Robert Badinter, ancien ministre socialiste de la Justice, réagit à l’attaque contre«Charlie Hebdo».
«Devant un tel crime, préparé et exécuté de sang-froid, c’est d’abord aux victimes que pense chacun d’entre nous. Policiers assumant le risque quotidien auquel les expose leur devoir, journalistes réunis pour accomplir leur mission d’information, sans laquelle la démocratie serait étouffée. Ces journalistes-là sont morts pour nous, pour nos libertés qu’ils ont toujours défendues. Sachons nous en souvenir. L’émotion nous saisit aussi à la pensée de leurs familles, de leurs proches, que le crime frappe au cœur par ricochet et qui vivront désormais comme des invalides, amputés de l’être humain qui était une part d’eux-mêmes.
«Au-delà du chagrin et de la pitié s’inscrit le devoir de justice. Nous sommes assurés que les pouvoirs publics mettront tout en œuvre pour identifier et arrêter les auteurs de ces crimes. A la justice de décider de leur sort, en toute indépendance et dans le respect de l’Etat de Droit. Ce n’est pas par des lois et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre ses ennemis. Ce serait là un piège que l’histoire a déjà tendu aux démocraties. Celles qui y ont cédé n’ont rien gagné en efficacité répressive, mais beaucoup perdu en termes de liberté et parfois d’honneur.
«Enfin, pensons aussi en cette heure d’épreuve au piège politique que nous tendent les terroristes. Ceux qui crient "allahou akbar" au moment de tuer d’autres hommes, ceux-là trahissent par fanatisme l’idéal religieux dont ils se réclament. Ils espèrent aussi que la colère et l’indignation qui emportent la nation trouvera chez certains son expression dans un rejet et une hostilité à l’égard de tous les musulmans de France. Ainsi se creuserait le fossé qu’ils rêvent d’ouvrir entre les musulmans et les autres citoyens. Allumer la haine entre les Français, susciter par le crime la violence intercommunautaire, voilà leur dessein, au-delà de la pulsion de mort qui entraîne ces fanatiques qui tuent en invoquant Dieu. Refusons ce qui serait leur victoire. Et gardons-nous des amalgames injustes et des passions fratricides.»