Vertiges de l'Amour à vélo.

Oui, je sais, c'est un titre un peu inhabituel ici ^^

Mais encore une fois, j'ai pu réaliser aujourd'hui à quel point cette activité ouvre un espace extraordinaire.

La Savoie n'est pas réputée pour ses mornes plaines et une virée en vélo, par ici, est toujours redoutable, dès lors qu'on s'attelle à maintenir un rythme élevé. Bosses, descentes, faux plats montants, murs, longues montées en lacets et quelques plats en fond de vallée.

On entre vite dans la concentration si on veut tenir...

"Appuie, monte la jambe, souffle, souffle, serre le ventre, pousse avec les abdos, ne bouge pas les épaules, arrondis le dos, ne t'occupe pas de la brûlure, oublie-la, oublie tout, laisse les gestes trouver leur auto-suffisance."

C'est là qu'il est possible de franchir un seuil. Lorsque tout se fait mécaniquement, lorsque le corps a trouvé cette symphonie intérieure, un accord parfait entre les muscles, le souffle, la circulation du sang, l'exploitation totale de l'énergie cachée.

Il arrive toujours un moment où il n'y a plus rien de pensé, plus aucune intention, plus rien de réfléchi. Tout se fait. C'est d'ailleurs à partir de là que la vitesse augmente encore. Parce qu'il n'y a aucune inquiétude, aucune idée d'économie, aucune réticence à aller puiser au plus profond. Il ne s'agit pas d'ivresse parce que sinon, la maîtrise du geste volerait en éclat. Je l'appelle l'euphorie. Un sentiment extraordinaire de puissance. Combien de fois il m'est arrivé de sourire et même de rire dans ce bien-être.

Aujourd'hui, j'essaie d'appliquer cette méthode à d'autres domaines. Tout lâcher. Ne rien retenir, plonger au plus profond et découvrir l'immensité de ce pouvoir. Etre là et soustraire toute forme de pensées réductrices, craintives, toute idée d'économie.

On pourrait penser que c'est épuisant mais c'est secondaire à mes yeux. Ce qui m'importe, c'est de ne rien manquer de ce que je suis.

Alors bien sûr, en fin de virée, tout à l'heure, j'ai pris des crampes. Mais je n'avais rien mangé depuis le matin. Hypoglicémie. La leçon est évidente. Il ne faut rien négliger...

Il est en tout cas déconcertant de constater, quand on observe ce jaillissement de l'énergie, qu'il est dépendant du retrait complet du mental, comme si celui-ci, dans ses arabesques chaotiques, instaurait un fardeau, une sorte d'enceinte et que le corps ne pouvait pas se révéler à lui-même tant que le mental l'entravait.

Il n'est jamais aussi beau de faire l'amour que dans cette complète absence de pensées. Et c'est là que l'osmose des partenaires est la plus flamboyante. Parce qu'ils sont eux-mêmes en osmose avec ce corps et l'énergie qu'il contient.

On ne s'endort jamais aussi bien que dans cette absence de pensées.

On ne travaille jamais aussi bien que dans cette absence de parasites, lorsqu'il ne reste qu'une unique pensée, associée à ce travail à mener.

Il me semble que cette exploration corporelle est un cheminement indispensable. Je ne parle pas d'une activité physique liée à une activité professionnelle, quotidienne ou même une activité physique modérée. Il s'agit bien d'une recherche effrénée de l'énergie, une tentative prolongée pour entrer dans ce champ démentalisé.

Les adeptes du zazen le pratiquent mais il me manquerait le bonheur du geste et les horizons des montagnes; Ca n'est pas pour moi. Ou pas encore tout du moins. Peut-être qu'avec l'âge et les limitations naturelles.

Je sais bien aussi que dans le cas d'efforts physiques intenses, les endorphines entrent dans la danse et que leurs effets sont puissants mais dans ce que je cherche à atteindre, il y a une part volontaire, il ne s'agit pas uniquement de pousser la machine jusqu'à l'extase endomorphique mais d'accompagner ce fonctionnement naturel par un travail mentalisé, dans un premier temps, puis une concentration sur un geste particulier pour finir par m'extraire de ce travail pour n'être plus que le geste simple.

S'il ne s'agissait que de l'effet des endorphines, il me faudrait bien plus de vingt minutes de vélo pour y parvenir.

Je ne suis pas mes pensées, c'est une évidence. Je ne suis pas non plus mon corps étant donné que celui-ci se renouvelle et se transforme constamment. Les scientifiques nous ont expliqué qu'en sept ans, les cellules d'un individu se sont totalement transformées. Les cellules apparaissent et meurent mais "je" survis.

Le corps est une partie de ce "je" qui survit mais il n'en est pas la Source. Il est absurde et totalement insignifiant de nous identifier à notre enveloppe tout autant qu'à notre mental.

La seule entité qui soit identifiable durant toute la vie d'un être vivant, c'est l'Energie. Et c'est elle qui me fascine. Mes "performances" physiques n'ont aucun intérêt pour elles-mêmes. Elles ne sont qu'un moyen. Le moyen d'entrer dans cet Amour de l'Energie, dans ce vertige incommensurable, non pas un vertige nauséeux mais une montée verticale vers les altitudes de la conscience. En sachant qu'il n'y a aucune limite, aucun plafond, aucune zone infranchissable. C'est un sommet sans fin.

Je ne sais pas où j'en suis et ça m'est totalement égal. Je suis là où je peux être.

C'est ce vertige de l'Amour qui m'émeut jusqu'aux larmes.


 

Vertiges2

VERTIGES

EXTRAIT

"Le glacier s'étire devant lui, nonchalamment, maquillé par endroits d'embruns scintillants. Des clairières de lumière guident les présents de l'astre vers des étendues insatiables. Dans cette cérémonie amoureuse, tout n'est qu'offrande.

Comme un somnambule fasciné, il chemine lentement entre les crevasses ouvertes. Il perçoit dans ses os les craquements de la glace et son sang est teinté par la nuit bleutée. Il se croyait vidé de tout mais il comprend maintenant qu'il s'est simplement retourné...Son intérieur est dehors...il a déjà ressenti cela, autrefois, sur un sommet...Peut-être n'est-ce pas si loin d'ailleurs. Il ne parvient plus à distinguer le temps qui passe. Il est assailli de sensations inconnues. Il saisit avec une précision extrême la rotation de la Terre, les courants d'air dans l'atmosphère, les soulèvements des océans aimantés par la lune, les mouvements indicibles de la croûte terrestre. Il en est presque effrayé. Tout ce qu'il capte est si éloigné de l'humain.

Pourquoi lui donne-t-on à connaître tout cela ? Qui est responsable ?

Il ne distingue plus son corps.

Il regarde sa main et il aperçoit dans les rides des sillons d'étoiles filantes. Il emmène cette main vers l'endroit supposé de sa joue mais il ne reçoit aucune information connue. Il a peur de disparaître dans l'espace et simultanément, il comprend que c'est déjà fait. 

Il ne s'agit plus seulement d'une cellule au bout d'un doigt, travaillant aveuglément pour cette zone limitée, ignorante du corps qui la porte, il ne s'agit plus d'un individu vivant à l'intérieur d'un espace inconnu, insensible à l'immensité qui le contient. Il est entré ailleurs...Dans une dimension synergique, dans un état d'ultime clairvoyance.

La cellule, au bout du doigt, est intimement liée au Tout...Et dans son entité, simple et unique, le Tout est inscrit.

Il devine alors combien il n'est pas lui mais bien plus. Sans savoir ce que c'est. Il est incapable de poursuivre sa découverte. Tout va trop loin. Il a l'impression brutalement que sa conscience est en expansion, qu'elle s'est inscrite dans le même élan qui porte l'Univers, qu'à l'intérieur de son crâne un processus s'est engagé, qu'il ne contrôle rien et que ce n'est qu'un début.

Il voudrait être sûr de ne rien oublier mais sitôt pensée, l'idée disparaît. Il en ressent une profonde injustice. Plus il tente de se concentrer, moins il comprend. Il doit s'abandonner, il le sent, tout ce qui se passe d'ailleurs n'est que ressenti. La raison est trop restrictive, il faut s'en dépouiller, ne rien vouloir, ça serait encore trop humain et l'humain est si faible. Il faut autre chose et c'est en lui. Il en est certain. Mais où ?

Devenir la sensation pure.

Ne pas vivre dans le monde mais vivre du monde.

Non, la solution n'est pas en lui, il le sent, il le sait, la solution, c'est le monde.

Etre soi, c'est se défaire de soi et entrer dans la complicité avec l'espace, avec la matière vivante qui grandit inexorablement, comme sa conscience.

L'Univers est en lui, il le comprend enfin et il s'étend avec lui, sur sa lancée.

Il dérive dans des courants de lumières inconnues. L'étendue des révélations qui s'éveillent le bouleverse.

Une étrange impression de chaleur se pose sur son visage. Pourtant, rien à l'horizon, n'indique la venue du soleil. Il voudrait comprendre mais aussitôt prononcée, cette volonté anéantit toutes ses chances de saisir. Il ne doit pas vouloir...Il cesse de penser et se laisse porter par sa marche lancinante.

Il écoute avec sa peau, et de nouveau une tiédeur le frôle.

Des courants solaires se sont glissés dans la nuit. Eclaireurs de l'astre, ils annoncent au monde l'élévation prochaine. Des effluves bienfaisants caressent sa peau. Il est heureux."

 

...

 

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