L'ère anthropocène

L'Homme a fait entrer la Terre dans une nouvelle époque géologique

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La déforestation progresse en Amazonie.
La déforestation progresse en Amazonie. INRA/CHRISTOPHE MAITRE

L'Homme est aujourd'hui la principale force gouvernant l'état, le fonctionnement et l'évolution de la planète. Et cette prise de contrôle a commencé dans les années 1950. Telles sont les deux conclusions, aux implications vertigineuses, d'une étude qui sera publiée lundi 19 janvier dans le journal The Anthropocene Review. Ces résultats seront présentés, en même temps que ceux d'une autre étude, parue jeudi 15 janvier dans la revue Science, sur les « limites planétaires », lors du Forum économique mondial de Davos, du 22 au 25 janvier.

S'il fallait encore nous convaincre que nous sommes entrés dans une nouvelle époque – celle de l'anthropocène –, le travail conduit par Will Steffen, chercheur à l'Université de Stockholm (Suède) et à l'Université nationale australienne, en apporterait la démonstration. « En un peu plus de deux générations, l'humanité est devenue une force géologique à l'échelle de la planète », écrivent les auteurs.

C'est, précisément, la définition de l'anthropocène. Un néologisme, associant les mots grecs « homme » et « récent », forgé par le néerlandais Paul Crutzen, Prix Nobel de chimie en 1995, pour signifier que l'influence des activités anthropiques sur le système terrestre est désormais prépondérante. Et que nous sommes donc sortis de l'holocène, l'époque géologique après la dernière glaciation et qui couvre les dix derniers millénaires.

GRANDE ACCÉLÉRATION

Ce constat est aujourd'hui très largement partagé par la communauté scientifique. Pour autant, l'entrée dans l'anthropocène n'est pas encore actée par la Commission internationale de stratigraphie et l'Union internationale des sciences géologiques, seules arbitres en la matière. A fortiori, la chronologie de ce basculement n'est toujours pas arrêtée. Certains proposent de le faire commencer autour de 1800, avec la révolution industrielle. D'autres de remonter aux débuts du néolithique, voilà quelque 10 000 ans, lorsque des sociétés de cultivateurs-pasteurs sédentaires se sont substituées aux chasseurs-cueilleurs nomades.

 « De tous les candidats à une date de démarrage de l'anthropocène, le début de la grande accélération est de loin le plus convaincant du point de vue de la science du système terrestre », tranchent Will Steffen et ses collègues. La « grande accélération » ? Il s'agit d'un autre concept, formalisé au début des années 2000, pour rendre compte de l'impact de plus en plus fort des activités humaines sur le globe. Or, les auteurs montrent que ce processus s'est précipité à partir du milieu du siècle passé.

Ils ont mis en vis-à-vis deux groupes de douze indicateurs. Le premier décrit, de 1750 à 2010, les grandes « tendances socio-économiques » mondiales : population, croissance économique, consommation d'énergie primaire, urbanisation, usage de l'eau, construction de barrages, transports, télécommunications, tourisme international… Le second groupe s'attache, sur la même période, aux « tendances du système terrestre » : émissions de gaz à effet de serre ( CO2, méthane et protoxyde d'azote), ozone stratosphérique, hausse des températures, acidification des océans, pertes de forêts tropicales, érosion de la biodiversité, artificialisation des sols…

PRESSION DES ACTIVITÉS HUMAINES

Les résultats sont éloquents : pour la plupart de ces indicateurs, la courbe grimpe en flèche à partir des années 1950, ce qui établit une corrélation directe entre la pression des activités humaines – la production et la consommation de biens – et l'état de santé de la planète. « Il est certainement vrai que les humains ont toujours modifié leur environnement, parfois à grande échelle. Mais ce que nous documentons depuis le milieu du XXsiècle est sans précédent, en rythme comme en amplitude », observent les chercheurs, qui soulignent que ce bouleversement sort des limites de la « variabilité naturelle » des derniers millénaires. « C'est un phénomène nouveau et cela montre que l'humanité a une responsabilité nouvelle, à un niveau global, pour la planète », ajoutent-ils.

Les auteurs vont plus loin, en établissant que cette responsabilité n'est pas également partagée entre les nations. De fait, le concept d'anthropocène s'est parfois vu reprocher de considérer à tort l'humanité comme un bloc homogène. Leur travail échappe à cet écueil, en distinguant chaque fois que possible pays riches – ceux de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) –, pays émergents – Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud – et pays en développement. Il apparaît que « la part du lion » de la consommation de biens reste celle des pays de l'OCDE, qui possédaient en 2010 près des trois quarts de la richesse mondiale (somme des produits intérieurs bruts), alors qu'ils ne totalisaient que 18 % de la population. Cela, même si le poids des nations émergentes va croissant.

« MARQUEURS » IMPRIMÉS PAR L'HUMANITÉ

« Il s'agit d'une étude de très grande qualité, qui concorde parfaitement avec nos propres résultats », commente Jan Zalasiewicz, professeur de géologie à l'Université de Leicester (Angleterre) et membre du Groupe de travail sur l'anthropocène, un réseau interdisciplinaire de chercheurs œuvrant pour la Commission internationale de stratigraphie. Avec ving-cinq autres scientifiques de douze pays, il vient en effet de publier, dans la revue Quaternary international, une analyse qui retient elle aussi le milieu du siècle passé comme début de la nouvelle époque géologique. Cela, à partir d'une approche stratigraphique fondée sur les « marqueurs » imprimés par l'humanité dans la biosphère.

A ce titre, l'explosion de la première bombe atomique de l'Histoire, le 16 juillet 1945 dans le désert du Nouveau Mexique – quelques semaines avant les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki –, pourrait être considérée comme le point de départ de l'anthropocène, dans la mesure où la dissémination des matières radioactives autour du globe constitue « un signal attribuable sans équivoque aux activités humaines ».

RÉPONSE EN 2050

Entré dans une ère nouvelle, donc, l'Homme est-il condamné à l'emballement d'une « grande accélération » impossible à stopper ou même à ralentir ? Tout en constatant que la course en avant s'est poursuivie de plus belle au cours de la décennie 2000-2010, Will Steffen et ses collègues relèvent quelques (rares) signes de ralentissement. La croissance démographique mondiale faiblit. La construction de grands barrages stagne depuis une quinzaine d'années, les possibilités de nouveaux aménagements se raréfiant. Et le « trou » dans la couche d'ozone au-dessus de l'Antarctique est en voie de se résorber, du fait du bannissement des composés chlorés.

Qu'en sera-t-il du futur ? « Les cinquante prochaines années apporteront-elles le grand découplage [entre développement économique et impacts sur le système terrestre, par exemple par la promotion des énergies renouvelables] ou le grand effondrement ?, questionnent les auteurs au terme de leur étude. Cent ans après l'avènement de la grande accélération, en 2050, nous connaîtrons sûrement la réponse. » 
 

 


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