Résilience locale
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/08/2017
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http://www.institutmomentum.org/breves/visages-de-la-resilience/
Petit traité de résilience locale
Dans les années à venir, nous devrons faire face aux impacts du réchauffement climatique, à la dégradation accélérée de notre environnement, et à la raréfaction des ressources qui maintiennent notre civilisation en vie, trois bouleversements qui vont s’accompagner de profonds changements sociétaux.
Désormais, il s’agit de s’y préparer, car il est possible qu’il soit trop tard pour infléchir les trajectoires. Comment ? En développant notre résilience, cette capacité des êtres et des systèmes socio-écologiques à absorber les chocs et à se transformer.
Mot d’ordre du mouvement des villes en transition, mobilisateur pour certains, synonyme de résignation pour d’autres, la résilience a plusieurs facettes. Elle s’adresse aux individus, aux collectivités et aux élus locaux qui se trouvent en première ligne pour maintenir les fondamentaux de notre société – santé, alimentation, transport, ressources vitales, énergie, habitat.
Loin de prôner le repli sur soi, les stratégies de résilience encouragent le partage, la coopération, l’autonomie créatrice et l’imagination de tous les acteurs locaux. Les auteurs nous offrent une boussole qui pourrait bien s’avérer utile pour traverser ce siècle sans chavirer.
Agnès Sinaï est fondatrice en de l’Institut Momentum, journaliste indépendante (Le Monde diplomatique, La Revue durable,Actu-environnement) et auteure. Raphaël Stevens est chercheur indépendant, formateur, auteur, spécialisé en résilience des systèmes socio-écologiques. Hugo Carton est ingénieur centralien, diplômé de Sciences Po. Pablo Servigne est ingénieur agronome et docteur en biologie. Il est chercheur indépendant, formateur, auteur et conférencier. Tous sont chercheurs associés à l’Institut Momentum.
Editions Charles Léopold Mayer, septembre 2015
110 pages, 9 €
Philippe Bihouix : Inventer un monde de post-croissance
Entretien paru dans Libération le 1er août 2017
A l’occasion du jour du dépassement de l’empreinte écologique terrestre, le 1er août, Libération a interrogé Philippe Bihouix, membre de l’Institut Momentum, sur les voies d’un autre système économique et social.
Le jour du dépassement arrive chaque année un peu plus tôt. N’a-t-on pas déjà atteint un point de non-retour ?
Le point de non-retour a déjà été franchi dans plusieurs domaines. Le problème, c’est que nous ne mesurons pas l’ampleur de la catastrophe. C’est le syndrome du décalage du point de référence (ou shifting baselines), théorisé par le biologiste Daniel Pauly. Nous échouons à transmettre d’une génération à l’autre la dégradation de notre environnement, la perte de biodiversité. Mon fils s’extasie quand il voit une grenouille, grenouille que je pouvais encore disséquer en cours de science naturelle, quand mon père, lui, en voyait des centaines. La dégradation de la planète peut encore s’accentuer, via l’exploitation des ressources. Nous pouvons continuer à aller chercher du pétrole, du gaz naturel ou des minerais, moins concentrés et moins accessibles, avec des rendements inférieurs et des conséquences environnementales accrues. La question subsidiaire étant : peut-on inverser la vapeur ? La bonne nouvelle, c’est que nous avons une forte capacité d’adaptation et d’innovation. Mais comment orienter cette incroyable capacité à inventer dans le bon sens et à la bonne vitesse ?
Les innovations et la haute technologie peuvent-elles nous sauver ?
Il y a de nombreuses promesses technologiques. Le problème, c’est que le numérique nous a donné l’impression que les hautes technologies pouvaient nous sauver. Or, nous ne pouvons pas réaliser dans le monde physique les progrès phénoménaux que nous avons connus avec le numérique. Nous nous heurtons d’abord à la question des ressources non renouvelables, de certains métaux comme le néodyme pour les éoliennes ou le lithium dans les voitures électriques. Et puis il y a une seconde contrainte, celle liée à la vitesse de généralisation. On espère ainsi que toute nouvelle technologie va pouvoir être déployée à l’échelle planétaire sur une période de dix ou vingt ans, de la même manière que les réseaux internet. Là encore, c’est un très mauvais calcul. On peut rajouter un macrosystème technique sur un autre, en installant par exemple des antennes pour créer un réseau internet sur un réseau électrique et de transport déjà existant. Et ça fonctionne. Mais quand il s’agit de remplacer un macrosystème par un autre, par exemple de remplacer le moteur thermique par un électrique, on se heurte là à la capacité industrielle de déploiement du réseau énergétique nécessaire.
L’économie collaborative paraît être une bonne solution pour diminuer notre consommation…
Oui, mais elle produit un effet pervers appelé « l’effet rebond ». Si trois passagers relient Paris à Strasbourg en covoiturage par exemple, on est tenté de dire que l’on divise par trois la quantité consommée de carburant. Mais dans cette voiture, il y a qui ? Un étudiant qui a saisi l’opportunité de faire Paris-Strasbourg pour aller voir un copain et qui n’aurait pas forcément fait le trajet si le service n’avait pas existé. On a une autre personne qui aurait pris le train mais a préféré la voiture parce que c’était moins cher et c’est difficile de lui en vouloir. Le chauffeur, lui, fait Paris-Strasbourg plus souvent parce que la contribution économique des deux autres lui permet de payer le péage et le carburant. A l’échelle du pays, la consommation de carburant ne baisse pas.
Finalement, sans sobriété, il n’existe pas de solution technologique ?
La croissance n’est plus possible. Elle ne reviendra pas à la hauteur des fantasmes de nos dirigeants. Et elle n’est pas souhaitable, puisqu’on ne sait pas à la fois diviser nos émissions de gaz à effet de serre par quatre et faire de la croissance. La décroissance, ce n’est pas la caricature de l’inverse de la croissance. Mais une volonté de décroître en termes de consommation d’énergie, de matières premières et de production de déchets. D’inventer un autre système économique, social, fiscal, culturel, un monde de post-croissance de plein-emploi, plutôt que continuer à croire au miracle de l’ouragan schumpetérien de la destruction créatrice – alors que toujours plus de gens perdent leur travail.
Comment faire ?
Il n’y a pas d’un côté le décroissant qui fait ses confitures et son compost, et de l’autre l’espoir d’une organisation mondiale de l’environnement. Entre les deux, il y a une gamme incroyable d’actions possibles, au niveau territorial et surtout national, qui permettraient de donner une vraie impulsion à une réelle transition énergétique et écologique.
Comment expliquer le manque d’actions malgré l’urgence ?
On est dans l’injonction contradictoire permanente, dans la dissonance cognitive : d’un côté les mauvaises annonces sur la dégradation de l’état de la planète ; de l’autre des annonces de solutions miracles. Nos dirigeants sont dans une rivalité mimétique – Nantes a un «fablab», Rennes veut le sien – et tentent toujours les vieilles recettes néokeynésiennes : les grands travaux et la relance de la consommation créent les emplois. Cela a bien fonctionné pendant les Trente Glorieuses. Mais désormais la consommation de produits manufacturés ailleurs crée moins d’emplois. Reste alors la politique de grands travaux : il faut faire des aéroports, des LGV, etc. Cela donne des éléphants blancs, qui sont des aberrations dans la forêt économique et environnementale.
Entretien paru dans Libération le 1er août 2017. Propos recueillis par Estelle Pattée.
Philippe Bihouix est ingénieur et auteur de L’Age des low tech, vers une civilisation techniquement soutenable, aux éditions du Seuil.
Auteur: Philippe Bihouix
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