Funeral March

Arrêtez les pendules, coupez le téléphone,

Pourvu qu'il n'aboie point, jetez un os au chien

Etouffez les pianos et qu'un tambour voilé

Au sortir du cercueil, accompagne le deuil.

 

Que les avions décrivent des cercles en gémissant

Et tracent dans le ciel ces trois mots : il est mort

Nouez un crêpe au cou des oiseaux blancs

Ajoutez des gants noirs aux tenues des agents



Cétait mon nord, mon sud, l'orient et l'occident

Mon travail en semaine, mon repos du dimanche

Mon midi, mon minuit, ma parole, mon chant

Je pensais que jamais l'amour ne finirait ; j'avais tort

 

Etoiles, disparaissez, qu'il n'en reste plus une

Démontez le soleil et remballez la lune

Asséchez l'océan, balayez les forêts

Car rien de bon ne peut advenir désormais."

William Auden "Funeral March"


Je sais qu'il me manquera à jamais un rituel. Celui que j'avais imaginé pour la fin de ma carrière. Je ne voulais pas d'un "pot de départ" dans l'enceinte de mon école mais une journée en montagne avec mes anciens élèves, toutes générations confondues. Ceux qui sont devenus adultes et qui ont leurs enfants, ceux qui entrent dans l'âge adulte et ceux qui quittent l'enfance, ceux qui sont entre deux mondes et cherchent encore une voie de passage, une passerelle vers l'avenir...J'aurais aimé qu'on se retrouve tous sur les pentes des montagnes, dans les paysages de nos sorties communes, sur les chemins qu'ils avaient découverts, j'aurais aimé retrouver tous ces visages, entendre leurs souvenirs, rire de nos "aventures", j'aurais aimé qu'ils me disent ce qu'ils gardaient en eux, ce que j'aurais réussi à leur transmettre et ce qu'ils en ont fait.

J'aurais pu fermer cet espace en moi, j'aurais pu déposer un regard bienveillant sur un parcours achevé, j'aurais pu, peut-être, éprouver le bonheur du travail accompli. 

Aucune fierté, aucune prétention, aucune glorification. Juste le sentiment d'un accompagnement qui se termine et la possibilité, désormais, d'oeuvrer à une autre vie. 

Je ne vois maintenant que le cadavre d'un Maître de classe qui est tombé dans un fossé et la pourriture qui le ronge. 

Il faudra que le temps fasse son oeuvre, que la viande se fonde, qu'elle disparaisse, que les pus coulent dans la terre, que les vers se partagent le festin. 

Rien de bon ne peut advenir désormais. Cet homme-là est mort.

Oui, mais je suis en vie, moi, celui qui n'a plus de statut, reclus comme un cadavre qui pue, isolé dans le caveau de son errance intérieure.

Je suis en vie. 

Entouré de ceux que j'aime, dominé par les sommets des montagnes qui m'appellent, respectueux de ce courant qui continue à agiter mon sang, amoureux de ce miracle qui bat dans ma poitrine.

Tout peut advenir désormais. 


"L’Amour n’est jamais triste. C’est juste des feuilles mortes qui le couvrent. Laisse passer l’hiver et tu verras la pourriture des feuilles nourrir la Vie.»
Jarwal le lutin


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