NOIRCEUR DES CIMES : Le corps, l'âme, l'esprit.

 


En Occident, l'individu est constitué d'un corps physique et d'une âme (psyché) alors que dans la vision orientale, l'individu est ternaire : un corps, une âme et un esprit.

Dans la conception occidentale, la personne correspond au "moi" individualisé. En se développant, celui-ci devient un sujet égocentrique et séparé du monde, il est identifié, reconnaissable par les autres et par lui-même...

Max Weber a montré à quel point l'homme est identifié aux normes légitimées, sociales, religieuses, culturelles...

Jung proposait à l'homme de prendre conscience de ces identifications, de tous les masques qu'il adopte.

Les philosophies orientales reposent également sur cette vision de l'homme qui s'identifie à ce qu'il croit être, à son moi, et qui perd le contact avec son être réel :le Soi.



Le corps est défini comme l'enveloppe de l'homme mais il est aussi le lieu de l'âme. Dans la vision occidentale, nous retrouvons la conception dualiste. Le corps est séparé du psychisme. La médecine s'ouvre lentement à l'idée que la santé psychique peut influer sur la santé physique...C'est long mais on y vient...



La vision orientale du corps est ternaire. Le corps est le lieu de transformation des énergies ; terre, homme, ciel.



Pour Sri Aurobindo, le corps est constitué ainsi :

le corps physique correspond à la survie, aux instincts et aux pulsions.

le corps physiologique assure le fonctionnement des organes.

le corps mental correspond à la fonction intellectuelle et à la construction de l'égo.

Dans la conception d'Aurobindo, le corps mental doit s'ouvrir à l'âme qui doit s'ouvrir à l'esprit. Celui-ci est conscience et énergie pure.



Donc, l'âme ferait partie intégrante du corps mais elle serait aussi le lieu de l'esprit... Le mot âme vient du latin "anima" qui signifie le principe pensant mais surtout "animer". L'âme est ce qui anime le corps et ce qui pense en nous-mêmes.

L'âme, c'est aussi la "psukhê" grecque signifiant l'idée d'un miroir pivotant permettant de se regarder dans toutes les directions et de s'observer complètement.

Elle est à la fois le lieu de la pensée, de l'animation du corps, mais aussi le lieu d'où l'on peut apercevoir si on "oriente" le miroir la lumière de l'esprit...

L'âme est donc l'entité servant de point de jonction entre le corps et l'esprit, pouvant éclairer à la fois l'un et l'autre.

L'esprit peut être compris dans son sens latin "spiritus" qui signifie souffle. Il est, semble-t-il, ce qui donne la vie à l'âme et donc au corps, le souffle de vie qui,lorsqu'il quitte le corps, fait que l'homme meurt. L'esprit est ce qui rattache l'homme à quelque chose de plus "haut" en l'homme et non au-dessus de lui.

Certains, comme les Chrétiens, pensent que l'esprit est une force transcendante provenant de l'extérieur du sujet tandis que d'autres, comme les gnostiques, pensent que la force de l'esprit provient de l'intérieur même de la personne...Vaste débat...



Lors d'expériences psychiques ou/et physiques amenant une "force énergétique" bouleversant tout notre être, nous avons eu l'impression d'être touchée, visitée, ou contactée par cette force que nous pouvons nommer "esprit". Qu'en est-il réellement ? Etait-ce enfoui en nous ou bien est-ce venu de l'extérieur ?

 
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"NOIRCEUR DES CIMES"

Extrait.




« Tu n’es pas au fil des âges un amalgame agité de verbes d’actions conjugués à tous les temps humains mais simplement le verbe être nourri par la vie divine de l’instant présent. »

L’aura étincelante exhale des paroles qui l’investissent avec douceur. Des myriades de cristaux éclatants scintillent autour de l’apparition et l’enlacent délicatement. Il sent les mots glisser en lui et répandre sur leur trajet des tiédeurs qui le tranquillisent. Il ne distingue aucune forme et pourtant il devine qu’il est observé. Les particules lumineuses coulent en lui comme des nourritures, le soutiennent et le revigorent. Il a l’impression de flotter dans une matrice protectrice et l’énergie qui lui parle résonne dans son esprit comme à travers une cloison moelleuse…Il n’a pas de corps, il n’est qu’une entité vibratoire, palpitant sur un tempo étrange, mystérieux, incommensurable. Etrangement lui vient à l’esprit qu’il n’a même plus d’esprit et que cette pensée n’en est pas une, qu’elle n’a pas de source connue et que l’émetteur habituel a disparu. Ni corps, ni esprit, ni matière, ni intellect mais une certitude de vie.
L’idée le sidère et déclenche dans le bain radieux où il flotte un tourbillon dérangeant, une anxiété perturbatrice, l’intuition inquiétante d’avoir égaré une image précieuse.
Aussitôt, la sensation de froid dans son dos l’arrache à son sommeil. Il ouvre les yeux sur des noirceurs insondables.

Il fait terriblement nuit. L’idée que le monde a disparu le panique. Il cherche la lampe frontale dans le duvet et tourne la mollette. Le faisceau étroit est d’une fragilité qui le désespère. Les flocons dansent encore et couvrent minutieusement son abri, la couverture de survie, son sac, la corde, les piolets sur lesquels il est amarré. Il a froid et perçoit son corps comme un bloc solidifié. Entre son nez et la lèvre supérieure, la peau est brûlante. Il regrette les douceurs oniriques et il tente de retrouver quelques bribes d’images. Il se souvient vaguement de phrases murmurées, d’une lumière étrange, nullement aveuglante et pourtant intense, comme si cette intensité était davantage une forme de sentiment qu’une énergie.
Il sent qu’il n’aurait pas dû avoir peur. Qu’il ne devait pas s’attacher à son image égarée.
Il voudrait retrouver la totalité du message. Quelqu’un lui a parlé. Ou quelque chose. Il n’en a pas de représentation exacte, juste un amalgame de sensations tranquillisantes et simultanément la certitude d’un don merveilleux, d’une confiance accordée. On lui a permis de voir quelque chose de rare.
Il est persuadé d’avoir été en contact avec un mystère qu’il doit saisir. C’est une faveur inestimable qu’il n’a pas le droit d’ignorer. Il maudit les miasmes léthargiques qui limitent sa lucidité puis il réalise aussitôt que cette apathie tenace est un écrin protégeant des lumières. A vouloir retrouver d’illusoires capacités intellectuelles, à vouloir comprendre à travers la vitre trompeuse de ses certitudes passées et de ses sens limités, il devine une erreur.
La réalité s’établit-elle dans le champ présent de cette conscience connue ou l’Univers qui vient de se dévoiler recèle-t-il un monde véritable ?
« Suis-je entrain de me souvenir d’un rêve ou bien ce rêve était-il la réalité qui m’a toujours échappé, suis-je revenu dans un monde illusoire, une imposture monumentale ? »
Le questionnement le sidère. Il n’a aucun souvenir de telles interrogations. Il a même du mal à croire que son esprit puisse élaborer de telles hypothèses. Cette intuition que le monde aperçu contenait davantage de vérités que celui dans lequel il souffre actuellement est une probabilité qui l’attire et son inclination à adhérer à ce raisonnement le bouleverse tout autant. Il se corrige en pensant d’ailleurs qu’il ne s’agit pas d’un raisonnement. Mais d’un ressenti. Sa raison s’efforce au contraire de rétablir des conclusions antérieures. Elle fait partie du mensonge. Elle est le ciment qui scelle les murs de la geôle, un élément majeur de l’embrigadement. Ici, une tentative d’évasion lui est proposée.
Jusqu’à ce jour, le cerveau, formé par l’éducation et la dictature d’une vision faiblement humaine, lui a servi à renforcer l’expérience restrictive de la raison. Il sent désormais qu’il doit trancher les tuteurs contre lesquels il s’est enchaîné en acceptant ce fonctionnement négligeable mais qui l’a puissamment endoctriné, l’a inscrit dans le moule carcéral d’une humanité dictatoriale. La perception d’un espace épuré des manifestations communes à tous les êtres humains le ramène vers l’aura qui l’a accueilli dans son rêve. Ou dans cette autre réalité qui l’a touché. Il ne perçoit pas ce ressenti étrange à travers ses cinq sens, mais à l’aide d’une conscience neuve, d’une compréhension atypique à laquelle il s’abandonne avec béatitude, avec un profond apaisement. Cette vision extatique d’une lumière protectrice, matricielle, emplie d’une vérité supérieure, le ravit et le tranquillise tout en insufflant en lui un enthousiasme régénérateur.
Sa vision s’élève au-dessus de la carapace ramassée dans son trou de neige et une immense compassion pour cet être épuisé l’inonde. Il sent qu’il ne s’agit pas de son imagination mais bien d’une partie intime de lui qui l’observe. Il s’est scindé mais il n’a pas peur. Sans qu’aucun mot ne se forme, il sait, avec une certitude absolue, qu’il s’agit d’un privilège.
Il flotte au-dessus de lui, tout du moins, une entité de lui-même, et il ne peut voir dans cet observateur qu’un esprit libéré de son enceinte de chair. Ce n’est pas l’image de cette existence en sursis qui le touche mais l’apparition merveilleuse de cette onde vitale qui palpite dans la matière recroquevillée. N’importe qui verrait dans ce corps misérable, dans cette extrême infortune, cette solitude désespérante, les prémices d’une mort certaine. Lui ne perçoit que la force de vie coulant de l’Univers et le nourrissant. Ce n’est pas son cœur qui bat mais la Vie qui l’alimente, ce n’est pas son sang qui circule mais le courant qui l’anime. Rien n’est à lui, tout lui est offert. C’est un don merveilleux dont il n’avait jamais pris conscience. Et il devine aussitôt que ce mot ne convient pas. Il en faudrait un autre. Il pense à la lucidité, à la clairvoyance. Sa conscience s’est effacée. Il n’est pas dans un état connu et les anciens mots sont insignifiants. Il sait qu’il ne peut plus être privé de ce contact sublime, que la réalité est en lui, que le halo lumineux s’est inscrit à tout jamais dans son esprit éveillé. Son esprit…Lui revient en mémoire une image du rêve, une pensée, quelque chose qu’il ne sait nommer…Ni corps, ni esprit mais la certitude de la vie…Ni esprit…Ni esprit…Il ne parvient pas à imaginer que tout ce qu’il perçoit puisse être capté par une autre entité que cet esprit mais ils ne parvient même pas à l’imaginer clairement, à l’identifier, à l’analyser, le décrire. Il ne s’agit pas de sa raison, ni de son intellect ou de son mental. Ne lui reste dès lors que l’esprit. Une distinction s’impose soudainement. Ce qu’il reçoit est capté par son esprit mais l’Ame qui l’a effleuré est à la dimension de l’Univers. L’esprit est humain, l’Ame vibre dans le Tout. Cette Ame l’a investi et son esprit s’est retiré devant la beauté du contact. Il s’est mêlé au Tout ou plutôt il a enfin saisi au plus profond de ses fibres son appartenance… Oui, il tient la solution, elle coule en lui comme une lave revitalisante. Il est une particule de l’Ame, un fragment du Tout, un élément infime, une image participant à la multitude dans une unité indivisible. Pendant des années d’errance, son égo l’a gonflé de suffisance, l’a gavé de prétention, aspirant follement dans la raison humaine les ingrédients empoisonnés de l’hallucination collective dans laquelle il s’est égaré. Ici, sa propre conscience s’est évaporée devant celle de l’Ame. Et la vérité est apparue.
L’Ame…De qui, de quoi ? Quelle importance ! Il n’en sait rien puisque rien de connu ne lui est proposé. Il n’a aucun repère, aucune connaissance, aucune limitation humaine. Et il ne cherche pas à traduire par sa raison ce qui lui est donné. Il ne veut plus des murs de la geôle. Il est dans l’abandon, l’accueil, l’osmose.
L’osmose. Le mot lui est apparu avec une splendeur indéfinissable, une joie qui le bouleverse.
Il est heureux.
Dans l’antre éclairé de son esprit, il sent grandir un embryon magnifique.
 

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