Une flottaison solaire
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/05/2019
- 0 commentaire
Le massage nous a fait prendre conscience de certains phénomènes. En cinq ans de pratique hebdomadaire, nous avons eu toute latitude pour explorer les divers effets.
La pensée tout d'abord. C'est elle qui m'intéresse ici.
Il est clair que des pensées insoumises nuisent considérablement aux bienfaits du massage. Aucune conscience réelle, comme si le corps lui-même, était éloigné de ce qu'il reçoit. Il y a bien la perception des mains mais rien n'est absorbé. C'est juste un balayage chaotique et superficielle du corps.
L'individu qui masse en conscience n'en est nullement responsable. C'est bien celui qui reçoit qui se doit d'être en état de réception.
Il convient donc de passer à une pensée tournée vers le massage. Il s'agit d'accompagner les mains qui massent, en suivre le parcours, comme une radiographie, un "body scan". C'est un état de conscience par identification.
Mon pied, mon épaule, ma nuque etc... C'est éminemment positif dans l'amélioration de la conscience de soi et dans la multiplicité des ressentis selon les zones concernées.
Il faut pratiquer le massage de longue date pour réaliser à quel point, nous connaissons mal notre corps. La surface n'est pas le territoire. Quelles sont les zones de notre corps dont nous connaissons les moindres détails ? Qu'en est-il de l'intégralité du corps ?
Les pensées intentionnelles, même tournées vers le massage, ne sont pas encore le point ultime. Il existe un autre état : la visualisation non pensée.
Il s'agit cette fois de se défaire de l'identification des zones massées et de rester uniquement dans la perception, les ressentis, sans même les commenter. Et c'est bien plus ardu. Le mental est incroyablement bavard... Et il s'inquiète très vite de son rejet, même provisoire. Il commente, il commente...
"C'est le coude, j'aime bien le coude...Ah, le creux poplité, j'adore..."
Recevoir sans commenter. Rien, pas la moindre pensée, pas le moindre mot intérieur. Voilà l'étape suivante. Entrer dans la visualisation non pensée.
C'est un long cheminement. Il n'y a pas "d'interrupteur" pour couper les pensées. L'attention portée au corps et aux perceptions est un outil remarquable et incontournable.
C'est une forme de méditation partagée puisque le masseur est lui aussi dans un état similaire.
En ne commentant pas la perception, il arrive qu'un autre état survienne.
C'est celui que j'appelle "la flottaison solaire".
Là, il n'y a plus de perception limitée sur une zone précise avec une détente parcellaire, comme des pièces de puzzle qui s'emboîteraient les unes après les autres, les pieds, les jambes, les fesses, le dos etc ... mais un état de bien être total, intégral, hors de la visualisation des mains du masseur et de son propre corps, hors de cette "dépendance" au regard des mouvements du masseur.
Le masseur masse, le massé flotte.
Cela signifie que l'emboîtement des pièces corporelles est achevée. Il n'y a pas pour autant l'apparition d'une image intégrale mais au contraire l'effacement de l'individu. Le mental s'est effacé, le corps suit le même chemin.
Mais que reste-t-il ?
L'énergie.
C'est elle qui rayonne, c'est elle qui diffuse cette clarté diaphane.
Les yeux fermés, la lumière intérieure est céleste, épurée, d'une blancheur solaire. Rien d'aveuglant. Une lumière qui n'est pas réellement descriptible et je ne sais pas si elle est identique d'un individu à un autre. Ça n'est pas une lumière que je vois. Elle est en moi. Peut-être même que je ne suis qu'elle.
Il arrive d'ailleurs que les mains de Nathalie viennent se méler à l'énergie. L'impression très précise qu'elles participent à l'agitation des particules, que leur chaleur entretient la flottaison. Et puis, de nouveau, tout s'efface. C'est comme un réveil de sieste, lorsque l'esprit n'a pas encore réinvesti le corps. On ne parvient pas à bouger, en dehors d'un effort conséquent, comme si tout était lourd mais ça n'est pourtant pas de la pesanteur.
C'est un état d'absence au corps et de présence à soi.
Il est étrange de réaliser que le massage, au départ fondamentalement axé sur le corps, conduit à son effacement et à l'émergence d'un autre état.
Plus étrange encore est de réaliser que le même phénomène est accessible dans l'étreinte amoureuse.
Ne pas penser, ne pas identifier les zones concernées, ne rien attendre, se laisser flotter dans une aura énergétique où les deux entités s'emmêlent.
Dans une flottaison solaire, longue et intemporelle à la fois, une absence d'où germe l'ultime présence.
L'orgasme génital est un orgasme pensé.
Dans la flottaison solaire, l'orgasme est énergétique.
Le massage est un chemin à emprunter.
Les horizons ne sont pas connus. Il faut avancer, explorer, expérimenter.
Sans aucune inquiétude, sans aucune volonté de performance, sans aucun objectif qui viendrait s'ancrer dans le mental et nourrir les pensées.
Ne rien vouloir.
Juste s'aimer.
Ajouter un commentaire