TOUS, SAUF ELLE : un 13 ème roman.
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/12/2017
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TOUS, SAUF ELLE.
Le 13 ème roman.
La suite de l'histoire "LES HÉROS SONT TOUS MORTS."
Une suite qui aura elle-même une suite. Je suis donc parti dans une trilogie.
D'un simple polar, je bascule dans un roman d'anticipation pour ce tome et dans un roman apocalyptique pour le final qui s'appelle pour l'instant "LE DESERT DES BARBARES".
J'ai lu énormément depuis trois ans tout ce qui concerne le survivalisme et la collapsologie.
Je sais que beaucoup de personnes voient dans cette idée de fin de civilisation un certain sectarisme.
Pour ma part, je le considère comme une voie d'anticipation et je pense que la montagne m'a beaucoup enseigné dans ce domaine. On ne part pas en montagne sur un coup de tête quand on a dans l'idée d'escalader une paroi et donc de s'engager dans une "aventure" incertaine.
Il faut tout anticiper de ce qui relève de la responsabilité de l'individu et anticiper sur la réaction à avoir dans le cadre de ce qui ne peut pas être anticipé mais qui peut néanmoins survenir.
La première fois que nous avons pris un ferry en famille, j'ai commencé par chercher l'emplacement des gilets de sauvetage. Ensuite, nous avons profité du voyage.
Voilà ce que j'appelle l'anticipation. Il ne s'agit pas de se faire peur et de se priver de la beauté de la vie mais bien au contraire de faciliter la sérénité parce que l'imprévisible est géré au mieux.
J'entends parfois dire que c'est une vision pessimiste de l'humain et même de la vie.
Je ne me considère ni pessimiste, ni optimiste. Mais réaliste.
Si je recherchais tous les liens éparpillés sur ce blog et qui traite de l'état de la planète et des risques d'effondrement du "monde moderne, il me faudrait des heures de recherches...
Non seulement, je ne veux pas vivre béatement en imaginant que le vaisseau est insubmersible ou que le capitaine et ses hommes méritent toute ma confiance mais je tiens même à participer à ma mesure au maintien à flot du vaisseau. Non pas pour ma simple petite existence mais parce que je fais partie du groupe humain et que j'ai donc une responsabilité sur le délabrement du navire.
Dans le cas de panique liée à une catastrophe, des scientifiques ont étudié ces états de stress intense et les ont rapprochés de ce qu'on appelle la sidération. Les gens frappés par cet état invalidant sont des personnes qui n'ont jamais, absolument jamais accepté d'entrevoir une situation d'urgence. Bien souvent par éducation et parfois par simple ignorance ou déni du danger.
Elles sont donc dans une incapacité totale à gérer leur stress et elles font partie tout "naturellement" des premières victimes.
Il y a une deuxième catégorie de personnes. Celles-là combattent la sidération en basculant dans un état de déraison complet. Elles peuvent prendre des décisions contraires au bon sens ou même devenir violentes et potentiellement dangereuses pour tous. Ce sont celles qui par exemple vont user d'une arme à feu...
Le seul moyen d'éviter ce genre de "dérapages" particulièrement dévastateurs, c'est d'amener les individus à anticiper. Dans leurs pensées mais également dans leurs actes.
C'est là que nous sommes heureux d'avoir emmené nos trois enfants en montagne dès qu'ils ont su marcher, à leur avoir fait vivre des situations particulières, engagées, parfois stressantes. Leur gestion émotionnelle et leur connaissance d'eux-mêmes sont des atouts indéniables.
Qu'en sera-t-il des individus "confortablement protégés" de tout, n'ayant jamais eu l'expérience de la peur, de l'urgence, du stress, de la nécessité de prendre des décisions vitales ?...
Ce roman explore ces questions.
Le dernier tome de la trilogie doit mettre en scène les quelques survivants...
« Toutes les horreurs que les romanciers croient inventer sont toujours au-dessous de la vérité. »
Balzac
CHAPITRE 1
Tariq n'oublierait jamais le mois de mars à Mossoul. Ni les mois précédents. Ni sa rage quand il avait quitté l'Irak.
Mossoul et ses combats.
Il était allongé sur le lit de son hôte, un fidèle à la cause.
Istanbul. Daesh y avait de multiples antennes.
Les mains posées sur le ventre, les doigts croisés, il avait retiré ses chaussures.
Le brouhaha de la rue ne pénétrait pas son cerveau. Les souvenirs occupaient toute la place.
Les images étaient toujours là. Il refusait qu'elles s'effacent. Elles nourrissaient sa haine et sa force, elles entretenaient le brasier. L'enfer qu'il voulait déverser désormais sur les Occidentaux.
Même le bruit des combats, il refusait qu'il s'éteigne. Chaque soir, il le ranimait. Et l'odeur du sang et les cris des mourants.
Un séisme sans fin, un chaos sans limites. Aucun bâtiment n’était épargné, aucune rue n’était praticable. Il ne restait que des débris, des ruines noircies par les incendies, des façades perforées, éventrées, suspendues dans des équilibres précaires, des murs criblés d’impacts de balles, des trous d’obus, de missiles, de roquettes, des gravats ou des pans entiers de maisons jonchant le sol, des lacis de lignes électriques sectionnées ou entremêlées comme des faisceaux de nerfs dans un corps désossé, des voitures calcinées, retournées, projetées dans les airs, des trottoirs éventrés, des tombes ouvertes, des fenêtres béantes comme des orbites de moribonds.
La ville entière était un cadavre puant.
Un cataclysme guerrier, un déluge de feu et de sang, des mois de luttes acharnées, sans pitié.
Tariq se revoyait, scrutant la rue par un trou dans le mur. L’obus n’avait pas explosé. Il avait traversé l’intégralité de l’appartement, cloison après cloison, et il avait disparu.
Il avait aimé le frisson de plaisir quand la mort l’avait frôlé. Comme une maîtresse perverse qui vous effleure ou vous frappe. Impossible de connaître à l’avance son humeur, ni l’intérêt ou l’indifférence qu’elle vous portera. À chaque fois qu’il avait eu ce frisson particulier, il s’était démené pour tuer un ennemi. Avec le maximum de risques, comme mu par une force insatiable. Le même spasme en lui, à chaque succès. Le baiser de la mort. Une excitation si puissante que l’orgasme du sang devenait vital.
Dans les silences prolongés, il pouvait imaginer la déflagration de la prochaine explosion, le prochain missile antichar, la prochaine rafale d’AK-47, la prochaine grenade, le prochain cri, le râle plaintif d’un mourant. L'agonie d'un de ses frères nourrissait sa haine, l'agonie d'un ennemi nourrissait sa furie.
Walid était mort dans ses bras, crachant le sang de son poumon perforé. Hassan avait été écrasé par une dalle de béton pulvérisée par un tir de char, sa tête dépassant de la chape, les yeux exorbités, ses entrailles vomies maculant son visage. Zina avait déclenché sa ceinture d’explosifs quand les mécréants l’avaient encerclée.
Il y avait des frères de lutte gisant dans tous les quartiers, des corps abandonnés à la pourriture, des blessés agonisant pendant des heures, des hurlements qui déchiraient les rares accalmies, des tirs de mortiers qui visaient les mourants, leurs cris comme des appels à la délivrance finale, des silences insupportables dans l’attente des combats, le danger permanent des snipers, l’odeur âcre de la poudre qui se mêlait à celui de viande brûlée, les chenilles des chars qui déchiquetaient les blessés, la folie de la mort quand elle tient les rênes, des haines viscérales qui servaient de guide suprême.
Il n’y avait plus de silence en lui.
Il avait tué tant d’infidèles qu’il en jouissait à les compter mais il avait perdu aussi la dernière femme qu’il aimait, celle qui avait pris les armes à ses côtés, les autres, il les avait abandonnées à leurs peurs, juste des chiennes sans honneur.
Il avait perdu ses amis, il avait perdu la bataille de Mossoul. Il n’en avait plus aucun doute. L’issue était déjà écrite.
Il avait failli.
Et la mort ne lui était rien.
Il avait senti dans les nuits sans sommeil cet effacement de toute limite.
Il aurait pu mourir sans aucune retenue, sans la moindre peur, le moindre regret, il n’y avait plus rien de vivant en lui, sinon la rage, la volonté de tuer encore et encore. La décapitation du capitaine de la milice. Un moment sublime. Les soubresauts du mourant. Il avait senti la mort jouir dans ses mains.
Il ne vivait plus que pour la mort. Celle des ennemis, même au prix de la sienne.
Lorsque Farid était tombé, il avait décidé de quitter la ville. Son frère, abattu par un tireur d’élite, la tête éclatée, en pleine course. Il l’avait vu s’effondrer devant lui, la chair et le sang giclant dans un éclair. Il n’avait rien pu faire.
Il aurait pu mourir à Mossoul mais la joie de ses ennemis lui aurait été insupportable.
Il avait traversé les quartiers en ruine, emprunté les réseaux souterrains creusés par les frères. Il avait une mission désormais. Une autre mission.
Tous les frères morts seront vengés.
Il était passé par l'Iran puis il avait atteint l'Afghanistan. Il avait combattu dans diverses régions montagneuses, il avait obtenu un poste élevé au sein des talibans, il avait tué des soldats de Satan. Des mois de combats et toujours ce goût délicieux de la mort des mécréants, cette jouissance extatique du sang versé. Il avait tenu un rôle important dans la défaite des Américains, dans la reprise du pouvoir, la fuite honteuse des Yankees.
Mais son désir le plus puissant n'était toujours pas assouvi. C'est d'une croisade en terre impie dont il rêvait, une guerre sainte en Occident, autant de cadavres, des ruisseaux de sang dans les villes, des torrents de feu.
Il ne voulait plus attendre. Allah le lui rappelait sans cesse. Les images de Mossoul. Tous les frères morts seront vengés.
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