http://www.rue89.com/2013/10/14/rythmes-scolaires-quel-manque-respect-les-animateurs-246500
Autant le dire d’entrée : l’école dans laquelle j’interviens est plutôt exemplaire dans la mise en place de la réforme des rythmes scolaires. Après une rentrée laborieuse, les responsables éducation ville (REV) ont bien huilé le fonctionnement pour arriver aujourd’hui à une certaine normalité. Finies les mauvaises surprises, les informations de dernières minutes, les adaptations conséquentes. Maintenant, j’arrive assez serein, sachant à quelle sauce je serais mangé.
Making of
Depuis la rentrée, Joachim L. est intervenant sportif dans l’école primaire publique Porte d’Ivry, à Paris. Il travaille dans cette école le mardi et le vendredi, de 15 heures à 16h30 auprès de CE2, CM1 et CM2. Joachim livre dans ce témoignage son expérience.
Depuis septembre 2013, l’emploi du temps des écoliers parisiens, comme dans d’autres communes, repasse à quatre jours et demi. En fin d’après-midi, ils peuvent faire du théâtre, de la lecture, du sport ou des ateliers manuels. Rue89
Et pourtant, j’y vais toujours à reculons, sans aucun plaisir ni aucune illusion. Il y a dans mon attitude, à la fois un souvenir amer de cette rentrée précipitée qui nous a tous mis au bord du précipice et une absence totale de perspectives positives quant à l’utilité et au bien-fondé de mon action et de cette réforme en général.
Comment a-t-on pu la mettre en œuvre avec si peu d’anticipation et autant d’amateurisme ? Je ne suis arrivé dans ce processus que dans sa phase d’application, n’ayant jamais pris part à la phase préparatoire. Je n’ai pu que subir, comme un soldat jeté au front dans une bataille mal préparée, pour ne pas dire perdue d’avance.
Quel manque de respect, quand j’entends tous ces politiques et bureaucrates évoquer ces « couacs » inhérents à toute nouveauté, comme s’ils n’étaient pas prévisibles. Quel manque de respect pour les animateurs et intervenants que de les laisser seuls essuyer les plâtres mal posés, suite à l’incompétence de ces autres, les inconnus et invisibles concepteurs de la reforme. Quelle escroquerie d’oser parler de l’intérêt de l’enfant et de le confronter à autant d’approximations et à, disons-le, un tel bordel.
Je n’ai toujours pas de contrat de travail
Recruté « à l’arrache » (quatre jours avant la première séance) par une association dont je n’ai toujours pas rencontré de responsables et avec laquelle je n’ai toujours signé aucun contrat de travail. Embauché par téléphone, sans même envoyer d’extrait de casier judiciaire alors que je serai en charge, seul, de dix-huit enfants.
Appelé à intervenir en handball et en football et privé de matériel pour les premières séances. Obligé de prendre à chaque fois sur mon temps personnel pour enquêter et suivre la piste du matériel, et renvoyé comme une balle de ping-pong du responsable éducation ville à l’association qui jugent réciproquement l’autre responsable de ma situation. Mis dans des conditions telles, que je n’ai guère les moyens d’exercer le métier pour lequel j’ai été embauché : la mise en place d’activités sportives ludiques et éducatives.
Cette réalité est ce qui me rend si pessimiste quant à la suite, malgré les réels ajustements par rapport au début. Pour le handball, je dispose de la moitié d’un gymnase, d’une balle, de chasubles, et de 45 minutes de pratique effective maximum (quand on enlève les déplacements et les temps d’installation et de rangement) pour mettre en place une séance ludique et éducative pour dix-huit enfants.
Imaginez seulement le temps maximum que chaque enfant peut passer balle en main sur une séance (sans prendre en compte les différences entre les « forts » qui monopolisent la balle aux dépends des « faibles ») ? Assez paradoxal quand on sait que les enfants à cet âge-là ont surtout besoin et envie de manipuler et de toucher la balle.
Pour le football, j’ai les mêmes conditions mais plus de balles. Puis-je les utiliser ? Evidemment que non, sur un demi-terrain de handball, faire des jeux impliquant une balle par enfant ou même une pour deux reviendrait, soit à en garder une bonne moitié sur la touche, soit à créer un véritable chaos.
La discipline mine mes séances
Comment a-t-on pu concevoir que mettre dix-huit enfants sur un demi-terrain de handball pourrait permettre la mise en place d’activités de qualité ? Ces concepteurs savent-ils seulement à quoi ressemble un groupe de dix-huit enfants ? Et ce que représente la superficie d’un demi terrain de handball ? Ainsi, je suis complètement limité dans ce que je peux mettre en place et mes compétences sont tout simplement niées car rendues inutiles. N’importe qui pourrait prendre ma place, puisqu’au final, je ne fais que des matches sur fond de discipline.
Oui, beaucoup de discipline. Comme je suis dans l’impossibilité de proposer aux enfants des jeux attrayants qui pourraient capter leur attention (notamment en leur donnant à chacun une balle), ces derniers, que je récupère après une journée d’école et qui n’ont quasiment pas eu de pause à 15 heures puisqu’on doit « courir » au gymnase, sont agités.
Et comment gérer de manière « éducative » ces débordements et comportements sanctionnables quand il y a dix-huit enfants à gérer ? Prendre cinq minutes pour « parler » à l’enfant ou l’envoyer « au coin » pour qu’il ne nuise pas au groupe qui aura déjà, dans tous les cas, perdu quelques minutes de mon attention ? Toute cette discipline mine mes séances et m’oblige à me retrancher dans une relation d’autorité avec les enfants.
J’ai été mis en situation d’échec
Peut-être est-ce ma faute. Peut-être devrais-je questionner mon incompétence plutôt que mes conditions de travail. Je reconnais volontiers être en situation d’échec dans le cadre de ces temps. Pris dans une relation autoritaire avec les enfants et résigné à mettre en place des activités qui n’ont rien de ludiques et d’éducatives. Pourtant, et je tiens à le préciser, je ne suis pas un novice.
Je suis dans l’animation depuis sept ans, exerçant en tant qu’animateur ou directeur adjoint. Et surtout, je suis éducateur sportif dans une autre municipalité pour la deuxième année consécutive, ce qui signifie que mon travail est reconnu ailleurs. Je pense donc avoir plutôt été mis en situation d’échec. Dans de telles conditions, notamment un taux d’encadrement incohérent avec l’exigence de qualité annoncée, je ne vois pas de miracle possible, rien de bon ne pourra en sortir.
Alors quand j’entends parler de temps éducatifs, de répondre au besoin et à l’intérêt de l’enfant, je ris jaune, car je sais ce qu’il y a derrière le rideau de fumée…