mer était vide de toutes embarcations. Aucune trace dans le ciel du passage d’un avion. Seul au monde."
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