Un prêtre naturiste
- Par Thierry LEDRU
- Le 01/05/2020
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RENCONTRE AVEC UN PRÊTRE, MÉMOIRE DU NATURISME FRANÇAIS
Par Céline AUCHER, publié le .
l Il promène sa figure christique tous les étés, depuis 63 ans, au Centre héliomarin de Montalivet l Un prêtre à l’allure de vieux sage, mémoire du bastion historique du naturisme en France.
Si le dépouillement est une vertu cultivée par les Franciscains, le frère Jacques pourrait sans nul doute prétendre en devenir le pape. Au moins pendant les cinq semaines de son séjour estival au Centre héliomarin de Montalivet (CHM). Chose peu commune, le doyen de ce bastion historique du naturisme en France est un prêtre. "Mais pas un prêtre naturiste, plutôt un naturiste qui a mal tourné", plaisante le bonhomme, arrivé ici pour la première fois à l’âge de 19 ans, en 1952, soit un an après l’ouverture du centre.
"Des amis scouts connaissaient mon goût de la nature, c’est comme ça que je m’y suis mis." Bien avant que ce professeur de lettres classiques, qui a connu Camus, Mauriac ou Théodore Monod, soit ordonné prêtre à 26 ans. Après avoir exercé toutes sortes de ministères, d’Algérie à la France, il est, à 82 ans, toujours aumônier de six maisons de retraite dans le Sud de la France. Un esprit taquin, qui dit "merci Seigneur" quand il croise une belle dame, et n’a pas raté un seul été à Montalivet ces 63 dernières années. "Des fois, j’entends des gens dire: “on dirait Ghandi”. Un jour, un enfant m’a même pris pour le père Noël", rigole le frère Jacques. "Une figure historique" pour le jeune directeur du CHM, Stéphane Barbe. "L’ancêtre", pour sa voisine Claude, 72 ans, qui lui apporte son jus de carotte et discute théologie avec lui.
Ils ont beau avoisiner, en ce moment, les 14.000 résidents sur cet îlot naturiste du Médoc, on ne peut pas ne pas remarquer sa longue silhouette voûtée, tannée par le soleil qui, avec sa canne, fait le tour des 200 hectares du centre chaque jour, de 17 heures à 19 heures. "Il me fait parfois penser à Maître Yoda. Au fur et à mesure des années, on le voit se courber un peu plus, il est plus lent, mais dégage toujours une incroyable puissance d’esprit", confie Hervé Szydlowski, habitué du CHM et photographe, auteur d’un magnifique album sur les gens de Montalivet. Faut-il s’étonner ? C’est frère Jacques qui pose en couverture. Quitte à rompre son voeu d’humilité.
Le naturisme d’aujourd’hui, moins militant
Le naturisme, il ne s’en vante pas partout et le tait notamment à sa hiérarchie. Peur de scandaliser ceux qui ne comprennent pas les joies de vivre nu, en communion avec "la virginité du matin" ou "le ciel étoilé de la nuit". Ceux qui confondent aussi, peut-être, nudité et pornographie. S’il accepte les interviews de France 3, du Monde, ou de Charente Libre, c’est qu’il veut convertir. Frère Jacques fait partie de ces pionniers pour qui le naturisme est une écologie personnelle loin du paraître, en même temps qu’une "école de solidarité et de respect". Respect de soi, des autres et de la nature.
Ce n’est pas toujours le cas, aujourd’hui, dans ce centre familial aux apparences de petite ville, où les clients ont remplacé les militants des débuts. Entre les anciens et les nouveaux, on se frite parfois, les premiers accusant les seconds de déroger à l’éthique naturiste en se rhabillant un peu trop prestement à la sortie de la piscine et de la plage, ou… en multipliant les bornes Wi-Fi. Frère Jacques trouve que "la voiture a pris trop de place ici". Mais garde son portable à portée de main en lisant son bréviaire.
Autre temps, autres moeurs. "Le centre a été construit sur les décombres d’un gigantesque incendie. Les premières années, il a fallu nettoyer, trier les gravats. Il y avait encore des barbelés sur la plage, des restes de la guerre, mais il y avait aussi un formidable esprit d’entraide", se souvient le prêtre. Les conditions de vie étaient spartiates. Elles le sont toujours un peu dans son bungalow Hawaï 33. Aujourd’hui encore, la moitié du CHM n’est pas raccordé au réseau électrique et se débrouille avec de petits panneaux solaires. "ça me gêne un peu pour lire le soir", avoue le frère Jacques. Il vit au rythme d’une journée réglée comme du papier à musique, commençant par sa gymnastique à 6h30, "nu quel que soit le temps", une promenade dans l’herbe mouillée du matin, des prières et un déjeuner frugal.
Une vie d’ascète
Une vie d’ascète qui lui convient, lui, le végétarien qui jeûne une fois par semaine. Éthique naturiste jusqu’au bout des ongles. Vieux sage à barbe blanche, sosie de Moïse à qui l’on vient volontiers apporter à manger ou se confesser. "Permanence de 9h à 13h". C’est marqué sur l’écriteau. "Je viens ici en laïc, mais tout le monde sait que je suis prêtre. Couples en difficulté, enfants qui ne s’entendent pas avec leurs parents… L’autre jour, j’ai reçu un homme en péril, qui voulait se suicider." Ce soir-là, il a une messe à célébrer dans un bungalow, "mais en habits liturgiques".
"C’est avec lui que j’ai fait le moins de pellicules, avoue Hervé Szydlowski. Il me dit: “Je n’ai que 20 minutes à te consacrer.” Parce qu’il est toujours occupé et disponible pour les autres, c’est une référence morale ici." Un gardien du temple qui respire la sérénité malgré les épreuves traversées. Cancer, typhoïde aiguë attrapée en Mauritanie et cet accident de voiture en 1997, qui lui a cassé le dos, brisé les lombaires et l’a rendu aveugle d’un oeil. Dans un coin du bungalow, son corset attend, au cas où. "Tout ça ne m’a jamais enlevé mon optimisme", relève le frère Jacques. Il a beau être catho, il a un mental d’enfer, forgé par les rencontres: des moines de Tibhirine, en Algérie, qui l’ont "accueilli en convalescence", à Louis Massignon, l’ami du père Charles de Foucauld, en passant par Théodore Monod, avec qui il a marché "dans le silence du désert". "Un jour, j’écrirais peut-être un livre sur ces rencontres" glisse-t-il, songeur.
De grandes figures aussi célèbres que peu mondaines, dont il retrouve les valeurs dans le naturisme. "Avec le naturisme, on revient à l’essentiel, à un esprit pacificateur." Peut-être parce que la nudité rend vulnérable et désamorce l’agressivité qui sommeille en chaque "textile". Il faut bien le dire, dans cette ville de 14.000 habitants, où se croisent sans heurt un patriarche nu, des piétons, des cyclistes et des automobilistes, on pourrait se croire, parfois, dans le jardin d’Eden.
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