Blog

  • La vie à vélo.

     

     

    Une belle semaine sportive :

     

    4 avril 2024 à 11:12 : Trail le midi

    Distance 20,11 km

    Allure 7:22 /km

    Temps 2h 28min

    5 avril 2024 à 17:20 Vélo dans l'après-midi

    Sortie de récupération du trail d'hier, le mollet gauche n'est pas content, il va de travers.

    Distance 37,67 km

    Dénivelé 507 m

    Temps 1h 32min

    Hier à 10:12 Vélo du matin

    Distance 64,91 km

    Dénivelé 833 m

    Temps 2h 49min

    Aujourd'hui à 10:36 Vélo du matin

    Distance 84,17 km

    Dénivelé 1 144 m

    Temps 3h 28min

     

    Et l'extase aujourd'hui, cet état si extraordinaire. Je me suis dit qu'il fallait que je raconte ça...Et puis, j'ai pensé que j'en avais déjà parlé ici. Alors, j'ai recherché les anciens articles et je les ai copiés dans l'ordre de parution.

     

     

    Vertiges de l'Amour à vélo.

     

    Le 22/10/2011

     

    Oui, je sais, c'est un titre un peu inhabituel ici ^^

    Mais encore une fois, j'ai pu réaliser aujourd'hui à quel point cette activité ouvre un espace extraordinaire.

    La Savoie n'est pas réputée pour ses mornes plaines et une virée en vélo, par ici, est toujours redoutable, dès lors qu'on s'attelle à maintenir un rythme élevé. Bosses, descentes, faux plats montants, murs, longues montées en lacets et quelques plats en fond de vallée.

    On entre vite dans la concentration si on veut tenir...

    "Appuie, monte la jambe, souffle, souffle, serre le ventre, pousse avec les abdos, ne bouge pas les épaules, arrondis le dos, ne t'occupe pas de la brûlure, oublie-la, oublie tout, laisse les gestes trouver leur auto-suffisance."

    C'est là qu'il est possible de franchir un seuil. Lorsque tout se fait mécaniquement, lorsque le corps a trouvé cette symphonie intérieure, un accord parfait entre les muscles, le souffle, la circulation du sang, l'exploitation totale de l'énergie cachée.

    Il arrive toujours un moment où il n'y a plus rien de pensé, plus aucune intention, plus rien de réfléchi. Tout se fait. C'est d'ailleurs à partir de là que la vitesse augmente encore. Parce qu'il n'y a aucune inquiétude, aucune idée d'économie, aucune réticence à aller puiser au plus profond. Il ne s'agit pas d'ivresse parce que sinon, la maîtrise du geste volerait en éclat. Je l'appelle l'euphorie. Un sentiment extraordinaire de puissance. Combien de fois il m'est arrivé de sourire et même de rire dans ce bien-être.

    Aujourd'hui, j'essaie d'appliquer cette méthode à d'autres domaines. Tout lâcher. Ne rien retenir, plonger au plus profond et découvrir l'immensité de ce pouvoir. Etre là et soustraire toute forme de pensées réductrices, craintives, toute idée d'économie.

    On pourrait penser que c'est épuisant mais c'est secondaire à mes yeux. Ce qui m'importe, c'est de ne rien manquer de ce que je suis.

    Alors bien sûr, en fin de virée, tout à l'heure, j'ai pris des crampes. Mais je n'avais rien mangé depuis le matin. Hypoglicémie. La leçon est évidente. Il ne faut rien négliger...

    Il est en tout cas déconcertant de constater, quand on observe ce jaillissement de l'énergie, qu'il est dépendant du retrait complet du mental, comme si celui-ci, dans ses arabesques chaotiques, instaurait un fardeau, une sorte d'enceinte et que le corps ne pouvait pas se révéler à lui-même tant que le mental l'entravait.

    Il n'est jamais aussi beau de faire l'amour que dans cette complète absence de pensées. Et c'est là que l'osmose des partenaires est la plus flamboyante. Parce qu'ils sont eux-mêmes en osmose avec ce corps et l'énergie qu'il contient.

    On ne s'endort jamais aussi bien que dans cette absence de pensées.

    On ne travaille jamais aussi bien que dans cette absence de parasites, lorsqu'il ne reste qu'une unique pensée, associée à ce travail à mener.

    Il me semble que cette exploration corporelle est un cheminement indispensable. Je ne parle pas d'une activité physique liée à une activité professionnelle, quotidienne ou même une activité physique modérée. Il s'agit bien d'une recherche effrénée de l'énergie, une tentative prolongée pour entrer dans ce champ démentalisé.

    Les adeptes du zazen le pratiquent mais il me manquerait le bonheur du geste et les horizons des montagnes; Ca n'est pas pour moi. Ou pas encore tout du moins. Peut-être qu'avec l'âge et les limitations naturelles.

    Je sais bien aussi que dans le cas d'efforts physiques intenses, les endorphines entrent dans la danse et que leurs effets sont puissants mais dans ce que je cherche à atteindre, il y a une part volontaire, il ne s'agit pas uniquement de pousser la machine jusqu'à l'extase endomorphique mais d'accompagner ce fonctionnement naturel par un travail mentalisé, dans un premier temps, puis une concentration sur un geste particulier pour finir par m'extraire de ce travail pour n'être plus que le geste simple.

    S'il ne s'agissait que de l'effet des endorphines, il me faudrait bien plus de vingt minutes de vélo pour y parvenir.

    Je ne suis pas mes pensées, c'est une évidence. Je ne suis pas non plus mon corps étant donné que celui-ci se renouvelle et se transforme constamment. Les scientifiques nous ont expliqué qu'en sept ans, les cellules d'un individu se sont totalement transformées. Les cellules apparaissent et meurent mais "je" survis.

    Le corps est une partie de ce "je" qui survit mais il n'en est pas la Source. Il est absurde et totalement insignifiant de nous identifier à notre enveloppe tout autant qu'à notre mental.

    La seule entité qui soit identifiable durant toute la vie d'un être vivant, c'est l'Energie. Et c'est elle qui me fascine. Mes "performances" physiques n'ont aucun intérêt pour elles-mêmes. Elles ne sont qu'un moyen. Le moyen d'entrer dans cet Amour de l'Energie, dans ce vertige incommensurable, non pas un vertige nauséeux mais une montée verticale vers les altitudes de la conscience. En sachant qu'il n'y a aucune limite, aucun plafond, aucune zone infranchissable. C'est un sommet sans fin.

    Je ne sais pas où j'en suis et ça m'est totalement égal. Je suis là où je peux être.

    C'est ce vertige de l'Amour qui m'émeut jusqu'aux larmes.

     

     

    La zone

    Le 25/03/2012

    "« Ce n'est pas un état dans lequel on se met, c'est un état qu'on trouve. Et si vous prenez conscience que vous êtes en train d'accomplir quelque chose d'extraordinaire, vous vous déconcentrez, et vous sortez donc de “la zone.” »

    Un tour de vélo aujourd'hui et il y avait longtemps que je n'avais pas expérimenté cette fameuse "zone" à vélo. L'avantage de prendre de l'âge, c'est que le potentiel physique se réduit et que le temps nécessaire pour basculer dans cet état "second" se raccourcit. C'est en tout cas le cas pour moi. Je l'ai vécu dernièrement dans une sortie de trail. Cet espace temps pendant lequel la fatigue se révèle intense, où les muscles sont en feu et où pourtant, il devient impossible de ralentir parce que le plaisir est plus puissant que la brûlure musculaire, où l'euphorie est plus stimulante que l'envie de tout relâcher.

    Et c'est délicieux.

    Mais la suite l'est encore plus. Jusque-là, cette euphorie est consciente, on est encore dans la pensée, on est concentré, on s'applique, on cherche le geste juste, on se parle intérieurement, on récite les connaissances, on fait appel à l'expérience, on est dans le savoir. On pourrait penser que sur un vélo, il n'y a pas grand-chose à savoir : on pédale et c'est tout. J'en suis environ sur le plan kilométrique à cinq fois le tour de la Terre et je sais combien le cyclisme n'est pas qu'une histoire de force musculaire. C'est certain qu'entre les premières sorties en janvier et maintenant, les muscles sont plus affûtés. Mais ça ne fait pas tout. Le contrôle mental, l'observation de la consommation d'énergie, la position du corps, le relâchement des épaules, la rotation des jambes et le mouvement du pied, la poussée de la jambe vers le bas et la traction de l'autre vers le haut, l'analyse du relief, l'usage juste des vitesses, le souffle, l'usage du poids du corps en danseuse, il existe de multiples paramètres incontournables. Et lorsque tout ça est en place, alors, l'entrée dans la "zone" est envisageable.

    Mais il reste un point essentiel : que le corps devienne le maître et que le mental se retire puis que tout disparaisse. Corps et mental et que tout se fasse dans un "no man's land" que j'appelle la "zone tampon". Et c'est cette dimension que j'aime par-dessus tout dans les activités d'endurance. 

    Il s'agit en fait d'être là, totalement là.  

    La "zone, ça n'est pas pour moi un état "qu'on trouve", c'est elle qui nous trouve. Parce que la volonté est une pensée, et de vouloir trouver la zone, c'est l'empêcher d'advenir. 

    Inspiration, expiration...Les mouvements du ventre et de la poitrine. Tant que j'y pense, comme à tout ce que j'ai cité avant, c'est un état de pensée. Et la "zone" est un état de "non pensée". C'est un état de perfection.

    La concentration est une forme de pensée silencieuse qui visualise un phénomène intérieur et le fait d'en prendre conscience et de le verbaliser est une autre forme de pensée.

    Arrêter volontairement de se concentrer c'est encore un état de pensée. Et même à chercher à saisir ce qui reste implique la réflexion et le fonctionnement cérébral.

    Il faut aller vers l'état de conscience qui consiste à réaliser qu'on ne pense à rien... Puis il faut se placer dans cet espace où s'établit la césure entre la conscience et la pensée...Car comment concevoir qu'une pensée puisse prendre conscience d'elle-même ? Une pensée pense mais elle n'agit pas en dehors d'elle-même, elle ne peut pas se séparer de ce qu'elle est ou alors, c'est qu'elle ne penserait plus. La pensée ne peut pas se conscientiser sans s'évaporer. Une pensée concientisée n'est plus une pensée, elle est la conscience. Et nous devrions ne penser que consciemment pour penser vraiment. Sinon, ça serait comme imaginer qu'une pomme puisse se manger elle-même. Elle ne peut qu'être mangée. La pensée, de la même façon, ne peut pas vouloir s'observer elle-même au risque de se dévorer. C'est donc qu'il y a une autre entité. Et c'est là que la conscience surgit.

    Alors, dans cet espace qui marque la césure entre ma pensée et la conscience que j'en ai, il y a un lieu où rien ne se passe. Ni pensée, ni même conscience. Rien. C'est la zone tampon. C'est là que se situe le "no man's land". Et rien n'est plus intense que cet homme-là alors qu'il semble ne plus être là... Il est même possible et incommensurablement intense de le vivre dans le cadre de la sexualité. Lorsque l'étreinte amoureuse n'est plus la rencontre entre deux individus mais l'état de pureté absolu de l'amour. Et lorsque l'activité physique entre dans cette dimension-là, qu'il s'agisse du trail, du vélo, de la marche en montagne, comme de n'importe quelle activité associée à la durée, c'est d'amour qu'il s'agit. L'amour de la vie en soi, la puissance de l'énergie et elle peut s'avérer ne plus avoir de limites connues. C'est là que courent par exemple les ultra-trailers, au-delà du connu, dans une dimension nourrie par la puissance de vie, nourri par l'amour de la vie en soi. 

    Et c'est pour cela que j'aime autant l'endurance dans le sport. Il y a inévitablement dans cet état des moments de rupture, des instants pendant lesquels la conscience revient puis les pensées et alors il faut de nouveau se concentrer, rétablir les rituels, l'usage contrôlé du souffle, l'application physique, la quintessence des gestes, une forme de douceur envers soi-même, sans chercher à forcer, pour que le mental retourne se coucher, puis laisser venir l'absence ou la présence mais une présence qui ne relève pas de la conscience de soi. Juste de la conscience d'être au-delà. Et l'au-delà de soi n'a pas besoin de conscience. C'est la beauté ineffable de la "zone". 

     

     

    Tour de vélo

     

    Le 19/05/2012

     

    Il faisait beau, j'ai pris mon vélo. Evidemment, la machine à penser s'est mise en route en même temps que les jambes.

    Toujours cette interrogation par rapport à l'espoir et l'intention.

    Et puis, alors, que j'attaquais une belle côte, le flash, la lumière !!

    Tout au long de mon parcours de vie, j'ai été confronté à des épreuves qui m'ont placé dans une situation de dépendance au regard de la médecine. Mon frère d'abord. Puis moi ensuite. Et là, j'ai compris que je détestais la notion d'espoir parce que j'en ai immensément souffert. Cet espoir que les médecins allaient sauver mon frère, puis qu'ils allaient me sauver. Je ne pouvais rien faire, j'étais dans une impuissance totale, du moins c'est ainsi que je le vivais. Même si je m'engageais autant que possible, cet espoir restait omniprésent et prioritaire. Mes actes passaient au second plan. 

    Je n'avais aucune intention étant donné que je m'en remettais à leur toute puissance. Habitude éducative de l'abandon, l'image sacrée de la science.

     Cet espoir concernait par conséquent l'intention des autres. Pas la mienne.

    J'ai appris peu à peu, au fil du temps à élaborer un autre cheminement. A me détacher intégralement de toute forme de soumission et de dépendance. Les espoirs appartenaient aux autres. Moi, je m'en tenais à l'intention. C'est à dire à ce que je pouvais mener à terme sans aucune aide extérieure.

    J'ai repensé à cette expérience du canyoning, lorsqu'on s'est fait coincer Nathalie et moi et qu'on a failli se noyer sous les yeux de Léo. Je sais que je n'ai eu aucun espoir mais une détermination absolue, une force et une capacité de décision phénomènale, au-delà de tout ce que j'avais connu.

    DÉLIVRANCE  (cliquer sur le titre)

    J'avais une intention, celle de sauver Nathalie et de rester en vie. Et chaque geste, chaque décision, chaque pensée se joignait à une énergie fabuleuse. J'étais détaché de toute forme d'espoir. Et tout dépendait de moi. Nathalie comptait sur moi, même si elle aussi se retrouvait largement au-dessus de ses possibilités habituelles. Un saisissement extrême de chaque instant, une vie qui ne pouvait pas se projeter dans un futur inexistant. Etre là était la seule chance de rester en vie. L'espoir aurait été un dévoreur d'énergie.

    Je sais que tout remonte à l'hôpital avec Christian que je veillais, jours et nuits. Toute ma vie a pris forme là-bas. J'avais seize ans. 

    La vie m'a apris à me défaire de l'espoir et à me battre pour des intentions.

    L'espoir est attaché à des dépendances envers autrui.

    L'intention est ma propriété, je l'élabore, je la possède, j'en suis le seul garant.

    Maintenant, tout est  clair. Mais il me reste à ré-appendre l'acceptation envers les personnes qui désirent m'aider...Délaisser les méfiances tout en restant vigilant. Ne pas absorber leurs espoirs, c'est leur propriété.

    C'est en passant les 55 km que je me suis aperçu que je ne pensais plus à rien. Un grand éclat de rire.

     

    Le chant du cygne

    Le 27/05/2012

     

    Le chant du cygne (expression d’origine grecque) désigne la plus belle et dernière chose réalisée par quelqu’un avant de mourir. En art, il s'agit donc de la dernière œuvre remarquable d’un poète ou d’un artiste.

    Et bien, j'ai découvert qu'en vélo, il arrive un moment où l'épuisement confère à l'individu l'entrée dans une dimension étrange, une sorte de "petite mort."

    Je ne sais pas combien de fois j'ai exploré cette dimension mais samedi, c'était assez particulier. C'est là que m'est venue à l'esprit cette expression du chant du cygne.

    J'étais à bloc depuis une vingtaine de kilomètres, quarante déjà dans les jambes et j'avais décidé de finir en beauté :) Un final très montant. Une bosse de six kilomètres que j'ai tenté de franchir sans jamais relâcher la pression, la bave aux lèvres, les tympans saturés par la force de mes souffles, la brûlure constante des cuisses. Je savais, avec l'expérience, qu'il ne fallait pas lever la tête, ne jamais regarder en avant, ne jamais subir cette vision destructrice de la pente, rester appliqué sur la poussée des jambes, juste le mètre en cours, le ruban de goudron qui défile sous mes yeux, rester dans l'instant, ne pas espérer la fin de la montée au risque de voir fondre mon énergie, comme avalée par cet espoir néfaste.

    J'ai franchi le sommet et j'ai basculé aussitôt dans la pente, grand plateau, cinquante kilomètres à l'heure, cinquante-cinq, soixante, l'enchaînement des virages, une euphorie bienheureuse, aucune envie de récupérer mais bien au contraire de continuer à puiser dans le creuset bouillant. Un long faux plat montant et puis une nouvelle bosse de trois kilomètres.

    Toujours à fond.

    C'est là que j'ai senti qu'il n'y avait plus rien, plus aucune pensée, plus aucune attention forcée, aucune concentration sur le geste mais pour le ressentir, il a fallu que je prenne conscience de mon absence. Un retour éphémère de la pensée et puis son effacement quasi immédiat, comme si cette pensée n'avait plus de raison d'être, qu'elle n'était qu'une intruse inutile, totalement déplacée, une excroissance qui s'était vidée de toute son énergie. Je voyais ruisseler devant moi des filets de sueur, je sentais autour de moi cette odeur particulière du corps, ce parfum âcre, entêtant, lorsque l'effort impose d'aller chercher dans les abysses les forces disponibles, comme si ces forces agglutinées dans les tréfonds possédaient une odeur de cave. Je sais quand cette odeur survient que je ne suis pas loin du point de rupture et que le chant du cygne va survenir. 

    Je ne savais pas où j'étais dans la montée, je n'avais plus de lien réel avec le monde environnant. Et les frissons sont apparus, comme une bourrasque, des cascades caloriques déboulant du crâne jusqu'aux orteils, rebondissant dans les recoins, saturant de jouissance chaque cellule. J'ai éclaté de rire et mon rire m'a surpris.

    J'ai vu sur le compteur que la vitesse augmentait et j'ai appuyé encore plus fort, j'ai laissé couler de ma gorge les râles et la mélodie des souffles, un leitmotiv câlé sur le mouvement de mes jambes. Rien, aucune douleur, aucune brûlure, une montée verticale dans les gouffres intérieurs. Des flashs de pensées zébrant l'euphorie comme des éclairs disparates, incontrôlés et ne laissant aucun souvenir.

    Je suis arrivé au sommet de la bosse. Et tout s'est effondré.

    Il restait trois kilomètres. Je les ai parcourus comme un moribond. Comme un voyageur revenant d'un séjour étrange, une terre inconnue et redécouvrant misérablement sa condition humaine.

    Mais l'écho du rire est toujours là. Et les frissons. Rien ne meurt quand la pensée n'est plus là.  

     

    Vélo, tantrisme et pleine conscience.

     

    Le 05/05/2018

     

    Ce matin, je me suis dit qu’il était temps, pour cette sortie à vélo, de passer le cap des soixante kilomètres. Je me suis donc mitonné un parcours bien vallonné et un final où je m’imaginais bien exploser en vol comme c’est déjà arrivé. Sur ce parcours, les huit derniers kilomètres qui ramènent à la maison cumulent quatre côtes, courtes et raides, des casse-pattes redoutables quand on est déjà carbonisé.

    Je me suis depuis longtemps appliqué en vélo à ne pas gaspiller d’énergie par des mouvements de tête ou d’épaules, des crispations du haut du corps,… tout ce qui contribue à user d’une énergie qui manquera d’autant plus vite qu’elle n’est pas préservée par une concentration maintenue.

    Il y a quelques années, j’ai suivi une session de méditation de pleine conscience sous la conduite expérimentée de Nathalie Hannhart. L’impact de ce travail intérieur, je n’en ai pris conscience qu’après quelques temps, lorsque je me suis aperçu que je m’en servais en vélo, pour bricoler, pour écrire, pour marcher en montagne, pour faire la vaisselle, pour travailler avec les enfants, pour écouter de la musique, pour préparer mon sommeil…Et plus beau que tout ça réuni pour aimer la femme de mon âme et de mon cœur.

    Pendant mon tour de vélo, alors que je roulais déjà à une allure soutenue depuis un bon moment, je me suis fait rattraper par sept gars, tous avec la même tenue, un club de Chambéry, des cuisses comme des poteaux électriques, de quoi se cacher derrière et ne plus prendre de vent. Tous plus jeunes que moi et ça me motive :) J’ai donc remis "un coup de dur" pour coller au dernier et tenter de suivre aussi longtemps que possible. Lorsque mon tour de relais est arrivé, j’ai dit que si je passais devant, ils allaient se croire à l’arrêt et le gars qui me suivait a rigolé et m’a lancé : « t’inquiète, je prends ta place ». Je me suis déboîté et j’ai réintégré la queue de file. Le gars qui me précédait m’a lancé : « On fait une sortie à 35 » et comme je ne comprenais pas, vu le nombre de cyclistes, il a précisé : « On ne descend pas en-dessous de 35 km/h… »

    Bon, là, il fallait vraiment que je m’applique. Je voyais le compteur qui oscillait entre 39 et 42 km/h alors je me suis concentré sur la poussée du ventre, sur le souffle, sur cet état de pleine conscience qui permet de visualiser l’énergie en soi, de la canaliser, de la propager là où elle doit être, là où il est nécessaire qu’elle soit dispensée, sans aucune perte, sans aucun gâchis, sans jamais que la moindre pensée ne vienne briser ce lien intérieur entre la force et l’esprit…

    Comme lorsque je suis en amour avec la femme de mon cœur et de mon âme.

    C’est ce que j’ai compris dans la dimension du Tantrisme et que j’ai cherché à écrire dans « Kundalini ».

    Lorsqu’une verge se raidit, elle réagit à un afflux sanguin dans les corps caverneux. Il faut le voir en soi pour en aimer l’importance, il faut contacter la chair et les veines, il faut contacter cette matière qui porte en étendard la puissance de l'amour qui se partage. Il faut contacter aussi ce cœur qui maintient le flux sanguin, qui en accroît le volume, qui en agite les particules dans cette tâche essentielle. Contacter le souffle ventral, celui qui va permettre de dépasser l’état « naturel » de l’être qui est en amour pour entrer dans l’état de conscience de l’amour en l'être. 

    Il faut aimer tout cela et ne rien perdre de vue.

    Et quand je pédale sur les routes de montagne, je vois cette énergie en moi, je l’honore, je la bénis, elle me réjouit, elle me transcende. Le sang afflue, le cœur tambourine mais il faut y ajouter un partenaire : le souffle. Non pas le souffle qui s’exhale par une bouche grande ouverte, mais le souffle intérieur, celui qu’il convient d’enlacer de son attention pour le diriger vers le bas du ventre.

    C’est lui qui conscientise l’acte, c’est lui qui permet à l’individu de dépasser l’état d’inconscience inhérent à l’excitation du sport. Cette excitation qui n’est que dispersion. On sait l’importance considérable que les sportifs professionnels attachent à la concentration, à la maîtrise de leur esprit, à la canalisation de l'excitation pour qu'elle reste à leur service au lieu de les étourdir. C'est là que se trouve la maîtrise de l’énergie et la possiblité d'en saisir l'immense potentiel.

    Il est juste, bon et utile d’apprendre à faire comme eux ou tout du moins d’explorer notre propre potentiel de pleine conscience.

    En amour, en vélo, en bricolage, au travail, en voiture, au jardin, dans la création artistique. Être là, en soi.

    Si je me perds dans une excitation débridée, je ne suis pas en vélo puisque l’inconscience contribue à la dilapidation de l’énergie. Alors, j’entre dans un état d’observation de mes gestes pour que dure le plaisir, pour que l’énergie dépensée ne s’évapore pas dans un néant inconscient mais dans une lucidité réjouissante.

    En amour, je considère que c’est un devoir envers l’être aimé. La pleine conscience est un acte d’amour.

    C’est là, dans cette pleine conscience, nourrie par l’attention portée au souffle qui dirige l’énergie, que la durée devient possible, quelle que soit la situation.

    Je me suis donc appliqué à renier la crainte de ne pas pouvoir suivre ces sept cyclistes, à limiter ma pensée sur la visualisation intérieure de mon souffle, ce resserrement des abdominaux, la conscience du souffle qui descend dans le périnée, celui-ci jouant le rôle de répartiteur d’énergie, projetant le flux indistinctement dans chaque jambe…

    En arrivant à une intersection, le groupe a tourné, je les ai remerciés et je me suis retrouvé tout seul.

    Il me restait vingt kilomètres, dont ce final redoutable.

    Alors, je me suis dit que c’était le bon jour pour rester centré sur l’intérieur, pour m’extraire le plus possible de la route qui défile, pour ne pas laisser la crainte de finir perclus de crampes gâcher le plaisir de l’instant.

    J’étais bien. Vraiment bien. Intérieurement heureux, épanoui, réjoui, un sourire béat sur mes lèvres.

    Le souffle en moi continuait sa tâche. Je sentais sa chaleur rayonner dans mon ventre, dans mon périnée, dans mes cuisses, jusqu’au bout des orteils, aucune crampe, aucune douleur.

    Juste ce bonheur de la plénitude, de cet amour de la vie en moi.

    Dans la dernière bosse, les frissons sont apparus. Je les connais bien. Ils ne viennent pas d'un état de fatigue extrême mais d'un état de bonheur absolu. Et j'ai fini, avec le temps, par m'autoriser à rire tout fort de ce bonheur qui m'étreint, à n'en rien retenir, à le laisser s'exprimer et se réjouir de lui-même, de la tête aux pieds, de mon âme à mon coeur, dans l'intégralité de mon sang. Dans ma nuque est monté un flux électrisé, comme une apothéose et s'est déversé dans mon crâne. J'en ai ri encore.

    Lorsque j’ai vu le chemin qui mène à la maison et que j’ai quitté la route, je n’étais pas soulagé d’être arrivé, je n’étais pas déçu pour autant. J’étais toujours là, dans l’instant intérieur, dans la conscience que le souffle est tout, qu’il nous propose la maîtrise, la puissance, la force tout autant que la douceur et la tendresse.

    Il est le souffle de l’amour, il est la conscience de l’être.

    Soixante-huit kilomètres. Je sais que la prochaine fois, j'irai plus loin encore et ça sera délicieux. 

     

     

    La zone ultime.

    Le 27/02/2022

    Un tour de vélo aujourd'hui et il y avait longtemps que je n'avais pas expérimenté cette fameuse "zone" à vélo.

    "La zone" (lien)

    L'avantage de prendre de l'âge, c'est que le potentiel physique se réduit et que le temps nécessaire pour basculer dans cet état "second" se raccourcit. C'est en tout cas le cas pour moi. Je l'ai vécu dernièrement dans une sortie de trail. Cet espace temps pendant lequel la fatigue se révèle intense, où les muscles sont en feu et où pourtant, il devient impossible de ralentir parce que le plaisir est plus puissant que la brûlure musculaire, où l'euphorie est plus stimulante que l'envie de tout relâcher.

    Et c'est délicieux.

    Mais la suite l'est encore plus. Jusque-là, cette euphorie est consciente, on est encore dans la pensée, on est concentré, on s'applique, on cherche le geste juste, on se parle intérieurement, on récite les connaissances, on fait appel à l'expérience, on est dans le savoir. On pourrait penser que sur un vélo, il n'y a pas grand-chose à savoir : on pédale et c'est tout. J'en suis environ sur le plan kilométrique à cinq fois le tour de la Terre et je sais combien le cyclisme n'est pas qu'une histoire de force musculaire. C'est certain qu'entre les premières sorties en janvier et maintenant, les muscles sont plus affûtés. Mais ça ne fait pas tout. Le contrôle mental, l'observation de la consommation d'énergie, la position du corps, le relâchement des épaules, la rotation des jambes et le mouvement du pied, la poussée de la jambe vers le bas et la traction de l'autre vers le haut, l'analyse du relief, l'usage juste des vitesses, le souffle, l'usage du poids du corps en danseuse, il existe de multiples paramètres incontournables. Et lorsque tout ça est en place, alors, l'entrée dans la "zone" est envisageable.

    Mais il reste un point essentiel : que le corps devienne le maître et que le mental se retire puis que tout disparaisse. Corps et mental et que tout se fasse dans un "no man's land" que j'appelle la "zone tampon". Et c'est cette dimension que j'aime par-dessus tout dans les activités d'endurance. 

    Il s'agit en fait d'être là, totalement là.  

    La "zone, ça n'est pas pour moi un état "qu'on trouve", c'est elle qui nous trouve. Parce que la volonté est une pensée, et de vouloir trouver la zone, c'est l'empêcher d'advenir. 

    Inspiration, expiration...Les mouvements du ventre et de la poitrine. Tant que j'y pense, comme à tout ce que j'ai cité avant, c'est un état de pensée. Et la "zone" est un état de "non pensée". C'est un état de perfection.

    La concentration est une forme de pensée silencieuse qui visualise un phénomène intérieur et le fait d'en prendre conscience et de le verbaliser est une autre forme de pensée.

    Arrêter volontairement de se concentrer c'est encore un état de pensée. Et même à chercher à saisir ce qui reste implique la réflexion et le fonctionnement cérébral.

    Il faut aller vers l'état de conscience qui consiste à réaliser qu'on ne pense à rien... Puis il faut se placer placer dans cet espace où s'établit la césure entre la conscience et la pensée...Car comment concevoir qu'une pensée puisse prendre conscience d'elle-même ? Une pensée pense mais elle n'agit pas en dehors d'elle-même, elle ne peut pas se séparer de ce qu'elle est ou alors, c'est qu'elle ne penserait plus. La pensée ne peut pas se conscientiser sans s'évaporer. Une pensée concientisée n'est plus une pensée, elle est la conscience. Et nous devrions ne penser que consciemment pour penser vraiment. Sinon, ça serait comme imaginer qu'une pomme puisse se manger elle-même. Elle ne peut qu'être mangée. La pensée, de la même façon, ne peut pas vouloir s'observer elle-même au risque de se dévorer. C'est donc qu'il y a une autre entité. Et c'est là que la conscience surgit.

    Alors, dans cet espace qui marque la césure entre ma pensée et la conscience que j'en ai, il y a un lieu où rien ne se passe. Ni pensée, ni même conscience. Rien. C'est la zone tampon. C'est là que se situe le "no man's land". Et rien n'est plus intense que cet homme-là alors qu'il semble ne plus être là... Il est même possible et incommensurablement intense de le vivre dans le cadre de la sexualité. Lorsque l'étreinte amoureuse n'est plus la rencontre entre deux individus mais l'état de pureté absolu de l'amour. Et lorsque l'activité physique entre dans cette dimension-là, qu'il s'agisse du trail, du vélo, de la marche en montagne, comme de n'importe quelle activité associée à la durée, c'est d'amour qu'il s'agit. L'amour de la vie en soi, la puissance de l'énergie et elle peut s'avérer ne plus avoir de limites connues. C'est là que courent par exemple les ultra-trailers, au-delà du connu, dans une dimension nourrie par la puissance de vie, nourri par l'amour de la vie en soi. 

    Et c'est pour cela que j'aime autant l'endurance dans le sport. Il y a inévitablement dans cet état des moments de rupture, des instants pendant lesquels la conscience revient puis les pensées et alors il faut de nouveau se concentrer, rétablir les rituels, l'usage contrôlé du souffle, l'application physique, la quintessence des gestes, une forme de douceur envers soi-même, sans chercher à forcer, pour que le mental retourne se coucher, puis laisser venir l'absence ou la présence mais une présence qui ne relève pas de la conscience de soi. Juste de la conscience d'être au-delà. Et l'au-delà de soi n'a pas besoin de conscience. C'est la beauté ineffable de la "zone". 

     

     

    Vélo et musique

     

    Le 20/07/2022

     

    Je tourne sur les petites routes de la Creuse, très vallonnées, je traverse des forêts, des hameaux isolés, tête dans le guidon, j'arrache la viande, à fond, autant que possible, jusqu'à ce que j'explose en vol et puis je rentre avec les forces qui restent, celles qu'il faut aller chercher au fond du fond, celles qui se nourrissent de l'esprit, quand il est en apesanteur, loin de tout, au-dessus du monde.

    La musique m'accompagne, toujours, à chaque instant, j'y puise l'énergie nécessaire. Parfois, elle m'emporte dans une euphorie qui me brûle, délicieusement. Parfois, elle m'apaise et alors, je roule le sourire à l'âme, j'écoute mon coeur, le sang qui bat, les jambes électrisées, et puis un autre morceau arrive, juste au pied d'une bosse et j'appuie, j'appuie, la bave aux lèvres, les yeux rivés sur le goudron qui défile, peu importe la pente et la distance jusqu'au sommet, chaque mètre est un sommet, chaque instant est une distance. Il m'arrive de crier et de rire parfois quand j'atteins le haut de la bosse et aussitôt, je relance la machine et je plonge dans la pente, j'enchaîne les virages comme un skieur, concentration totale, à la recherche d'un second souffle puis d'un troisième puis d'un vingtième puis d'un millième, il y en a toujours, encore et encore, bien plus que ce que le mental nous sermonne.

    Je ne veux pas laisser la raison me contenir. Je rejette la peur de ne plus avoir de forces pour rentrer. J'ai toujours réussi à rentrer.

    Il y a longtemps, les médecins m'ont annoncé que mon dos ne me permettrait plus de faire des efforts intenses, que je devais être "prudent", que je devais me contenter de ce qui me restait, que je ne devais prendre aucun risque. Je les remercie de la rage de vivre qu'ils m'ont donnée. Une rage emplie d'amour.  

    J'aime infiniment le vélo.

     

     

     

  • Disparition des insectes.

    "En quarante ans, on a perdu jusqu'à 95 % de la masse d'insectes. C'est dramatique. Il ne reste que 5 % de ce qu'on trouvait dans les années 1970-1980."

     

    On ne tond que d'étroites bandes, celles qui mènent à la serre, au verger, aux arbres greffés dans le prairie et à la mare. Sur les 4700 m² de terrain, ça représente très peu. Tout le reste est en herbe. Et c'est rempli d'insectes. On ne retourne jamais le sol dans le potager et là, c'est tellement rempli de vie que ça n'est pas dénombrable.

    Une dizaine de tas de bois morts éparpillés sur le terrain, des pierres en tas pour les lézards et autres et la mare bien entendu.

    Que faire d'autre ?

    Limiter les déplacements en voiture.

    N'acheter que des produits bio. (Pour le peu qu'on achète)

    Planter des fleurs, partout, des couvre-sols au pied des arbres fruitiers, des plantes mellifères, ne pas tailler les haies, planter des arbres, de toutes espèces. Biodiversité... En dehors de cette règle de base, il n'y aura pas d'issue favorable pour la vie.

    D'autre part, la présence des insectes signifie la présence des oiseaux. La disparition des premiers condamne les deuxièmes... Tout est lié...

     

     

    434954887 1774758406284464 2303747426417977561 n

  • Et il faudrait aimer l'humain ?

    Aimer l'être humain ?

    Non, je m'y refuse.

    Pas d'emblée, pas a priori, pas par appartenance.


    Je veux bien aimer mais que ces individus me donnent une raison incontournable.

    Et j'ai bien plus de raisons de me détourner des humains que l'inverse.

     

    "Il n'est de folie chez aucun animal de cette terre que ne surpasse infiniment la démence des hommes".
    Herman Melville

     

    436210883 754320866793061 3963743959798908522 n

  • L'empire d'Angkor : de la puissance à la disparition.

    Et sinon, on essaie de faire mieux ou on recommence à plus grande échelle ?

     

     

    Histoire

    Comment l'eau a façonné et détruit l'Empire d'Angkor

    La fin de cette puissante civilisation a été précipitée par la sécheresse et les inondations. Un épisode qui souligne le lien entre le climat et les hommes.

     

    De Stefan Lovgren

    https://www.nationalgeographic.fr/histoire/comment-leau-a-faconne-et-detruit-lempire-dangkor?

    L'eau a façonné et détruit l'Empire d'Angkor

    CITÉ HYDRAULIQUE

    L'hégémonie d'Angkor aurait débuté en 802 de notre ère au moment où Jayavarman II, depuis les montagnes de Phnom Kulen surplombant les plaines de la future ville, s'auto-proclame chakravartin (« dieu roi ») de l'empire khmer. Au cours des siècles qui suivent, un vaste complexe urbain voit le jour, tandis qu'Angkor devient la plus grand ville du monde préindustriel avec près d'un million d'habitants.

    Dès sa naissance, l'eau est au cœur du développement d'Angkor, souvent qualifiée de « ville hydraulique ». Des canaux et des réservoirs sont construits afin de recueillir et de stocker l'eau issue des collines, à la fois pour contrôler les crues et pour l'irrigation des terres. Un réseau de débordements et de dérivations transporte les eaux excédentaires au lac Tonle Sap situé au sud de la ville.

    « Ces infrastructures de gestion des eaux étaient uniques au monde », affirme Dan Penny.

    L'eau et son contrôle jouaient également un rôle religieux au sein de la société d'Angkor.

    « L'eau n'était pas uniquement une ressource devant être gérée pour l'agriculture et les inondations », explique-t-il. « Elle était également liée au pouvoir du roi. »

    Des nuages de mousson déversent leurs pluies sur le réservoir de Srah Srang.

    Des nuages de mousson déversent leurs pluies sur le réservoir de Srah Srang.

    PHOTOGRAPHIE DE Robert Clark&& National Geographic Creative

    L'ASSAUT DES MOUSSONS

    L'histoire du réseau des canaux est faite de nombreux ajouts et modifications. Les anciens canaux distribuaient et se débarrassaient des eaux. À partir du 12e siècle, époque de l'apogée de l'empire et de la construction du temple le plus célèbre du complexe, Angkor Vat, les larges nouveaux canaux déversent principalement l'eau dans le lac.

    Au cours des deux siècles qui suivent, le système hydraulique semble fonctionner plutôt bien puisque la ville poursuit son expansion. Entre le milieu et la fin du 14e siècle, cependant, Angkor est victime de sécheresses continues. Celles-ci sont suivies de plusieurs années de pluies de mousson incroyablement violentes qui provoquent d'importantes inondations auxquelles les infrastructures de la ville semblent incapables de faire face.

    Les inondations engendrent l'érosion du réseau, dont les connexions sont systématiquement coupées. Au sud de la ville, les canaux sont bouchés par les matériaux érodés venus du centre d'Angkor.

    Le pont d'Angkor Thom avait été bâti à partir de blocs de pierre extraits des temples, dont la plupart étaient sculptés de façon très sophistiquée.

    « Le fait qu'ils démontent un temple et s'en servent pour construire quelque chose d'aussi prosaïque qu'un pont en dit long sur la gravité de la situation », déclare Penny.

    « On pense depuis longtemps que les dégâts causés au réseau hydraulique ont signé la fin d'une longue période de déclin à Angkor. »

    À en juger par la dégradation du pont, dont l'extrémité est détruite, les mesures de contrôle des eaux de crue ne portent pas leurs fruits. La rivière Siem Reap, censée s'écouler sous le pont, trace un sillon autour de ce dernier. Aujourd'hui, elle s'écoule environ 7,60 mètres en dessous de son cours d'origine.

    À mesure que les inondations détruisent les infrastructures, la cité d'Angkor finit par s'effondrer. En 1431, elle est prise d'assaut par l'armée siamoise. La plupart des temples sont ensuite engloutis par la jungle, tandis que certains demeurent des sites religieux importants pour les Khmers. L'Occident ignore l'existence de ces vestiges jusqu'à ce que des explorateurs français y mettent les pieds dans les années 1860.

    UN AVERTISSEMENT CLIMATIQUE ?

    Selon les chercheurs qui travaillent sur le développement durable du bassin inférieur du Mékong dans le cadre d'un projet intitulé « Les merveilles du Mékong » financé par l'USAID (Agence des États-Unis pour le développement international), il existe d'importantes leçons à tirer des événements d'Angkor.

    « Ce qui est certain, c'est qu'il existe un lien de corrélation entre la culture et le climat », affirme Sudeep Chandra, directeur du Centre mondial de l'eau de l'université du Nevada à l'origine des recherches.

    « Nous voyons les communautés du monde entier lutter pour savoir comment réagir face aux fluctuations accrues du changement climatique », ajoute-t-il.

    Afin de contrôler le débit de l'eau, les ingénieurs d'Angkor ont fait dévier l'eau des réseaux fluviaux existants, entraînant ainsi la création de nouveaux bassins hydrographiques. Cela pourrait toutefois avoir eu des conséquences malheureuses sur l'environnement, déstabilisant la ville jusqu'à conduire à sa disparition.

    « Les Khmers du Moyen-Âge ont dû faire face à une période d'instabilité climatique qui leur était jusqu'alors inconnue et qui a complètement changé les règles du jeu qu'ils jouaient depuis plusieurs siècles », conclut Penny.

    « Les communautés contemporaines sont aujourd'hui confrontées à des enjeux similaires avec le changement climatique. »

     

     

     

    S'ABONNER AU MAGAZINE

     

    Cambodge

    Changement climatique

    Civilisations antiques

    Climatologues

    Eau

    Histoire

    Paléoclimatologie

    Poissons

    Animaux

    Antiquité

  • La syntropie : revenir dans le sens du vivant.

    Je lis et relis avec beaucoup d'intérêt l'ouvrage d'Anaëlle Thery "Bienvenue en syntropie".

    Cropped joala syntropie couverture1

    Et à chaque page, je pense à cette agriculture intensive et à l'acharnement des adeptes de la FNSEA. C'est consternant. Et il est évident que cet enchaînement est avant tout le refus du changement, la peur et l'incapacité à admettre que les traditions sont dépassées, que les connaissances aujourd'hui sont bien supérieures aux transmissions archaïques. J'ai également visionné toutes les vidéos d'Ernst Götsch quand elles sont sous-tiitrées (peu malheureusement). Il y a une réflexion de sa part qui m'a interpelé et à laquelle je réfléchis depuis hier.

    Vous avez peut-être déjà entendu parler de cet homme qui a rendu la vie à une zone quasi désertique au Brésil :

    "Forcer les plantes à s'adapter en les croisant pour les rendre plus résistantes aux maladies a fini par me poser question (Il était spécialiste en sélection génétique). Et si au contraire,nous améliorions les conditions du milieu dans lequel poussent les plantes plutôt que de les forcer à être plus résistantes dans un milieu qui ne leur convient pas ? "

    Ne peut-on pas considérer qu'il en est de même avec les humains ?

    J'en ai déjà parlé ici mais je m'interroge sur l'intérêt du travail des thérapeutes lorsqu'il s'agit d'aider des individus en souffrance à vivre mieux dans un milieu destructeur. Comme l'écrivait Krishnamurti, il n'est pas sain d'être adapté à une société malade. Non, je ne remets pas en cause le travail des thérapeutes et tant mieux s'ils parviennent à aider leurs patients mais il n'en reste pas moins que les causes seront toujours là. Et si les individus parviennent à s'adapter, rien ne changera, fondamentalement.

    Maintenant, je sais ce que représente le refus de s'adapter... J'ai refusé d'obéir au Ministre lorsque j'étais encore instituteur et je me suis mis en désobéissance civique. Je l'ai payé cher...Physiquement et psychologiquement. Trois ans de luttes. Mais je sais que ça aurait été pire si je n'avais pas contesté fermement les idées qui avaient cours à cette époque. Est-ce que je le referai aujourd'hui, dans les mêmes circonstances ? Oui, assûrément. Même si ça ne change rien sur le fond, ça me permet d'être en accord et en paix avec moi-même. C'est ce que j'ai expliqué à la psychiatre, dans le cadre de la "thérapie", que le Ministère m'a imposée. Psychiatre qui a fini par contester le rectorat quant aux sanctions prises à mon encontre.

    Il convient donc à chacun et chacune de se poser la question suivante : est-ce à moi de m'adapter aux conditions d'existence inhérentes au milieu ou est-ce que je dois oeuvrer à améliorer le milieu lui-même et donc la société ?

    Oui, je sais le défi semble démesuré...

    Dans la syntropie, en tout cas, l'idée fondamentale est bien là : il faut faire en sorte que le milieu soit le plus favorable au développement des plantes nourricières et ça n'est sûrement pas les méthodes de l'agriculture intensive qui peuvent répondre à ce défi. Je l'ai déjà expliqué ici : le labourage, c'est la mort du sol et la mécanisation le tassement du cimetière.

    La clé de la syntropie c'est la biomasse. Voilà trois ans que nous sommes installés sur notre terrain. Paillage, broyat, compost, tonte, foin, le sol est toujours couvert, toute l'année. Aujourd'hui, il y a entre dix et quinze centimètres de terre végétale, un vrai terreau, noir, empli de vers de terre et de milliards d'insectes. Tout ce qui est planté croît à toute vitesse et tout ce qui est laissé volontairement en graines se reproduit tout seul. En ce moment, on trouve des salades un peu partout ^^ Jusqu'à la porte de la grange, dans une fente de deux millimètres. 

    Canvas On pourrait me dire d'ailleurs qu'elle a su s'adapter à un environnement néfaste pour elle. :)

    Oui, mais je suis persuadé que le végétal nous survivra. L'inverse n'est pas vrai. Rien n'est plus puissant que le végétal... Vous avez tous déjà vu ces plantes minuscules, brins d'herbe qui poussent à travers le goudron... Ici, dans le village voisin, le cours de tennis municipal n'est plus entretenu. C'est fou la vitesse à laquelle la végétation est en train de l'émiétter. On a beau, Nathalie et moi, tenter de ralentir l'invasion, à chaque printemps, on voit le terrain perdu par rapport à l'année précédente.

    Tout ça pour dire que nous devons retrouver le sens du vivant et travailler avec lui. Et non, contre lui. Le vivant est puissant et nous devons le servir. C'est à dire inverser totalement notre rapport à la nature. Ne pas croire pour autant que la syntropie prône l'anarchie ^^ C'est un travail minutieux, une analyse constante du terrain et des plantes, des travaux déterminés, anticipés, des analyses encore, des recherches, des changements. L'observation est prioritaire.

     

     

     "https://www.agroforesterie.fr/agriculture-syntropique/

    L’agriculture syntropique repose sur une diversité importante de plantes, cultivées à haute densité, dans leurs conditions optimales de lumière et de fertilité. Elle est notamment basée sur une organisation du système dans le temps (la succession), et dans l’espace (la stratification). On parle aussi d’agroforesterie successionnelle.

    L’agriculture syntropique s’inspire de la dynamique, de la structure et du fonctionnement des écosystèmes naturels (la forêt) pour concevoir des systèmes agricoles productifs qui allient régénération des paysages, diversification des récoltes et réduction des risques écologiques et économiques. Ses principes ont été développés par Ernst Götsch, agriculteur pionnier de l’état de Bahia, au Brésil.

    L’agriculture syntropique permet la restauration de terres fortement dégradées et peu productives, en recréant un environnement arboré productif, économiquement viable, riche en biodiversité, et sans apports exogènes (fertilisants, intrants chimiques, etc.). C’est ce qu’a expérimenté E. Götsch sur son exploitation depuis les années 80. Ce type d’agriculture, originaire des zones tropicales, commence à émerger en zone tempérée, notamment en France où il tend à se développer depuis quelques années."

  • JARWAL LE LUTIN : Tout en un

    523913 3530748479752 83916199 n 3

     

    Anita Berchenko, fondatrice des "éditions du 38" m'a informé que la publication de Jarwal pourrait regrouper les quatre tomes en un seul ouvrage. L'équipe réfléchit à l'idée.

    Le tome 1 est indépendant mais le tome 2 et le 3 se suivent. Quant au tome 4, il est une continuité des trois précédents. Imaginer de tout regrouper est parfaitement justifié.

    Il reste à voir ce que ça donnerait en volume total. Mais étant donné qu'il s'agit d'une histoire à plusieurs niveaux de lecture et que des enfants tout autant que leurs parents pourraient y trouver leur bonheur, le fait que le livre soit de la dimension d'un roman adulte n'est pas dénué de sens.

    Dire combien j'en suis heureux serait trop faible.

    Quatre histoires retenues pour une publication. Quand on connaît la difficulté d'être publié, d'être sélectionné dans le flot continu de manuscrits, c'est un bonheur sans nom.

    Il faudra bien qu'un jour je parvienne à me considérer comme un écrivain.

  • Association Madagascar Enfance XTREM

    Alexandre Fardel-Arozarena est un ami.

    Depuis plusieurs années, il gère une association d'entraide à Madagascar.

     

    À propos

    Qui sommes-nous ?

     

    Nous sommes une équipe de bénévoles et de professionnels, hommes et femmes, qui pensons que la Femme est la clé de l'avenir. Son investissement dans tous les échelons sociétaux fait d'elle la tête, le cœur et les poumons d'une patrie.

    Nous avons démarré en aidant les enfants et jeunes adolescents à se développer à travers les sports extrêmes (BMX, Skateboard, Escalade, Kitesurf…) dont Madagascar est le terrain de jeu idéal. Mais à force d’actions sur place, nous nous sommes aperçus qu’une fois atteint le stade adulte, les valeurs de dépassement de soi ne suffisaient pas. La réalité malgache les replongeait dans l’urgence et la précarité.

    Ainsi, nous avons décidé d’axer nos actions sur le pilier de chaque famille malgache : la femme – et mère -, celle qui porte l’enfant, le nourrit, l’éduque, le protège, le soigne… Et c’est par le développement personnel et professionnel de celle-ci que les enfants de demain pourront changer l’avenir de leur pays.

    Notre approche

     

    Notre mission

    Notre mission est de nous assurer que toutes les femmes et enfants reçoivent tout le soutien dont ils ont besoin et quand ils en ont besoin, pour leur assurer un avenir pérenne.

    Qu’il s’agisse d’un soutien moral, d’une aide financière, d’un apport en nature, mais également d’une éducation et d’une formation professionnelle, nous veillons à ce que chacun reçoive le plus rapidement possible ce dont il a besoin. Penser vite et bien pour agir vite est notre devise pour le bien de tous.

    Notre vision

    Nous voulons bâtir un monde où aucune femme, enfant ou jeune n'aura à souffrir des aléas d'une vie dictée par des politiques qui ne répondent pas à l'urgence immédiate.

    En effet, si les actions politiques d’un pays mènent à réformer en profondeur des difficultés structurelles et conjoncturelles, tout ceci prend un temps qu’une population dans l’urgence n’a pas.

    Ainsi, nous ne sommes pas en opposition, mais en complémentarité avec les politiques en vigueur, afin que les malgaches puissent créer un élan sur les bases que nous leur inculquons, avec leur concours, dans le respect de leurs traditions et de leurs mœurs.

     

    Des Vanilles Et Des Vies

     

    Commander ma vanille bio

    Des dons récompensés

    Les temps sont durs pour tous. Et obtenir des dons pour une association devient un vrai parcours du combattant. Ainsi, nous avons décidé que chaque don fera désormais l'objet d'une contrepartie, à l'instar des financements participatifs. Mais pas avec n'importe quoi, avec l'or brun de Madagascar que l'on nomme "Vanille".

    En effet, Madagascar produit 80% de la vanille mondiale. Malgré cela, les cultivateurs Malgaches sont aussi précaires que l’est le reste de la population.

    Ainsi, nous avons décidé de les aider en leur achetant de la Vanille certifiée Biologique par Ecocert Madagascar, avec le concours de l’entreprise VanilleBio.eu (Importateur et grossiste en épices biologiques réservées aux professionnels de l’alimentation). Ne vendant donc pas aux particuliers, nous avons le privilège d’obtenir la meilleure vanille vous permettant de parfumer vos plats, tout en aidant à la fois les producteurs de vanille, mais également les femmes et enfants soutenus par notre association.

    Comment acheter de la vanille bio ?

    Le plus simplement du monde : Plus vous donnez, plus vous obtenez de gousses de vanille.

    Est-ce légal ? OUI !
    Au même titre qu’une association de Parents d’élèves peut vendre des chocolats à Noël ou des calendriers, nous pouvons vendre de la vanille.
    Ainsi, nous avons décidé de décomposer comme suit :

    20€ les 10 gousses

    50€ les 30 gousses

    Vous pouvez faire un don ponctuel

    Vous pouvez faire un don mensuel et vous recevrez vos gousses de vanille bio tous les mois

    Et ensuite ?
    Le formulaire de dons d’HelloAsso (notre plateforme de dons sécurisés) récupère toutes vos coordonnées afin de vous faire parvenir votre justificatif de dons. Ainsi, vous n’avez rien à gérer, nous vous envoyons votre vanille sous 48H maximum.

    Pour commander, cliquez ici :

    Commander ma vanille bio

    Les femmes et les enfants de Madagascar vous remercient pour votre générosité !

  • Aux origines du végétarisme

     

     

    Pythagore, Léonard de Vinci, Yourcenar... sept célébrités végétariennes avant l'heure

     

     

    A opposer à Descartes et sa vision réductionniste des animaux et du vivant en général. Descartes qu'on nous présentait en classe de philosophie comme le Maître absolu.

     

    Par

    https://www.radiofrance.fr/franceculture/pythagore-leonard-de-vinci-yourcenar-sept-celebrites-vegetariennes-avant-l-heure-1103528

    Mis à jour le jeudi 19 juillet 2018 à 01h50, publié le mardi 17 juillet 2018 à 12h37

    6 min

    Petit coup de rougePetit coup de rouge

    © Getty - Natasha Breen/REDA&CO/UIG

    Entérinée par les monothéismes, l'idée est coriace : l'animal est inférieur à l'homme. Elle est battue en brèche à partir de 1970, quand se constitue l'idéologie de l'antispécisme. Mais des figures célèbres se sont indignées du sort réservé à l'animal bien avant l'émergence de ce courant de pensées.

    De Pythagore à Marguerite Yourcenar en passant par Rousseau ou Léonard de Vinci, nombre de grands intellectuels ont pris position contre la consommation des animaux, bien avant que se constitue l'antispécisme. Il faut dire que ce courant de pensées a attendu 1970 pour émerger véritablement, dans le monde anglo-saxon d'abord. Depuis l'Antiquité jusqu'à aujourd'hui, on revient sur la manière dont les hommes et les femmes ont envisagé leur responsabilité morale envers les animaux. Le tout en citations, et à travers sept grandes figures célèbres qui furent végétariennes avant l'heure.

    En savoir plus : Homme/Animal : une frontière fragile ?

    Homme/Animal : une frontière fragile ?

    1. Pythagore, le premier végétarien

    Pythagore, détail de l'École d'Athènes de Raphaël, 1509

    Pythagore, détail de l'École d'Athènes de Raphaël, 1509

    Il ne nous reste rien des écrits de Pythagore, qui vécut au VIe siècle avant J.-C.. Mais dans ses Métamorphoses parues au Ier siècle, le poète latin Ovide rapporte les enseignements du philosophe présocratique connu pour son fameux théorème. Et voici notamment la diatribe qu'il lui fait prononcer contre les mangeurs de viande :

    Abstenez-vous, mortels, de souiller vos corps de mets abominables. [...] la terre, prodigue de ses trésors, vous fournit des aliments délicieux ; elle vous offre des mets qui ne sont pas payés par le meurtre et le sang. Ce sont les bêtes qui assouvissent leur faim avec de la chair, et encore pas toutes car les chevaux, les moutons et les bœufs se nourrissent d’herbe. Il n’y a que les animaux d’une nature cruelle et féroce, les tigres d’Arménie, les lions toujours en fureur, les loups, les ours, qui aiment une nourriture ensanglantée. Hélas ! Quel crime n’est-ce pas d’engloutir des entrailles dans ses entrailles, d’engraisser son corps avide avec un corps dont on s’est gorgé et d’entretenir en soi la vie par la mort d’un autre être vivant ! Quoi donc ? Au milieu de tant de richesses que produit la terre, la meilleure des mères, tu ne trouves de plaisir qu’à broyer d’une dent cruelle les affreux débris de tes victimes, dont tu as rempli ta bouche, à la façon des Cyclopes ?

    Dans un livre sur l'Ethique animale paru en 2008, le philosophe Jean-Baptiste Jeangène Vilmer explique les raisons du végétarisme de Pythagore par le fait que ce dernier défendait une théorie de la métempsychose, le passage d'une âme dans un autre corps : "S'il accorde une considération particulière aux animaux, c'est indirectement par respect pour l'homme, puisque selon sa théorie de la métempsychose, il est possible que l'animal tué ou maltraité héberge l'âme d'un proche qui se serait réincarné en lui."

    2. Pour Plutarque, les civilisés n'ont aucune raison de tuer pour manger

    Plutarque était-il végétarien ? En tout cas, pour le philosophe et moraliste du Ier siècle, la consommation de viande est motivée chez ses contemporains par le plaisir égoïste de la bouche, et non par la nécessité de subsistance comme c'était le cas pour les premiers hommes : "Nous, civilisés qui vivons sur une terre cultivée, riche, abondante, nous n'avons aucune raison de tuer pour manger" estime-t-il dans son bref traité moral sur les animaux De esu carnium (littéralement, "Manger chair") ; avant de développer son argumentaire par des mots plus vifs :

    Si tu te veux obstiner à soutenir que nature l'a fait [l'homme] pour manger telle viande, tout premier tue-la donc toi-même [...] sans user de couperet [...] tue-moi un bœuf à force de le mordre à belles dents, ou de la bouche un sanglier, déchire-moi un agneau ou un lièvre à belles griffes, et le mange encore tout vif, ainsi comme ces bêtes-là font.

    Dans ce même traité, Plutarque se livre aussi à un éloge de la nature vertueuse des bêtes : "Mais rien ne nous émeut, ni la belle couleur, ni la douceur de la voix accordée, ni la subtilité de l'esprit, ni la netteté du vivre, ni la vivacité du sens et entendement des malheureux animaux, ainsi pour un peu de chair nous leur ôtons la vie, le soleil, la lumière, et le cours de la vie qui leur était préfixé par la nature."

    En janvier 2018, "La Fabrique de l'histoire" se penchait sur l'évolution du rapport de l'homme aux animaux, depuis l'Antiquité : "Depuis quand défend-on les animaux ?", demandait Emmanuel Laurentin à ses invités, Michel Pastoureau, Eric Baratay et Béatrice Bouniol.

    En savoir plus : Depuis quand défend-on les animaux ?

    La Fabrique de l'Histoire

    53 min

    3. Léonard de Vinci, "comme les Hindous, ne mange[ait] rien qui contienne du sang"

    Le Codex Atlanticus de Léonard de Vinci. Il couvre une longue période de sa vie, allant de 1478 à 1518Le Codex Atlanticus de Léonard de Vinci. Il couvre une longue période de sa vie, allant de 1478 à 1518

    - Pompeo Leoni/ Domaine public

    Après l'Antiquité, s'ouvre une longue et sévère parenthèse médiévale en ce qui concerne le droit des animaux, comme le note encore Jean-Baptiste Jeangène Vilmer dans son Ethique animale : "L'omniprésence du christianisme paralyse la relation de l'homme et de l'animal dans une hiérarchie stricte, qui est domination. Saint Thomas d'Aquin insiste sur la différence de nature entre l'homme et l'animal, dont l'âme n'est pas éternelle : comment l'animal pourrait-il viser l'éternité s'il ne peut pas prier ?"

    Il faut donc attendre la Renaissance pour qu'émergent à nouveau les conceptions antiques favorables aux animaux, et notamment sous la plume de Léonard de Vinci, inventeur et peintre de génie. Etait-il végétarien ? Il y a débat sur la question, même si deux de ses biographes, le romancier Serge Bramly et l'historien de l'art Jean Paul Richter, l'ont affirmé. Ce dernier, traducteur de The literary works of Leonardo da Vinci, rapporte que l'explorateur Andrea Corsali, dans un courrier adressé à l'homme d'Etat Guilano de Medicis, écrivait ceci à propos du peintre : "Certains infidèles nommés Hindous ne mangent rien qui contiennent du sang, et ne permettent aucune blessure faite à un être vivant, comme notre Léonard de Vinci".

    Et en effet, dans un recueil de dessins et de notes qu'il a intitulé Codex Atlanticus, et dans lequel il déroule des réflexions sur la mort et la prolongation de la vie, Léonard de Vinci écrit :

    L'homme et les animaux ne sont qu'un passage et un canal à aliments, une sépulture pour d'autres animaux, une auberge de morts, qui entretiennent leur vie grâce à la mort d'autrui, une gaine de corruption.

    Dans ces mêmes notes, le plus célèbre des peintres florentins prophétise à propos "des choses qu'on mange après les avoir tuées", qu'"à celles qui les nourrissent, ils infligeront une mort barbare dans les tortures."

    4. Pour Rousseau, la souffrance de l'animal donne des devoirs à l'homme

    C'est Rousseau, le philosophe de l'Homme et de la nature, qui prend le relais pour fortifier les bases de l'éthique animale moderne. Émerge l'idée que "l'animal a le droit de ne pas être maltraité car, comme l'homme, il a la capacité de souffrir. Le critère qui doit gouverner la relation entre les hommes et les animaux n'est plus la supériorité intellectuelle, mais la capacité de souffrir, qui est commune aux deux", explique Jean-Baptiste Jeangène Vilmer. 

    Dans son Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes de 1755, Rousseau écrit effectivement :

    Il semble, en effet, que si je suis obligé de ne faire aucun mal à mon semblable, c'est moins parce qu'il est un être raisonnable que parce qu'il est un être sensible ; qualité qui, étant commune à la bête et à l'homme, doit au moins donner à l'une le droit de n'être point maltraitée inutilement par l'autre.

    En savoir plus : Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

    Rousseau, Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes

    5. Avec Voltaire, les animaux sont comme nos frères

    Portrait de Voltaire par Maurice Quentin de La Tour (détail), 1735-36)

    Portrait de Voltaire par Maurice Quentin de La Tour (détail), 1735-36)

    Voltaire n'a pas consacré beaucoup de pages aux animaux de boucherie, et celles-ci n'ont guère été commentées par les critiques : "Ils constituent néanmoins un corpus homogène, qui témoigne d’un grand intérêt pour la question animale au point d’aborder explicitement le végétarisme, analyse Renan Larue, agrégé et docteur en lettres modernes, qui a consacré en 2010 un article sur le végétarisme dans l'oeuvre du philosophe des Lumières, L’animal lui permet notamment d’envisager sous un angle neuf l’origine du mal, ou la validité de l’anthropocentrisme. L’évocation, voire la défense, du végétarisme servira aussi très souvent la cause de l’anticléricalisme."

    Mais s'ils sont peu nombreux, les propos de Voltaire sur la question n'en sont pas moins extrêmement véhéments, comme le prouve cet extrait de ses œuvres complètes, et plus précisément d'une diatribe écrite en 1772 et intitulée "Il faut prendre un parti, ou le principe d'action" :

    Il ne leur manque que la parole ; s’ils l’avaient, oserions-nous les tuer et les manger ? Oserions-nous commettre ces fratricides ? Quel est le barbare qui pourrait faire rôtir un agneau, si cet agneau nous conjurait par un discours attendrissant de n’être point à la fois assassin et anthropophage ? Il n’est que trop certain que ce carnage dégoûtant, étalé sans cesse dans nos boucheries et dans nos cuisines, ne nous paraît pas un mal, au contraire, nous regardons cette horreur, souvent pestilentielle, comme une bénédiction du Seigneur et nous avons encore des prières dans lesquelles on le remercie de ces meurtres. Qu’y a-t-il pourtant de plus abominable que de se nourrir continuellement de cadavres ?

    6. Louise Michel : "Quelle pitié que la bête !"

    Si leur apport a été minoré, nombre de femmes engagées dans le combat féministe ont donné de la voix pour le droit des animaux, à commencer par l'aristocrate anglaise Margaret Cavendish. Dans son livre Les animaux ne sont pas comestibles (2017), Martin Page rapporte ainsi qu'au XVIIe siècle, cette duchesse fut l'une des premières à battre en brèche la théorie de "l'animal machine" de Descartes, qui réduisait l'animal au rang d'automate. 

    Parmi ces voix féminines, celle de la militante Louise Michel, grande figure de la Commune de Paris qui écrivait notamment dans ses Mémoires en 1886 :

    Depuis la grenouille que les paysans coupent en deux, laissant se traîner au soleil la moitié supérieure, les yeux horriblement sortis, les bras tremblants, cherchant à s’enfouir sous la terre, jusqu’à l’oie dont on cloue les pattes, jusqu’au cheval qu’on fait épuiser par les sangsues ou fouiller par les cornes des taureaux, la bête subit, lamentable, le supplice infligé par l’homme.

    7. Marguerite Yourcenar : "Je ne vois pas comment je pourrais digérer de l'agonie"

    L'anecdote est rapportée par les professeurs d'esthétique à la Sorbonne (Paris III) Murielle Gagnebin et Julien Milly dans leur livre Les Images honteuses (2006) : "A une journaliste qui lui demandait pourquoi elle était végétarienne, Marguerite Yourcenar répondit sèchement : 'Je ne vois pas comment je pourrais digérer de l'agonie'". Notons cependant que son végétarisme s'en tenait aux animaux terrestres, l'écrivaine mangeant volontiers du poisson. 

    Dans les Mémoires d'Hadrien (1951), Yourcenar déroule dans une mise en abyme une réflexion sur le végétarisme. Mais étonnamment, celle-ci représente un hiatus avec ses propres convictions, qu'elle sacrifie volontiers à l'émergence de la figure de l'empereur Hadrien. Extrait :

    J'ai expérimenté brièvement avec l'abstinence de viande aux écoles de philosophie, où il sied d'essayer une fois pour toutes chaque méthode de conduite ; plus tard, en Asie, j'ai vu des Gymnosophistes indiens détourner la tête des agneaux fumants et des quartiers de gazelle servis sous la tente d'Osroès. Mais cette pratique, à laquelle ta jeune austérité trouve du charme, demande des soins plus compliqués que ceux de la gourmandise elle-même ; elle nous sépare trop du commun des hommes dans une fonction presque toujours publique et à laquelle président le plus souvent l'apparat ou l'amitié. J'aime mieux me nourrir toute ma vie d'oies grasses et de pintades que de me faire accuser par mes convives, à chaque repas, d'une ostentation d'ascétisme. [...] Quant aux scrupules religieux du Gymnosophiste, à son dégoût en présence des chairs ensanglantées, j'en serais plus touché s'il ne m'arrivait de me demander en quoi la souffrance de l'herbe qu'on coupe diffère essentiellement de celle des moutons qu'on égorge, et si notre horreur devant les bêtes assassinées ne tient pas surtout à ce que notre sensibilité appartient au même règne.

    Le débat philosophique contemporain, à la faveur duquel finira par se concrétiser l'idéologie de l'antispécisme - le mot "spécisme" a été introduit en 1970 par l'écrivain et psychologue britannique Richard D. Ryder - émerge d'abord à l'université d'Oxford, en Angleterre, avant d'irriguer tout le monde anglo-saxon et au-delà. Jusque-là, l'intérêt théorique pour la protection animale restait faible malgré la constitution d'associations sur le sujet dès le XIXe siècle, et des publications diverses comme celles des écrivains anglais Jeremy Bentham et Henry Stephens Salt, respectivement aux XVIIIe et XIXe-XXe siècles. En fait, c'est le best-seller du philosophe australien Peter Singer, Animal Liberation ("La Libération animale"), publié en 1975, qui tiendra lieu de base primordiale pour le mouvement antispéciste qui depuis ne cesse de se fortifier. 

    Rien ne justifie de refuser d’étendre le principe fondamental d’égalité de considération des intérêts aux membres des autres espèces – hormis le désir égoïste de préserver les privilèges du groupe exploiteur. Peter Singer

    Article mis à jour le 19 juillet à 1h50