Pris dans la nasse
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/11/2025
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Avec Nathalie, on ne voit quasiment personne.
Jamais de resto, jamais de cinéma, le moins possible de "sorties" en ville pour les courses et quand c'est inévitable, on a une liste, on s'y tient. L'idée, c'est de repartir le plus vite possible.
Mais là, on a été invités par les gens qui nous ont vendu la maison pour une représentation théâtrale, une pièce dans laquelle, l'ancien propriétaire jouait deux rôles. Ce sont des gens qu'on aime bien, qu'on estime. On a accepté l'invitation.
La salle des fêtes était pleine comme un oeuf, principalement des gens de notre âge, le troisième âge.
Dans notre dos, on a entendu deux personnes qui toussaient.
La pièce de théâtre était bien amusante et on a trouvé très impressionnant pour ces acteurs et actrices d'assumer des rôles bien atypiques, de se lâcher, de se mettre en scène devant une salle bondée. Quelque chose que je serais incapable de faire.
C'était un samedi soir.
Dimanche, on a travaillé sur le terrain.
Lundi, Nathalie a commencé à se sentir mal.
Mardi matin pour moi.
Et maintenant, depuis onze jours, on se bat avec le covid. Et c'est rude... Très, très grosse fatigue, difficultés à respirer juste à monter l'escalier, perte partielle de l'odorat et du goût et de l'appétit, des nuits très agitées, des quintes de toux jusqu'à en vomir, des frissons, des bouffées de chaleur et des tremblements, des courbatures, partout, et pour moi des crampes dans les jambes encore plus fréquentes et violentes que d'habitude.
On n'avait pas de médecin généraliste. On n'en avait pas eu besoin depuis qu'on est arrivé. Je comprends pourquoi les urgences sont débordées. Pour avoir un RDV chez un médecin, il faut être persévérant. On pourra voir un généraliste la semaine prochaine... En attendant, c'est huiles essentielles, artémisia, miel et citron.
Le problème, en fait, c'est de voir dans quel état psychologique, ça nous met. Onze jours, sans aucune activité physique, sans même s'occuper du potager, c'est un calvaire, une épreuve morale. Et ça me renvoie à la fin de vie de mes parents. Ma mère est morte le 12 septembre, grabataire, démence sénile, alzheimer, elle avait 89 ans. Deux ans qu'elle ne me reconnaissait plus, ni même son mari, elle appelait juste sa mère, plus aucune relation sociale, le regard vide ou empli d'une terreur sans nom. L'équipe médicale m'avait demandé l'autorisation d'arrêter les traitements médicamenteux (multiples pathologies) Des anxiolitiques géraient les angoisses au mieux. Elle est morte dans son sommeil.
Quand à mon père, il a 90 ans, lui aussi en fauteuil roulant, aveugle, démence sénile, plus aucune autonomie, il pense que je suis son petit-frère. Il ne lui reste rien de son passé. Il dort. Il peut même s'endormir quand je suis en train de lui parler. Parfois, il comprend ce que je raconte. Quand je lui parle de son travail de représentant de commerce. Il adorait son métier. Il ne sait plus rien du reste, ni de la mort de mon frère, ni de celle de sa femme, ni de leurs nombreux voyages, tout a été effacé. Il suffirait que le traitement chimique qui le maintient en vie soit stoppé pour que ça s'arrête. J'en ai déjà parlé avec l'équipe médicale mais pour les professionnels de la santé, tant qu'il y a encore un semblant de "relation", on ne parle pas d'acharnement thérapeutique.
Ma mère avait des angoisses très, très importantes et des crises de hurlements. Elle n'entendait plus les intervenants, elle était ailleurs. Mon père a encore une "conscience" qui fait que la question du maintien en vie ne se pose pas.
Bon, ok, je les laisse gérér mais je ne veux pas de cette nasse pour moi, je la refuse catégoriquement. Il me suffit de voir déjà combien il m'est douloureux de rester inactif, physiquement, pour savoir que la fin de vie de mes parents, je n'en veux pas.
Onze jours à me traîner de la chaise à mon lit.
Je lis et je dors.
Je n'écris plus, j'ai tout arrêté. Aucun retour sur "Jarwal", c'est bon, j'ai compris, j'attends les retours chiffrés des ventes de l'année 2025 pour dire à l'éditrice si je lui envoie les deux romans finis et pour me décider à terminer celui en cours. Il est fort probable que ça sera un arrêt final. Je ne suis pas légitime.
Je n'ai pas l'énergie pour regarder un documentaire, trop fébrile, trop de toux, d'éternuements, de frissons, je peux lire dix minutes puis je ferme les yeux et je pense aux montagnes, je m'accroche à l'idée que c'est une sale période, que ça va s'arranger. Oui, il est probable que ça va s'arranger mais ça ne sera plus jamais le cas pour mon père. Il est pris dans une nasse.
Et j'en arrive donc à la conclusion de tout ça : si un jour, au bout d'un an, il n'y a pas eu de publication d'au moins un article sur le blog, c'est que je serai mort. Probablement en montagne ou sur mon vélo.
Et il restera à vous réjouir pour moi puisque ça signifiera que j'aurai échappé à la nasse.
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