Une bougie à la main.
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/11/2012
- 0 commentaire
J'utilise parfois une métaphore pour montrer aux enfants le chemin qu'ils parcourent dans les apprentissages cognitifs. Il s'agit des lampadaires. Sur le chemin de la connaissance, ils vont rencontrer un lampadaire qu'il s'agit d'allumer. C'est le travail qu'ils vont fournir qui va alimenter en énergie la colonne jusqu'à atteindre l'ampoule d'où jaillira la lumière. Cette lumière va éclairer le chemin qui se présente devant eux et ils devineront dans l'obscurité la silhouette du lampadaire suivant. Il faudra qu'ils s'aventurent sur le chemin en profitant de la lumière du lampadaire qu'ils viennent d'allumer, ils devront accepter de progresser dans une semi-obscurité, des zones d'ombres, ils devront éviter les pièges sur le chemin, des trous, des ornières, les fossés du bas-côté. Si l'exploration se révèle trop pénible, ils pourront toujours venir se ressourcer à la lumière du lampadaire allumé. Il n'y a aucun échec dans ce repos nécessaire, juste une accumulation des nourritures indispensables pour se projeter de nouveau sur la route. Avancer en terrain inconnu dans un état de stress, de peur, de tension, n'est nullement favorable. Les émotions génèrent des obstacles illusoires, comme des fardeaux qui viennent compliquer davantage la tâche.
On peut utiliser également la progression des alpinistes sur une montagne himalayenne. Ils partent du camp de base, ils vont se charger de tout le matériel nécessaire pour aller installer le premier camp. Ils vont monter lentement pour que leur organisme s'habitue à la pression de l'environnement. Quand ils atteindront un replat favorable à l'installation du camp, ils s'accorderont un repos prolongé afin que leur organisme récupère des efforts produits et accumulent les forces nécessaires pour la suite. Ils repartiront lorsque le cheminement aura été minutieusement observé aux jumelles, discuté, préparé, que chacun connaîtra sa tâche, que le matériel indispensable aura été réparti dans les sacs. Il est possible que la montée vers le camp 2 n'aboutisse pas au premier essai. Trop difficile. Ils poseront le matériel et redescendront au camp 1 reprendre des forces. Aucun échec dans cette décision mais l'acceptation des délais, la reconnaissance en eux de leurs faiblesses. Ils doivent s'accorder ce repos, peut-être même redescendre jusqu'au camp de base pour que ce repos soit encore plus bénéfique.
Le cheminement se répètera jusqu'au sommet.
Cette validation des connaissances, ce repli vers des territoires connus, ce repos nécessaire avant une nouvelle exploration, une nouvelle avancée en terrain inconnu, les enfants le vivent continuellement. Il est indispensable de leur faire comprendre qu'il n'y a aucun échec dès lors que l'individu reste engagé dans le cheminement à venir. Avancer coûte que coûte est un risque inutile et dangereux. C'est soit une prétention exacerbée, soit une inconscience. Nullement une sagesse.
Qu'en est-il au regard de l'apprentissage existentiel ? La différence essentielle, à mes yeux, se trouve sur l'absence de balisage. Dans l'aprentissage cognitif, chaque étape à venir est connue, répertoriée, cadrée, préparée. L'enfant avance dans un terrain qui lui est inconnu mais l'enseignant en connaît chaque étape.
Dans l'apprentissage existentiel ou spirituel, chaque individu avance dans un territoire qui a certainement été parcouru par d'autres explorateurs mais leur expérience ne peut pas l'aider. Il n'y a pas de chemin commun. Dans les apprentissages cognitifs, les routes sont partagées par des millions de voyageurs. Seul, le temps nécessaire à chacun variera. Quelles que soient les routes choisies, elles ont déjà été parcourues et les balisages installés.
Dans le domaine spirituel, je ne pense pas que les routes empruntées par les prédécesseurs puissent permettre une avancée certaine. Il ne s'agirait que d'une illusion. Le fait de connaître un peu les écrits de Krishnamurti ne me fait pas progresser sur le chemin que cet homme a emprunté. Je reste immanquablement sur un chemin personnel. Sans doute que les réflexions qui me sont proposées participeront à l'accumulation de l'énergie interne indispensable à l'éclairage de mes lampadaires mais ça ne sera jamais les lumières des autres explorateurs.
Le marcheur spirituel est seul sur son chemin. C'est peut-être cette solitude qui rebute tant les humains.
L'accumulation des savoirs cognitifs favorise les rencontres et surtout les comparaisons entre individus, ce qui contribue à l'image de l'ego. Il s'agit d'une connaissance partagée mais la compréhension de soi reste bannie dès lors que la connaissance devient le seul enjeu.
Dans l'exploration spirituelle, il n'y a aucun palier identifiable, aucun diplôme, aucune étape commune. Et par conséquent aucune comparaison possible.
"Ah, je suis plus éveillé que toi ! "
Absurdité totale qui confère à son propriétaire la nécessité de retourner au premier lampadaire...Il n' a rien compris. D'un point de vue spirituel.
Je vis finalement la même chose lorsque j'écris. Depuis bien longtemps, je n'ai lu un roman. Aucun bonheur à le faire. Il ne s'agit pas d'un rejet critique ou d'une prétention absurde mais bien la nécessité d'avancer sur mon chemin, sans croire que je pourrai user des énergies déployées par d'autres. Si je cherchais à m'attribuer la lumière d'un autre pour parvenir à avancer, je ne ferai que m'égarer, je ne marquerai pas mon propre chemin, je marcherai dans des traces déjà inscrites. Je provoquerai moi-même l'égarement et je me plaindrai immanquablement un jour de ce manque de soutien, de cette absence de solidarité qui me condamne à errer dans les noirceurs.
J'écris avec une bougie à la main. Les ombres sont chancelantes, instables, le moindre souffle fait vaciller la flamme, mais je sais que derrière moi, les refuges sont ancrés, je sais où je peux me reposer et attendre l'épuisement des tempêtes. J'ai appris la patience. Vingt ans que j'écris. Chose surprenante, la cire de la bougie diminue au fil du temps, les années ruissellent, mais la lumière s'amplifie, insensiblement. Il m'arrive parfois de me projeter vers ce jour où la mèche de la bougie trempera dans un calice infime de cire et j'imagine la clarté. Se consumer pour rayonner au plus loin des horizons offerts.
Ajouter un commentaire