L'enseignement "supérieur"...

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2003, année cataclysmique pour les universités du monde entier. Avec la parution du premier classement de Shanghai, l'excellence des formations est désormais mesurable. Et la France reçoit une véritable douche froide. On pensait son modèle adulé partout sur la planète, ses étudiants enviés. Las, le premier établissement hexagonal, l'université Paris-VI (Pierre-et-Marie-Curie), ne figure qu'en 65e position ! Historien, enseignant-chercheur à Paris-I, François Garçon réalise alors une enquête inédite pour tenter de comprendre cette déconvenue. Enquête sur la formation des élites (Perrin, 2011) et plus récemment Le dernier verrou (The Media Faculty, 2012) dressent un tableau accablant de notre enseignement supérieur. Explications.

Le Point.fr : Vous affirmez que le classement de Shanghai a fait voler en éclats les certitudes et les acquis de l'enseignement supérieur mondial. Que nous a-t-il concrètement révélé ?

François Garçon : Sur tous les pays concernés par le classement, je pense que c'est la France qui est tombée du plus haut. Le constat a été d'autant plus dramatique que celle-ci était persuadée que son système était la seule alternative au modèle américain. Et d'un seul coup, on se rend compte que l'excellence tant vantée n'était en fait qu'un village Potemkine. Vous me direz, l'Espagne et l'Italie sont aussi très mal classées. Mais la différence, c'est que ces deux pays savaient parfaitement à quoi s'en tenir. Ils savaient que leur système était vérolé, ils avaient conscience de l'état lamentable de leurs établissements, de l'exode massif de leurs universitaires à l'étranger... Chez nous, on a d'abord crié au scandale, puis fermé les yeux. Avant de manifester la surprise du cocu : ciel, on nous aurait trompés ? Le classement a pointé du doigt le fait que nous étions terriblement à la traîne en matière de recherche pour avoir valorisé les usines à cadres que sont aujourd'hui les grandes écoles.

Comment expliquer cette aptitude hexagonale à se voiler la face au nom de "l'exception française" ?

Il y a une vanité, un certain provincialisme, une condescendance ancestrale très "made in France" à l'égard des États-Unis d'une part et de l'Europe d'autre part. Encore aujourd'hui, alors que le classement de Shanghai a démontré que notre système était loin d'être le meilleur, la France reste persuadée que le monde entier nous l'envie ! Or, lorsque vous visitez de grandes universités à l'étranger, vous vous rendez rapidement compte que pas un seul universitaire n'envisage de venir enseigner ou faire des recherches chez nous.

À la suite des résultats accablants du classement de Shanghai, la France a fini par envisager des mesures pour renforcer sa compétitivité en rapprochant notamment divers établissements pour constituer des méga-pôles. Qu'en pensez-vous ?

Je suis très sceptique. Je pense que ce n'est pas en additionnant des établissements qui n'ont pas d'histoire commune qu'on bâtit une synergie de travail entre des domaines qui convergent. L'identité de chaque entité résistera certainement aux tentatives de fusion. Je veux dire par là que la hiérarchie du système français est très ancrée et obéit à une logique archaïque et militaire héritée de Napoléon, de 1812. Regardez comme l'idée d'abandonner le classement de l'Ena a suscité la polémique ! Tout ça pour 82 personnes ! C'est d'autant plus dommage que c'est ce qui est, entre autres, à l'origine du manque de compétitivité de l'industrie française et du marasme économique que nous connaissons aujourd'hui. La hiérarchie immuable de notre système éducatif empêche la véritable compétition.

Quels sont les modèles à suivre en Europe ?

Si un jour la France se décide à ouvrir les yeux sur ses voisins, vous voulez dire ? D'un côté, la Suisse, qui délivre un enseignement supérieur à la fois gratuit, public et libre d'accès, fondé sur l'idée d'autonomie des universités. Et d'autre part, la Grande-Bretagne, dont l'enseignement est, certes onéreux, mais d'excellence et restructuré il y a peu. Le système anglais accorde une place fondamentale à la compétition. C'est-à-dire que si Cambridge prend une année le pas sur Oxford dans un domaine particulier, l'année suivante, Oxford tentera de compter dans ses équipes un ponte en la matière. Jamais vous ne verrez ça en France.

Vous prônez aussi une évaluation des enseignants "à la suisse". Qu'apporte-t-elle ?

Elle a déjà le mérite d'exister ! Je suis arrivé à Paris-I en 1999, et depuis, on ne m'a quasiment jamais demandé ce que j'y faisais. En Suisse, il y a des critères de notation extrêmement précis. Sont prises en compte les publications (avec un ensemble très complexe de sous-critères), les invitations aux colloques, la participation aux activités de l'établissement...

Comment expliquez-vous que la France ne procède pas à la même évaluation pour garantir la qualité de ses enseignements ?

Parce que, chez nous, l'évaluation est synonyme de paranoïa. Et est vécue comme un contrôle policier qui pourrait déboucher sur des sanctions. Or, les enseignants suisses sont-ils sanctionnés ? Certainement pas. Il s'agit juste d'un excellent outil pour se positionner par rapport aux autres. La Suisse impose également aux cadors d'enseigner en première année. Alors qu'en France la logique pousse souvent l'éminent professeur à ne surtout pas fréquenter la plèbe. En Suisse, tous les professeurs sont dotés d'assistants qui peuvent corriger les 400 copies pendant que vous faites cours. Et qu'y a-t-il de plus glorifiant pour un jeune étudiant que d'avoir pour professeur un maître dans sa discipline ? Pour ma part, c'est ce qui m'a donné envie de devenir historien. Vous voyez, dans un système, tout est lié. C'est de l'horlogerie. Or, où sont nos horlogers ? Nous avons à leur place des équarrisseurs qui prennent des décisions insensées au motif qu'ils ont réussi des concours idiots.

Vous parlez de la "schizophrénie" de l'enseignement supérieur français. Qu'entendez-vous par là ?

Il existe en effet plusieurs contradictions fondamentales qui rongent notre système de l'intérieur. D'abord, la dichotomie entre grandes écoles et université. Mais aussi le décalage hallucinant qui existe entre enseignants-chercheurs, qui donnent cours, corrigent les copies, encadrent les recherches, effectuent les leurs, collectent la taxe d'apprentissage, et les pontes du CNRS, qui font uniquement de la recherche et sont la risée de leurs homologues étrangers qui ironisent sur le "cocooning CNRS".

Sous-équipement, sous-encadrement, sous-financement, surpopulation... Vous dressez un rapport très noir de l'université, que semblent corroborer les classements internationaux. Comment expliquez-vous qu'elle soit tombée aussi bas ?

C'est simple. Elle est considérée comme la cinquième roue du carrosse, alors que les grandes écoles sont les quatre premières. À l'exception de Bérégovoy et de Monory, ainsi que d'une poignée de médecins et de juristes, tout l'appareil d'État, de droite comme de gauche, est issu des grandes écoles. Et cultive un certain mépris pour l'université. Je pense que cette aversion date de la reconstruction qui suit la Deuxième Guerre mondiale. On a alors besoin de cadres, mais on n'a plus confiance en l'université pour les former. En 2003, on se réveille et on constate que 1,3 million d'étudiants macéraient dans cette cuve dont on n'a pas su assurer le renouvellement des flux.

Dans votre dernier ouvrage, Le dernier verrou. En finir avec le Conseil national des universités (The Media Faculty, 2012), vous dénoncez le CNU comme étant l'une des causes de ce malaise. Que lui reprochez-vous ?

Il s'agit d'une interface qui n'a aucun équivalent au monde. 1 500 personnes, représentants syndicaux, sans la moindre légitimité scientifique ou académique, jugent si des gens qui ont soutenu une thèse devant un jury qualifié sont aptes à enseigner. C'est démentiel. Si on a pu concéder de telles prérogatives à ce poste de douane qui fait l'intermédiaire entre l'université et le marché, c'est non seulement qu'on n'a aucune considération pour l'université, mais aussi que l'université elle-même manque cruellement d'estime de soi.

Que peut-on attendre du nouveau gouvernement en ce qui concerne l'enseignement supérieur ?

Au pire, de revenir en arrière. Mais je n'y crois pas trop. Qui oserait dire que Pécresse n'a pas bouleversé le système français ? Elle est la première à avoir su ouvrir les yeux sur ce qui se passait à l'étranger et à frapper un grand coup dans la fourmilière. Il faut donc espérer que le gouvernement socialiste poursuive sa politique en la matière, qu'il consolide la LRU et accélère la mise en place de bonnes pratiques venues de nos voisins. Mais pour cela, il faut continuer de dénoncer les dysfonctionnements, les aberrations. Pousser l'ultime cri d'alarme avant qu'il ne soit trop tard.



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