KUNDALINI (22)

Dans le film "21 nuits avec Pattie", le personnage de Karin Viard est une femme qui raconte ses expériences sexuelles avec une joie communicative :) Elle jouit, s'extasie, bénit le sexe et la fougue des hommes tout comme leurs fragilités. Il n'y a aucune scène de sexe mais tout est raconté avec une telle euphorie que les images nous sautent aux yeux et c'est une mise en scène totalement visuelle à travers la littérature, les mots et le jeu de l'actrice.

C'est remarquablement bien fait.

Ces échanges entre Karin Viard, amante libertine et insatiable et Isabelle Carré, mariée, mère au foyer et sans désir, conduisent peu à peu cette  femme, emplie de peurs et de retenue à se libérer de ses blocages. La nature, belle, sauvage, mystérieuse, induit des états de lâcher-prise, de confiance, d'exploration intérieure.

C'est là que je me suis retrouvé dans l'écriture de "KUNDALINI".

La nature génère la plénitude et cette plénitude est une invitation à l'exploration de l'espace intérieur. 

Je ne pense pas que la vie urbaine soit favorable à ce cheminement parce qu'il n'existe pas de silence dans l'espace urbain, ni le silence extérieur, ni celui nécessaire à l'émergence du travail spirituel. 

Le retour à la nature est un retour à soi et ce retour à soi est une invitation à la sensualité, à la sexualité, à la corporéité. Il existe dans la nature un "dénuement" social qui devient une invitation à la nudité, une nudité entière, non seulement physique mais émotionnelle, existentielle, spirituelle. 

Se baigner nu dans un lac de montagne totalement isolé après des heures de montée n'a rien d'une baignade à l'océan après quelques minutes de marche et entouré de milliers d'individus agités et bruyants...Pour être réellement "nu", il faut être seul sinon la présence des autres vous "habille" du lien social et vous détourne de l'exploration intérieure.

Je ne suis jamais seul puisque je vais Là-Haut avec Nathalie mais comme nous sommes engagés dans une voie personnelle, au coeur du couple, l'autre n'est pas une entrave mais un accompagnamement bienveillant. Et notre solitude partagée en devient lumineuse.

C'est vraiment cette dimension de "nudité entière" que j'ai cherché à décrire dans "KUNDALINI" et c'est ce rapport révélateur avec la nature qui en est le fil conducteur. 

Dans ce "dénuement extatique", l'individu découvre la liberté et c'est ce que raconte Karin Viard, avec ses mots, ses images, sa gouaille. Il n'y a plus rien de "cru" ou vulgaire, rien de pornographique mais simplement une totale liberté de paroles similaire à la liberté corporelle. Similaire également à cette sensation de bien-être générée par la nature. Il ne s'agit plus d'une nature "environnante" mais d'une nature intériorisée. 

Isabelle Carré quand elle s'allonge sur le tapis de mousse et s'endort retrouve ce contact intime avec le soi intérieur. Comme une matrice. 

La nature est un calice et s'y baigner est une bénédiction, un baptème sensuel, intégral, un produit révélateur dans une chambre close mais fabuleusement lumineuse. 

 

Kundalini

KUNDALINI

 

XVII

Une longue mélopée répétitive, un synthétiseur comme une houle, des carillons discrets, un violon, un leitmotiv au piano, des pas cristallins.

Elle le regarda évoluer. Des arabesques lentes. Il se déplaçait comme un félin, un Maître en arts amoureux, les yeux noirs scintillants de joie. Elle aimait son visage. Elle aimait son corps tout entier.

Et elle redécouvrait, là, dans une contemplation immobile, le bonheur de se sentir belle devant cet homme qui l’avait aimé si divinement.

Cette énergie qui palpitait dans son corps.

Incompréhensible.

Elle aurait déjà dû dormir, effondrée, vidée, abattue par les assauts orgasmiques et elle devinait pourtant en elle des forces inconnues, des éclosions permanentes.

Elle le contemplait. Des risées de clarté lunaire habillaient sa peau mate, des reflets qui dansaient avec lui.

Il avait fermé les yeux et ondulait dans une série de mouvements répétés, imperceptibles ou plus appuyés, des gestes gracieux, un équilibre mouvant. En accord avec la musique, totalement intégré en elle, absorbé.

La fluidité de ses gestes la fascinait. Elle eut peur un instant de lui paraître ridicule, de ne pas savoir bouger comme lui.

Peur d’elle-même.

Elle repensa aux étreintes qu’elle venait de vivre. Elle n’aurait jamais su les concevoir, ni même les imaginer, ni même penser qu’elles étaient possibles. Et puisqu’elle avait basculé dans cette dimension inconnue qui l’irradiait de bonheur, il aurait été absurde de présager de la suite.

Elle abandonna les peurs dans un rire intérieur et entra dans le cercle.

Premiers pas, incertains, le corps trop rigide.

Elle n’avait pas dansé depuis des années. Laurent n’aimait pas ça. Elle se fustigea intérieurement. Elle ne comprenait pas comment elle avait pu rester inerte et dépendante aussi longtemps. Combien de choses s’étaient-elles interdites ainsi ? Elle refusa le comptage et se concentra sur le rythme.

« Ne pas avoir peur des vagues. »

La voix de Sat en elle, comme un écho éternel.

Déplacements feutrés, hésitants, quelques instants d’incertitude, des regards vers son initiateur. Une gêne malgré ses yeux fermés, comme si sa présence suffisait à crisper son corps et elle sentait bien que c’était ridicule. Il avait vu d’elle ce qui ne se montre qu’aux gens qui vous aiment…C’était la femme ancienne qui se contractait, une femme bridée. Pas celle qui venait de jouir, pas celle qui avait goûté à ce plaisir ineffable de se découvrir. Elle savait ce qu’elle devait accomplir.

Se libérer des émotions anciennes.

Elle le savait. Entrer dans l’instant de l’équilibre des pierres. Le mental éteint, l’intuition aux manettes.

Laisser partir, ne rien attendre, ne rien vouloir, laisser partir.

Être là. Jusqu’à ne plus se regarder vivre soi-même mais devenir la vie en soi.

Danser, tourner, absorber la musique, elle aimait ces longues plages sonores, les battements lointains comme des cœurs apaisés.

Elle ouvrit la bouche quand son cœur accéléra. Danser, tourner, bouger, dans une totale absence aux autres, dans une totale présence à soi. Elle ferma les yeux.

Danser, danser…

Oublier les émotions figées, délaisser les entraves, se dénuder. Elle n’aurait jamais imaginé que la nudité puisse prendre une telle dimension. Elle se trouva ridicule d’avoir limité cette expérience à un scénario répété, limité, cartographié. Elle voulait désormais marcher nue dans les forêts, elle voulait jouir dans les tapis d’herbes, danser sous les étoiles, ouvrir son cœur, user de son corps, étendre son âme.

Elle voulait vivre, maintenant.

L’impression d’une âme ouvrant son cœur dans une gestuelle aimante.

Cœur, corps et âme. L’unité retrouvée, les trois Maîtres dans une danse commune.

L’impression d’une trinité divine, une présence.

Une présence déjà aperçue, effleurée, une vision éphémère.

Elle était là, tapie dans un recoin, un amour céleste, une énergie qui s’observe.

Laisser l’amour danser en elle.

Elle tourna sur elle-même dans une ronde hypnotique.

Le contact de l’air agité sur sa peau, entre ses cuisses, sur ses seins, dans son cou, sur ses mains, sur ses fesses, ce bonheur si doux du câlin, elle tournoya et fit jouer ses cheveux, les bras ouverts comme pour l’accueil d’un être aimé, un sourire à cœur déployé, paupières éteintes, les yeux retournés sur les espaces intérieurs, le pétillement de ses cellules, comme des bulles de limonade, le souffle affairé, respirations intensifiées, la musique dans sa tête, sous sa peau, dans ses fibres, un flux électrique qui l’irradiait et gonflait son énergie et le désir de tourner, de se cambrer, de se déhancher, de jouer avec son corps, de sentir poindre des chaleurs sensuelles, comme si l’air frissonnait contre sa peau, comme un amant invisible qui caresserait les territoires les plus secrets, elle s’efforça de se concentrer visuellement sur différentes zones, tous les sens affinés et en laissant le reste du corps s’étendre librement, mouvements d’épaules, flottements du bassin, les oscillations des fesses, les bascules latérales, rotations sur les chevilles, fléchissements des genoux, glissements des pieds sur la terre, des impulsions jaillissant de leurs antres, c’était comme une autopsie vivante, une capsule d’observation lancée dans les vaisseaux sanguins, une caméra mouvante reliée à son cerveau puis, peu à peu, elle se sentit réellement enlacée, enveloppée, comme insérée dans une matrice, enserrée dans les chaleurs, intégralement choyée, chaque fibre, la moindre parcelle de peau, caressée, effleurée, épanouie, ouverte, absorbant les tendresses sur son corps comme un air de jouvence, elle dansa à ne plus savoir qu’elle dansait, à ne plus être là sans jamais disparaître, et c’était comme une évaporation joyeuse dans un nuage stellaire, une dispersion moléculaire, la légèreté des rêves, une aura lumineuse qui vibrait sous les cieux, comme un parfum ondoyant, des volutes encensées de bonheur.

L’impression soudaine d’être un membre érigé dans un cocon féminin, de pénétrer l’air comme une verge dans un vagin, de caresser l’atmosphère comme une montagne en mouvance. L’image la stupéfia et elle l’accueillit comme un nectar, elle l’engloba sous ses paupières, l’ancra dans la mémoire de ses cellules, partout où elle devinait des points de contact, la douceur des parois utérines, la chaleur humide, le délice des frottements, elle effleurait l’air comme un pénis aimant.

Elle entendit dans l’obscurité de ses yeux fermés une accélération cardiaque, des percussions accompagnant la montée des violons, un synthétiseur s’amplifiant comme une érection sublime, une vague de plaisirs qui entraîna son corps dans des arabesques libres, l’impression d’une corolle ouverte buvant des lumières et les larmes coulèrent, les larmes chaudes des amours qui bouleversent, juste l’amour de tout, de là, de maintenant, de l’instant, l’amour des étoiles, l’amour de la Terre.

Les yeux fermés, il avait senti autour de lui des zébrures d’orages magnétiques, des ondes telluriques, des étincelles contre son enveloppe éthérique.

Il s’était arrêté.

Et maintenant, il la contemplait.

Elle dansait dans l’amour et son aura crépitait de plaisir.

Il ne dit rien.

Elle ondoyait lentement, le visage extasié, les bras soulevés par des courants intérieurs, bercés par les risées tièdes, envahie, envoûtée, libre dans l’air.

Il le savait. Elle était au-delà du connu. Au-delà des émotions antiques, projetée dans un instant suprême, une succession infinie de naissances, des mises à jour spirituelles, le déploiement intégral du réseau.

Il se sentit soudainement aspiré par le sillage idyllique qu’elle traçait dans l’espace, comme des foulards de soie qui l’invitaient aux caresses.

Il plongea dans le bain de particules.

À quelques centimètres de sa peau. Des effleurements suspendus, des frôlements sans matière, des haleines de cœur, des proximités d’auras. Il ouvrit ses mains et enlaça l’entité, sans aucun contact corporel, juste un accompagnement des bras autour du champ lumineux.

La musique s’apaisa comme une marée descendante, un retrait progressif, l’effacement des crêtes écumeuses.

Il l’accompagna sans révéler sa présence, attentif à ne même pas frôler ses bras, comme un reflet dansant dans un miroir.

Longuement, longuement…

Puis, il caressa l’entité invisible, cajolant amoureusement l’air de ses mains, lissant les creux et les arrondis, les doigts suivant les reliefs ondulés, comme des touches de piano, l’infime espace entre les peaux.

Il devinait dans le vide le satin moelleux de ses seins, la cambrure de ses reins, les arabesques lentes de ses mains, la plénitude de son visage. Elle frémissait contre lui sans le moindre contact.

Il en était stupéfait, encore une fois. Jamais, il n’avait rencontré un tel champ vibratoire, des fréquences aussi intenses.

Qui était-elle ? La question revenait en boucle.

Elle dansait comme une Déesse joyeuse, dans une liberté d’enfant.

Il ne la quittait pas des yeux.

C’est là qu’il sentit la poussée sanguine et son cœur battre plus fort que la musique. Une pression chaude dans sa verge, une montée de sève comme une avalanche inversée, des palpitations insoumises.

Gonflement.

Érection.

Stupéfaction.

Il se retira soudainement et sortit du cercle. Comme on s’éloigne d’un danger impalpable, d’une menace sans nom, la conscience soudaine que la maîtrise de la situation est une illusion.

Il n’était plus qu’un amas de limaille de fer capturée par un aimant improbable, une puissance inconnue, un trou noir sidéral.

Sa verge palpitait comme un cœur d’étoile.

Érection.

Stupéfaction.

Fascination.

Émerveillement.

Les désirs au-delà des savoirs, l’énergie de la vie comme un effaceur de mots, le chef d’orchestre qui pose sa baguette et enlace la musique avec son corps dénudé, l’âme envoûtée et le cœur en flammes.

Il la regarda danser.

Elle ouvrit les yeux enfin et tomba sur son visage. Elle devina dans la pénombre une fixité étrange.

Elle s’arrêta aussitôt.

« Qu’est-ce qu’il y a Sat ? Tu ne te sens pas bien ? »

Elle le rejoignit, une main sur le front, le corps fébrile, encore nourri de l’ivresse de l’absence.

Elle se posta devant lui et prit ses mains.

« Sat, qu’est-ce que tu as ?

-Rien de grave, j’ai dû tourner trop longtemps, j’ai eu un vertige mais c’est rien. Ne t’inquiète pas. »

Qui était-elle ?

La question revenait dans un mouvement perpétuel.

« Tu as aimé alors ?

-Oh, oui, j’ai adoré, je me sentais si bien.

-Qu’est-ce que tu as ressenti ?

-Comme si ça n’était plus moi. Oui, c’est ça, le plus fort. J’ai l’impression de découvrir une autre femme. »

Qui était-elle ?

Il ne pouvait s’en défaire. Elle ne se reconnaissait même pas. Il n’avait jamais perçu de telles vibrations, il ne pensait même pas cela possible.

« On va rentrer si tu veux bien. J’aimerais qu’on fasse un protocole précis, tous les deux.

-Je te suis. »

Il marcha devant elle et elle perçut dans son pas une étrange crispation, une raideur dans les fibres mais elle abandonna l’analyse sous les effets continus des arabesques de son corps dans le nuage d’étoiles, ce souvenir qui diffusait des parfums de rêves étranges, des instants de vie au-delà de l’existence, la divulgation inespérée d’une dimension aussi vaste que les cieux. Ce plaisir qui luisait en elle ne semblait plus pouvoir s’éteindre.

 

 

 

 

 

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