Discopathie dégénérative
- Par Thierry LEDRU
- Le 19/05/2025
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Voilà une photo de la sténose en bas de mon dos. L'excroissance visible n'est que la partie cachée de l'iceberg. Il faut imaginer qu'à l'intérieur, c'est bien pire.
Je me suis inscrit à un groupe de discussions sur les discopathies dégénératives et je suis effaré, sidéré et profondément touché par le nombre conséquent de personnes qui viennent témoigner de leur calvaire. Tous les jours, de nouvelles personnes viennent témoigner...Tous les jours, deux, trois, quatre, cinq personnes, pour un problème qui vient de survenir ou pour un problème qui dure depuis longtemps ou pour une reprise de problème après une accalmie etc … Les situations varient d’une personne à l’autre mais ce qui reste identique, c’est la détresse.
Et ce qui me terrifie encore plus, c’est de voir l’âge de certaines victimes. Avoir des problèmes de dos à 60 ans, je veux bien l’admettre mais des jeunes de 20 ans qui se retrouvent dans des situations terriblement douloureuses et pour lesquels la chirurgie reste parfois sans autre solution que de se lancer dans des opérations très, très lourdes, aux conséquences incertaines, c’est déprimant et ça m’interpelle considérablement.
Je suis sur ce groupe depuis quelques semaines et certains témoignages sont vraiment dramatiques. J'en arrive à avoir une sensation d'oppression à les lire. Comme un ancien soldat qui écoute le récit des frères de combats...
Je sais ce que ces gens endurent. Même si chaque cas est différent, la douleur, elle, est commune et terriblement destructrice.
Je me suis inscrit sur ce groupe pour voir si d’autres personnes partageaient ce que je vis et comment ils géraient la situation et je réalise combien mon cas est « miraculeux » au regard de l’état de mon dos.
Depuis un mois et demi qu’on est sur le nouveau terrain, on travaille tous les jours. Le potager est en place avec sa pergola, une vingtaine de pieux plantés à quarante centimètres de profondeur, toutes les pannes et les tasseaux fixés, une quarantaine d’arbres plantés, des brouettes et des brouettes de pierres sorties du sol, deux stères de bois tronçonnées, fendues et rangées, etc etc.
Samedi, vingt km de trail, 700 m de dénivelée et dimanche 30 km de vélo 800 m de dénivelée, aujourd’hui, mise en place de citernes de récupération d’eau de pluie etc...Des parpaings, des dalles au sol, la pioche, la barre à mine pour sortir des pierres que je soulève et pose dans la brouette.
On n’arrête pas et c’est que du bonheur.
Alors que, pour la médecine, je devrais juste pouvoir marcher péniblement et surtout, surtout, ne faire aucun effort soutenu.
Je sais d’où je viens, je sais le « travail intérieur » que j’ai mené, l’attention que je porte à mon corps, son entretien, l’amour infini que j’ai pour lui.
Alors, je témoigne sur ce groupe, avec empathie, compassion, solidarité envers toutes ces personnes qui n’entrevoient plus du tout la sortie du tunnel. Je sais combien la noirceur de l'instant est celle d'un tombeau quand on n'a plus la force de se projeter au-delà, quand la douleur est si cruelle qu'on voudrait mourir pour qu'elle meure elle aussi.
Alors, je raconte un peu où j'en suis.
Il ne s’agit pas de me mettre en avant. Juste de dire que si ce « mal » est venu, il est possible aussi qu’il s’en aille.
Le nombre de personnes qui se plaignent du milieu médical est effrayant. Des gens qui ne sont pas écoutés, dont les propos sont niés, dont l’état de douleur n’est pas reconnu, des gens qui sont juste considérés comme des « cas à traiter » mais qui ne rencontrent plus l’humanité dont ils ont absolument besoin. Les difficultés pour avoir un rendez-vous, les attentes interminables, les avis contradictoires entre les rhumato, les neuro, les chirurgiens, l'incompréhension et le désarroi qui en résulte, des boîtes de médicaments aux effets secondaires redoutables, les nuits de calvaire...
Je suis consterné également par le nombre de gens qui ont été opérés une fois, deux fois, trois fois et dont les pathologies se répètent, de vertèbre en vertèbre, avec d’autres pathologies qui viennent s’ajouter, toutes plus invalidantes les unes que les autres.
Et là , je m’interroge et je reviens à mon histoire.
Je sais que j’aurais eu besoin d’une aide psychologique quand j’ai été opéré la première fois. J’avais 24 ans. Et je l’ai vécu comme une dévastation. J’aurais eu besoin qu’on m’explique que la douleur est inscrite dans les fibres, pas uniquement dans la mémoire cérébrale mais dans tout le corps et qu’il est absolument nécessaire, vital, d’entamer un travail spirituel pour se libérer de ce fardeau car sinon, à la moindre contraction, l’apparition d’une douleur, aussi infime soit-elle, c’est tout le mécanisme qui se réactive, toute la machinerie émotionnelle, mémorielle, la peur. Et la peur favorise la contraction, la contraction amplifie la douleur qui s’est réveillée. L’individu se donne au mal, comme une victime consentante. La pensée mortifère est un poison.
La méditation, la respiration consciente, les étirements, les massages, la marche, la nature, il faut ériger les défenses, s’accrocher au bonheur comme à une bouée, ne pas sombrer.
Le travail est long, fastidieux, acharné. Il m’aura fallu quarante ans pour apprendre à vivre sereinement avec ce dos détruit. Quarante ans pour identifier clairement les raisons de ce désastre, la folie de ma jeunesse, le sport comme une rage de vivre, des milliers d'heures à courir, à pédaler, à grimper sur les sommets, à courir dans les descentes avec le sac à dos, la corde, tout le matériel d'escalade, parfois des réveils difficiles, mal au dos et j'y retournais, comme un furieux. Oui, j'étais furieux, j'avais mes raisons. Au-delà de la raison. Je vidais ma rage en usant de mon corps et je l'ai usé. La rage, c'était d'avoir été confronté à la mort par personne interposée et d'en avoir retiré un goût immodéré pour la vie, la vie qu'on étreint, la vie comme une lutte, une succession de défis. Mon corps était un outil et par manque de lucidité, j'étais incapable d'indentifier les raisons de cette colère. Je portais un fardeau. Celui de mon histoire et celle de mon frère et un jour, le sac émotionnel s'est révélé beaucoup trop lourd.
Je pense que les gens sur ce groupe de discussions gagneraient à être accompagnées, spirituellement. Qu'il s'agisse d'un psychologue, d'un sophrologue, d'un enseignant en méditation de pleine conscience. Il faut chercher en soi. Il y a peut-être une explication. Les chirurgiens ne le feront pas. Ils ne s'intéressent pas aux tourments de l'âme. J'aimerais dire à tous ces gens que la médecine peut les aider mais qu'elle ne cherchera jamais les raisons profondes, les raisons spirituelles et qu'elle ne les aidera pas non plus à vivre "l'après", non pas la rééducation physique mais la rééducation spirituelle.
Croire qu'on peut oublier le mal, c'est comme continuer à l'arroser alors qu'il faut aller le déterrer et le broyer et le mettre au compost. Car de ce mal décortiqué naîtra la paix.
Je ne pouvais pas mettre de côté mon âme. Elle était en souffrance. Et mon corps en a payé le prix.
Aujourd'hui, je suis en paix avec moi-même.
Je sais malgré tout que l’évolution ne peut pas m’être favorable. Le mécanisme est enclenché et les rouages sont trop abîmés. Irrémédiablement, je vais vers des jours compliqués. Je porte en moi un mal patient qui progresse. Mais je peux retarder son invasion.
Mon mollet gauche s’atrophie, certaines nuits il se bloque, une crampe qui peut survenir dans le sommeil le plus profond, c’est un réveil brutal, je dois me lever, étirer le muscle puis ensuite le masser. La sténose ronge les terminaisons nerveuses. C’est ainsi que je l’imagine. Le mollet droit a pris le même chemin depuis quelques mois.
Mais j’arrive toujours à courir, à marcher, à pédaler, à travailler sur le terrain, à planter des arbres et à les regarder pousser. Et c’est ce qui me sauve.
Être dehors pour être en moi.
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