Ce silence.

 

La haut

 

Ce silence.

Il marchait vers les cieux, sur des pentes rocheuses. Une allée empierrée par des hommes. Il y a si longtemps qu’il faudrait écouter les murmures des pierres pour en retrouver la trace. Des blocs immenses enchâssés comme des diamants…

De quels outils avaient-ils usés ?

Comment avaient-ils porté si haut de tels monuments de granit ?

Comment étaient-ils parvenus à les emboîter ?

Il imaginait la sueur et les paroles, les chants, les pauses avec une miche de pain, une bouteille de vin, des regards voyageant sur les crêtes qui enserraient le vallon.

Et ce silence.

Ce silence de granit, d’herbes reposées, de nuages cajolant le tissu tendu de l’azur, le vent lui-même se berçait de l’immobilité de l’atmosphère, comme subjugué par la douceur, des têtes de rochers comme des peuples fossilisés dressaient vers les altitudes des regards fascinés.

Ce silence.

 Il avait quitté la ville depuis cinq jours.

Il avait sué longuement avant que le vacarme humain ne s’efface de sa mémoire.

Les avions, les trains, les usines, les milliards de moteurs, les tronçonneuses et les machines agricoles, les guerres et les bombes, les cris d’horreur, les enfants qui hurlent, les mères qui agonisent, le vacarme de la folie humaine.

Il aurait voulu enregistrer ce chaos et le projeter en une seule seconde dans les cerveaux des hommes, tous les bruits condensés en une seule note, un hurlement qui déchirerait les neurones jusqu’au plus profond des boîtes crâniennes, un hurlement qu’aucune conscience ne pourrait imaginer, qu’aucune machine ne pourrait reproduire, les agonies des poissons dans les filets dérivants et les couinements aigus des porcs dans les abattoirs, les milliards de bêtes éventrées chaque jour, les cris invisibles des insectes piétinés, des poussins broyés dans les champs de blés par des moissonneuses aveugles, le vacarme de la folie humaine en un seul cri projeté, les gens figés, dans l’instant, les mains écrasant les oreilles, bouches ouvertes, happés par l’horreur, toute l’horreur de ce chaos.

Tués sur le coup.

Le cri qui délivrerait le monde.

L’humanité balayée par son propre hurlement.

 

Il ne resterait que le silence.

Et le chant des oiseaux, les houles du vent dans les chemins d’altitude, la ronde infinie des nuages et ce murmure très lointain de la rotation de la Terre dans l’Univers. Il l’avait déjà entendue ce chant de la Terre. Une fois.

Il ne l’avait jamais oublié. Il avait pleuré comme il pleurait d’amour quand il était dans le ventre de sa mère.

 

Il avait marché cinq jours. Et il avait senti couler en lui la mémoire du vacarme, il avait senti la paix l’emplir, comme un abandon très lent, des résistances à rompre, comme un statut d’homme à abandonner.

Il avait éprouvé cet empoisonnement du vacarme, il avait deviné la profondeur dans ses fibres des dépôts putrides, il s’était forcé à suer, larmes et eaux, tristesse et rage, comme une épuration indispensable.

 

Et puis, il avait découvert ce vallon.

Un chemin empierré, des sommets comme une ronde, des crêtes dentelées et des éboulis impassibles, il avait été surpris par la quantité colossale de roches entassées alors que rien ne bougeait, comme si les pierres ne se décrochaient que dans le secret des nuits, rien, le silence, pas un mouvement, pas une bête, pas un oiseau, pas un avion dans le ciel, aucun bruit de moteur. Aucun bruit.

Il s’était assis sur une roche plate et soudainement, il avait entendu son cœur. Un battement sourd jusqu’au bout des doigts.

Il avait retenu sa respiration.  

Boum………Boum……..Boum……

Il avait fermé les yeux.

Boum……Boum……Boum…..

Le ruissellement de son sang, le battement des cellules, la consommation des énergies insérées, le flux vital qui se prolongeait, puisait dans les réserves, entretenait la flamme.

Il avait entendu ce qui ne s’entend pas.

Là-Haut.

 

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