Un gigantesque gâchis.
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/10/2013
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Le Point.fr - Publié le
Pas un enseignant en exercice n'a été nommé au Conseil supérieur des programmes. Pour Brighelli, le signe qu'il n'y a rien à en attendre, hormis le pire.
La rue de Grenelle s'est donc dotée d'un nouveau machin, comme aurait dit de Gaulle : le Conseil supérieur des programmes (CSP). On avait déjà eu un Conseil national des programmes, créé par la loi Jospin en 1989 et supprimé par la loi Fillon en 2005. Coucou, le revoilà - mais "supérieur" lui donne un lustre nouveau.
Que "national" ait disparu dans la bataille n'est peut-être pas seulement anecdotique...
Dis-moi qui tu recrutes, je te dirai ce que tu veux : quand on jette un oeil sur la liste des membres désignés, qui par l'Assemblée nationale, qui par le Sénat, qui par le Conseil économique et social, qui en tant que "personnalité qualifiée", que trouve-t-on ? Des politiciens professionnels (mais un député ou un sénateur sont forcément compétents, on s'en aperçoit tous les jours), des tenants des pédagogies nouvelles et des sciences de l'éducation, une sociologue, et pour diriger ce rassemblement de belles compétences, un ex-inspecteur général ex-recteur qui n'a plus vu un élève depuis 1991 et a sucé la roue de tous les gouvernements en place depuis 1992 et François Bayrou. Pas un seul enseignant en exercice. Pas un. Ni instituteur, ni professeur.
Imaginez que vous composiez une Commission sur la réforme de la baguette de pain sans inviter un seul boulanger... Il en est de cette commission comme de la Grande Consultation voulue il y a un peu plus d'un an par Vincent Peillon : au vu des membres convoqués, on sait ce qui sera décidé. Et ce qui sera décidé n'ira pas dans le bon sens.
Les solutions existent !
On ne peut réformer des programmes qu'en considérant le but. Réformer le primaire (qui en a besoin), c'est se donner pour but que cesse ce scandale insoutenable qui fait que 18 % des élèves entrant en Sixième ne maîtrisent ni la lecture, ni l'écriture, ni le calcul, ni rien du tout - et que ces mômes constitueront le vivier des 150 000 élèves lâchés fin Troisième dans la rue, voyageurs sans bagages d'un système scolaire à la dérive, et qui s'enfonce chaque jour davantage (voir l'évolution de la place de la France dans les tests PISA, voir la place des universités françaises dans les divers classements internationaux).
Et ce n'est pas en allégeant les programmes (objectif assumé par le principal syndicat du Primaire, le SNUipp, qui a toujours déploré les programmes de Xavier Darcos en 2007-2008), ni en multipliant les activités ludiques (l'actuelle réforme Peillon des rythmes scolaires) que l'on redressera la barre.
Pourtant, les solutions existent, elles sont même pratiquées par des instituteurs attentionnés qui apprennent à lire et à écrire aux élèves de Grande Section de Maternelle, afin qu'ils maîtrisent parfaitement cette étape essentielle l'année suivante. Idem en maths. Des manuels ont même été édités pour aider les néophytes à se repérer dans la jungle épaisse des méthodes de lecture - voir ce que j'ai déjà dit ici sur le GRIP. On sait faire - et nombre d'enseignants, à tous niveaux, tentent de faire. Contrairement à ce que fait semblant de croire Lorànt Deutsch, qui a son propre agenda multi-réactionnaire et caricatural, il est même des profs d'Histoire qui savent raconter l'Histoire et passionner leurs élèves - en contournant un peu les programmes, mais après tout, la France entière contourne les règlements depuis toujours. Il est des enseignants qui notent les copies de leurs élèves en toute conscience sans forcément jouer au sergent Hartmann, version Stanley Kubrick. Et qui se soucie de monter chaque élève au plus haut de ses capacités, quelle que soit son origine sociale. De lui donner des armes intellectuelles pour affronter le monde qu'on nous a fait. Et non le monde de bisounours que l'on voudrait plébisciter.
Dans quels établissements vont les enfants des membres du CSP ?
Dans un documentaire diffusé sur Arte le 17 septembre dernier (1), on me fait jouer le rôle du méchant parce que je désire que les élèves en sachent toujours plus. C'est un signe. Quand l'excellence est décriée, quand la compétence est stigmatisée, quand l'effort est moqué, c'est qu'un pays tout entier s'effondre. Comme j'ai eu l'occasion de le dire dans une récente interview sur RTL, croyez-vous qu'en Corée du Sud, à Shanghai ou à Singapour - les pays qui caracolent aujourd'hui en tête des classements internationaux au niveau scolaire - on mette la pédale douce sur les programmes ? Non - on charge encore la barque.
D'ailleurs, je serais curieux de savoir dans quel type d'établissements les divers membres de la Commission Peillon ont fait inscrire leurs enfants... Allez, je parierais qu'ils ont intrigué pour que leurs rejetons soient élevés dans des lycées d'élite - tout comme Lionel Jospin jadis avait demandé à ce que ses enfants entrent à Victor Duruy, qui n'est pas le moins élitiste des lycées parisiens. Faites ce que je vous dis, ne faites pas...
Ce ne sont pas les enseignants d'élite - en fait, une majorité d'enseignants partagent ces objectifs - qui ont été convoqués par Peillon. On les a soigneusement contournés. On a rassemblé une très jolie collection de pédagogues mous, vieillis sous le harnais des honneurs ministériels, de spécialistes des "sciences de l'éducation" - l'exemple-type d'oxymore, pour les amateurs de rhétorique -, d'alternatifs divers, de "détachés" et de contempteurs de la République (comment interpréter autrement les déclarations de Marie-Christine Blandin sur la Marseillaise, qui véhiculerait "des messages d'un autre âge" ?). Bref, les représentants ultimes de ce que j'appelais déjà, il y a huit ans, la Fabrique du crétin : l'élite de la malfaisance.
Les vrais spécialistes
Alors, peu importe qui sera convoqué dans les groupes techniques éventuellement formés pour réfléchir sur telle ou telle disposition. L'impulsion générale va vers le délitement de l'École. Le ludique continue à remplacer le disciplinaire - ce que Peillon a fait de la demi-journée rattrapée dans le Primaire est significatif : il fallait faire du français, on fait de la danse bretonne. Et on supprime les notes - dont je ne fais rien d'autre qu'un indicateur, au même titre qu'un thermomètre : mais la mode est à la destruction des thermomètres, quand il n'y en aura plus, la fièvre sera vaincue, c'est bien connu.
On s'étonne, sur certains forums, que des enseignants rejoignent le "collectif Racine" qui appuie Marine Le Pen. Mais on fait le lit du FN, le seul parti actuellement à tenir un discours cohérent, que ses intentions soient ou non purement politiciennes, mais qui oserait dire que les intentons du PS ou de l'UMP sont pures ? Ce qui fait le lit de l'extrême droite, c'est la démission des élites - surtout quand ces élites sont autoproclamées.
Qui sont les vrais spécialistes de l'Éducation nationale ? Ceux qui ont les mains dans le cambouis. Les profs immergés dans les collèges de ZEP, les instits balancés dans des quartiers qui refusent de parler français, parce que la cité parle turc ou roumain, ceux qui se battent dans des lycées déshérités pour que leurs élèves osent les classes prépas du "bon" lycée voisin, ceux qui en fac gèrent des étudiants désarmés par des années de gabegie scolaire afin d'en faire, parfois, des profs...
Ce sont aussi les inspecteurs de l'Éducation nationale, IEN (parfois) ou IPR (souvent), qui, à force d'aller dans les classes, savent quel réservoir de talents peut se dissimuler dans un établissement oublié de Dieu et des ministres... les gens capables, les "bonnes" pratiques, les talents, on sait où ils sont - mais ils ne sont pas près d'entrer rue de Grenelle.
(1) "Stress scolaire : l'obsession de l'excellence"
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