"Do it" de Jerry Rubin

 

Do it par Rubin
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EAN : 9782020006798
271 pages

Seuil (01/05/1973)

3.99/5   42 notes

Résumé :

À travers les luttes de ces dernières années, sur les campus, contre le Pentagone, à Chicago en 1968, Jerry Rubin (jadis jeune Américain sage) est à l'origine de cette synthèse entre le courant hippie et le gauchisme des jeunes révolutionnaires blancs américains : le mouvement "yippie" dont ces pages sont à la fois le Manifeste, l'épopée, le manuel et la bande dessinée.
"Le mythe devient réel quand il offre aux gens une scène sur laquelle ils viennent jouer leurs rêves et leurs désirs... Les gens essayent de réaliser le mythe ; c'est là qu'ils tirent le meilleur d'eux-mêmes.
Invente tes propres slogans. Proteste contre ce que tu voudras. Chacun est son propre yippie.
Notre message, c'est : ne grandissez pas. Grandir, c'est abandonner ses rêves.
Source : Points, Seuil

 

J’ai lu ce livre quand j’étais jeune et c’était réjouissant.

La rébellion, la contestation, l’engagement, les convictions, des idées fortes mises en actes. J’aurais aimé connaître Woodstock, pour l’ambiance, le partage, la libération, la foi en l’avenir, un monde meilleur.

Rubin n’était pas hippie mais yuppie. Pour moi, la distinction essentielle, c’est que la lutte physique s’alliait aux luttes morales. Rubin était ami avec Eldridge Cleaver, figure incontournable des Black Panters. Attention, ça ne rigolait pas…

J’ai connu une période quelque peu agitée dans ma jeunesse, la contestation contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff. J’ai beaucoup tiré au lance-pierres, des billes de plomb qui faisaient très mal, j’ai beaucoup couru, j’étais au tribunal à Quimper quand les CRS ont chargé dans l’enceinte, c’était violent, vraiment violent. 

JUSQU'AU BOUT : Plogoff

Les manifestations avec les agriculteurs à la préfecture de Quimper, les manifestations contre les subventions accordées à l’école privée. J’ai pulvérisé la vitre arrière de la voiture d’Alliot-Marie, secrétaire d’état à l’enseignement. Et j’ai couru.

Je n’avais pas peur de la violence, du combat.

Mais un jour, je me suis fait peur. J’ai envoyé à l’hôpital deux « copains » de mon grand frère qui était revenu du royaume des morts. J’étais passé dans leur bistrot pour leur demander de passer voir mon frère. Ils ont rigolé en disant qu’ils préféraient attendre qu’ils viennent leur payer un coup. Je les ai défoncés avec un pied de chaise que j’avais d’abord fracassée sur eux.

Là, j’ai réalisé à quel point la rage pouvait me mener au drame. Et j’ai tout arrêté.

Je raconte ça pour expliquer pourquoi je ne participe plus aux luttes communes. Je ne supporte pas la vue des « forces de l’ordre », les megabassines, il ne faut pas que j’y aille, ni dans aucune manifestation de ce type. Et je n’ai rien fait pendant la crise des gilets jaunes.

Maintenant, je reviens à Jerry Rubin. Lui et ses amis n’avaient peur de rien. La marijuana tournait à plein régime et les idées fusaient dans tous les sens mais tout ça avait du sens. C’était l’époque du Vietnam. Les universités représentaient soit la contestation, soit l’adhésion au « rêve américain ». Rubin, Hoffman et d’autres luttaient, physiquement, contre l’enrôlement des jeunes, contre le racisme envers les noirs, contre la société de consommation, contre l’embrigadement des enfants, contre le matérialisme, contre la politique corrompue (époque de Nixon), contre le capitalisme. Ils ont fait de la prison, inculpés pour atteinte à la sécurité de l’état, pour incitation à la révolte. Dans les tribunaux, ils venaient déguisés, portant l’uniforme des soldats de la guerre d’indépendance, ils ont présenté un cochon comme candidat aux élections présidentielles. Ils se couchaient sur les rails de chemin de fer pour arrêter les trains qui convoyaient les jeunes qui devaient partir au Vietnam. Des flics sont morts dans les manifestations, des manifestants sont morts sous les coups des flics. Non, ça ne rigolait pas.

Ça ne rigole toujours pas d’ailleurs chez les cowboys. Encore moins en ce moment.

Ce livre est décousu, d’une qualité d’écriture très faible, avec des informations difficiles à saisir pour un non Américain, une flopée de personnages, des idées qui ne sont pas suffisamment étayées, approfondies. Ils étaient « défoncés » à longueur de journée, Rubin le répète sans cesse. Mais c’est l’époque qui importe, le fond et non la forme, cette contestation puissante qui allait mener à Woodstock. L’histoire des USA, on le sait, se projette toujours bien au-delà de ses frontières.

Aujourd’hui, avec le recul, la relecture de ce livre génère chez moi un profond dépit. Parce que le constat est sans appel : toutes les contestations ont échoué, toutes les révoltes, les révolutions, les tentatives de changement de paradigme, rien n’a abouti. Le capitalisme reste le maître absolu.

Il faut savoir que Jerry Rubin est devenu un chef d’entreprise, un des premiers investisseurs d’Apple et les propos qu’il a tenus alors en paraissent risibles, voire pitoyables au regard de son passé… Il est mort renversé par une voiture. Hoffman est mort d’une overdose. Le parcours de Cleaver mériterait un film hollywoodien. Des retournements de veste d’une ampleur saisissante. A croire que la cocaïne et tous les autres cocktails qu’ils ont ont avalés leur ont cramé les fils.

A lire toutes ces histoires, on se demande ce que signifie le terme d’engagement…

J’en retire là aussi que la lute contre le système, que ça soit une lutte armée ou intellectuelle, c’est dangereux. Vraiment dangereux. Qu’il est risqué de vouloir confronter ses convictions au système. Parce que le système n’est pas humain, il a sa propre inertie, sa propre existence et que les hommes et les femmes qui le maintiennent en état et qui pensent avoir une certaine importance ne sont que des rouages d’une machinerie qui peut les broyer au jour où ils ne sont plus utiles. D’autres hommes ou femmes s’en chargeront. Pour le système.

Rubin s’est fait avoir, Cleaver tout autant, Hoffman a lâché l’affaire dans un dernier trip. Et combien d’autres. Les anciens de Woodstock qui ont fini patron d’un McDo.

Ce livre plaide de nouveau pour le choix que j’ai fait. Me retirer au maximum. Parce que j’ai conscience de la violence dont je suis capable et parce que je ne crois aucunement aux mouvements de masse.

Aucun humain n’arrêtera le système, il se détruira de lui-même par épuisement des ressources, par épuisement de la nature, par le dérèglement général que le système a engendré et entretient. Jusqu’ici, ça va encore, à peu près.

Voyons la suite. 

On ne lutte pas contre le système, on en sort. Au mieux, ou au moins pire. 

Se souvenir de Nietzsche : "Quand tes yeux plongent dans l'abîme, l'abîme aussi plonge en toi."

 

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