Qui se souvient des Hommes ?

"Qui se souvient des Hommes?"

Un roman de Jean RASPAIL

Résumé : Ils s'appelaient eux-mêmes les Hommes.
Ils étaient parvenus à cette extrémité de la terre - qui devait, bien plus tard, être nommée Terre de Feu -, au terme d'une si longue migration qu'ils en avaient perdu la mémoire. Sans cesse poussés par de nouveaux envahisseurs, ils avaient traversé un continent et des millénaires dans l'ignorance et la peur. Ils s'étaient établis là où, semblait-il, nul ne pouvait les rejoindre, tant sont cruels le ciel, la terre et la mer dans cet enfer austral.
Ils furent peut-être un peuple ; ils ne furent plus que des clans, puis des familles. Un jour, et c'est demain, il n'y aura plus que Lafko - Lafko, fils de Lafko, fils de Lafko depuis le fond des âges -, le dernier des Hommes, celui que nous voyons, à la première et à la dernière page de ce livre, tenter de trouver dans la tempête la grève où il pourrait mourir, seul sous le regard de Dieu. Dans l'intervalle, depuis le rêve de Henri le Navigateur et l'apparition des vaisseaux de Magellan, les Hommes, ces " sauvages ", ont regardé passer l'Histoire et l'ont subie.
Demain, Lafko va se perdre dans la nuit. Qui se souvient des Hommes ? Jean Raspail, pour avoir rencontré l'un des derniers canots des Alakalufs (tel est leur nom moderne), ne les a pas oubliés. Dans ce livre - que, faute de mieux, il qualifie de " roman ", mais " épopée " ou " tragédie " seraient sans doute plus exacts -, il recrée le destin de ces êtres, nos frères, que les hommes qui les virent hésitèrent à reconnaître comme des hommes. C'est une immense et terrible histoire.
Et c'est un livre comme il n'en existe pas aujourd'hui, et dont on sort transformé.

http://www.babelio.com/livres/Raspail-Qui-se-souvient-des-hommes/94687


 

J'étais adolescent lorsque j'ai lu cette histoire. Tragique, cruelle. Toute la symbolique des Peuples Racines contre l'extension des Conquistadors.

  Une étrange similitude avec les vallées de montagnes où nous avons passé l'été. Personne, là-haut, n'a été massacré comme l'ont été les Alakalufs ou d'autres Peuples mais cet exode rural et le vide des hautes vallées est malgré tout terrifiant. Plus encore lorsqu'on redescend dans les basses vallées et les plaines urbanisées. Les concentrations humaines sont un étouffoir des consciences.

Le trajet du retour jusqu'à la maison n'a été qu'une accumulation d'incivilités, un catalogue consternant de cet enfermement des consciences dans l’ego. Je pensais qu’il s’agissait d’immaturité mais finalement, c’est bien plus grave que ça. Les enfants sont toujours susceptibles d’apprendre alors que ces adultes-là sont hermétiques à toutes réflexions…Il faudrait leur taper dessus pour qu’ils écoutent.

La rupture avec le bien-être et la plénitude distillés par l’altitude est une douleur réelle. Se dire qu’il faut, finalement, continuer à vivre ici bas sonne comme une malédiction.

Nous avons cherché cette haute vallée où nous irons vivre dans quelques années. Pyrénées, Ubaye, Queyras, Dévoluy, Lozère, Cévennes… J’ai eu l’impression d’assister dans ce périple à la destruction programmée des Hauts Lieux par une mondialisation qui agit comme les Conquistadors.

« Qui se souvient des Hommes ? »

Juste deux exemples de ces ressentis extrêmes : Une panne du camion nous a obligés à rester trois jours à vadrouiller dans les environs de Luchon (Pyrénées) et un après-midi, après une virée en altitude, nous sommes repassés par le centre ville. Le camion était au garage et nous avons donc cherché un endroit où nous poser. Nous avons vu une terrasse de brasserie, bondée, des gens qui parlaient fort, une agitation frénétique sur le trottoir, des badauds qui léchaient les vitrines comme des trésors et nous avons ressenti, tous les deux, un malaise physique, une douleur dans le ventre, comme si une entité énergétique cherchait à nous happer, une masse dans laquelle les consciences n’existaient plus. Il nous a été impossible de nous asseoir. Physiquement impossible. Comme si nous étions en danger, comme si un mal sournois allait nous envahir. Nous sommes partis.

Quelques jours auparavant, nous étions en altitude, sur des crêtes isolées, une succession de sommets parcourus dans la journée et sur le trajet du retour, nous sommes passés près d’une cabane, un abri en pierres, avec un toit en tôle, la taille d’un abri de jardin, ancré sur la crête, avec des horizons infinis. Un homme est sorti parce que les chiens s’étaient mis à aboyer à notre passage. Des chiens de berger. Il a dit aux chiens de se taire et il nous a demandé ce qu’on avait fait comme balade. La discussion s’est prolongée pendant deux heures. Il nous a offert un café et nous avons parlé de la vie des montagnes.

Gérald, berger itinérant, il avait grandi dans ces vallées, il en connaissait tous les chemins, l’histoire des Anciens, il gardait les troupeaux de plusieurs éleveurs, il allait passer un mois dans cet abri rudimentaire. Seul. Avec ces trois chiens et les vautours qui tournoyaient au-dessus des sommets.

ete-2013-074.jpgL'abri de Gérald, minuscule petit point blanc, sur les crêtes du Mourtis.

Les vautours… Il nous a expliqué que leur comportement avait changé en quelques années et que l’Union européenne en était responsable. Bruxelles avait imposé aux éleveurs de déclarer les bêtes mortes et de les confier à des équarisseurs. Cent cinquante euros par bêtes et en cas de refus, une amende. Soi-disant pour éviter des épidémies. Dans des montagnes en Espagne, nous avons vu une vache tombée d’une falaise être dévorée par une cinquantaine de vautours. Il leur faudrait 24 heures pour n’en laisser qu’un squelette qui serait à son tour attaqué par les gypaètes. La seule épidémie venait de Bruxelles. La diminution des cadavres disponibles avait conduit les vautours à devenir prédateurs et non plus simplement charognards. Gérald racontait que les vautours piquaient sur les brebis lorsqu’elles empruntaient des passages escarpés et que la panique les faisait chuter ou que les petits naissants étaient attaqués avant même qu’ils ne tiennent sur leurs pattes. Il connaissait l’histoire de cette randonneuse tombée dans une paroi, dévorée avant même que les secours ne trouvent son corps. Ils avaient eu besoin de cinq heures pour ne laisser que le sac à dos et le squelette…

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Les scientifiques nient ce changement de comportement parce que dans leurs études scolaires, les vautours sont des charognards et rien d’autre. Gérald vit là-haut. Mais, lui, sa parole ne compte pas…

On a donc parlé de conscience, d’énergie, des traditions, de la culture, de la société, de l’illusion de démocratie, de l’avilissement des consciences, du conditionnement, de l’éducation, de l’école, de politique, de l’Union européenne…

Nous étions là-haut, trois personnes, trois esprits unifiés par les Hauts Lieux. Une rencontre réelle, profonde, émouvante, spontanée, ce sentiment étrange d’une fusion immédiate, comme si émanait de nous une énergie similaire, aucune parole insignifiante, la nécessité d’aller explorer les pensées utiles.

Nous avons repris notre route sur les crêtes. Il est resté en nous avec ce sourire intérieur et la force de son regard. Il est toujours là-haut.

Nous sommes redescendus…

Entraunes, village de l’Ubaye, à la limite du Parc du Mercantour. Au XIX ème siècle, le village comptait plus de 800 habitants. Une activité économique qui permettait aux gens de vivre là-haut. Il reste une centaine d’habitants désormais. Que s’est-il passé ?

Le système de destruction des Hauts Lieux est redoutablement efficace et pervers. En premier lieu, l’école obligatoire a brisé la transmission des savoirs. Au nom de la « connaissance », les enfants ont dû partir dans les collèges et vivre à l’internat. On ne construit pas de petits collèges de montagne, on concentre… On retire aux parents la transmission du savoir et on impose l’accession aux diplômes. Les banques ne prêteront qu’à ceux qui peuvent faire valoir leur niveau d’enseignement. On ne s’intéresse pas aux petites exploitations familiales, il faut développer des activités subventionnées, répondre aux besoins du « marché », on ne cherche pas à maintenir l’équilibre entre les besoins des hommes et les ressources de la nature, on crée des manques et on surexploite jusqu’à la destruction.

Qui est ce « on » ?

Les instances gouvernementales, les financiers, les multinationales, la mondialisation et tous ceux qui la servent.

J’ai vu ce désastre déjà quand je vivais en Bretagne. On demandait aux marins pêcheurs d’abandonner leurs petits bateaux pour s’endetter et construire des bateaux capables d’augmenter les prises. Les enfants devaient aller à l’école pour apprendre le métier. Les pères payaient des droits de succession tout comme pour les exploitations agricoles. Racket organisé, mafia gouvernementale. Les marins se sont endettés, les ressources ont diminué, la mondialisation ne leur permet plus de vivre. On jette le poisson qui n’est pas rentable. La mer se vide. Les pêcheurs se tuent au travail et ils subissent les accusations des écologistes. Tout comme les agriculteurs.

Qui sont les vrais coupables ? Il ne faut pas s’arrêter à l’exploitant mais remonter vers celui qui tient les rênes des finances…

Les villages de montagne se sont vidés parce que les jeunes sont partis. L’aimantation de la masse, l’effacement des valeurs humaines pour les valeurs marchandes. Plus vous concentrez la masse aimantée, plus vous l'accroissez et c'est un phénomène exponentiel. Il faut avoir l'âme ancrée dans la terre pour ne pas être emporté...

« Qui se souvient des Hommes ? »

Nos enfants se poseront une question bien plus effroyable un jour prochain : « Où sont les Hommes ? »

 

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Commentaires

  • Thierry
    • 1. Thierry Le 23/08/2013
    Hello JM. Oui Bordage est incontournable, un Grand. Et c'est vrai que ce qu'on a vécu en Espagne ressemblait quelque peu à une disparition de l'Humanité. Une impression de solitude très étrange puisqu'en même temps, cette Nature retrouvée était sublime...
  • JM
    • 2. JM Le 23/08/2013
    Salut Thierry
    Je dévore tout ce que je trouve de Pierre Bordage qui est un familier de l'Apocalypse, du monde d'après, quand les hommes a force de jouer au bord du précipice se retrouvent face à la brutalité du manque, de la survie "sauvage".On ose imaginer à quelle vitesse les citadins se déchireraient si... Tes images d'Espagne, si proche sont affolantes... Je me suis cru dans un roman du sus nommé.
    A+

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