Panne électrique
- Par Thierry LEDRU
- Le 28/04/2025
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Témoignages
Panne électrique géante en Espagne et au Portugal : «Il n’y a plus de resto, plus de supermarché, plus de feux de signalisation et plein de gens coincés dans les ascenseurs»
Une coupure de courant générale touche l’ensemble de la péninsule ibérique depuis la fin de matinée ce lundi 28 avril, provoquant un immense désordre et de profondes inquiétudes.
Des employés d'un supermarché de la ville espagnole de Burgos, ce lundi 28 avril 2025. (CESAR MANSO/AFP)
par Léonard Cassette, Arthur Louis, Margot Sanhes et Coppélia Piccolo
publié aujourd'hui à 17h25
Un black-out à une échelle jamais vue. L’Espagne et le Portugal subissent une coupure de courant généralisée depuis la mi-journée ce lundi 28 avril. Une partie du sud de la France a aussi été affectée quelques minutes. Alors que le Premier ministre espagnol Pedro Sanchez a tenu une «réunion extraordinaire du conseil de sécurité national», le gestionnaire du réseau électrique espagnol a assuré avoir déployé «toutes les ressources pour remédier» à la panne. Si le courant est rebranché petit à petit par endroits en fin d’après-midi, le retour à la normale dans l’ensemble de la péninsule ibérique pourrait prendre des heures, voire des jours. Les autorités des deux pays enquêtent aussi sur la cause de ce dysfonctionnement géant, mais les premiers éléments sembleraient écarter la thèse de la cyberattaque. Reste que l’incident, inédit, sème chaos et inquiétudes. Libération a recueilli les témoignages de francophones touchés par cette panne de l’autre côté des Pyrénées.
Naïra, habitante de Logroño : «J’ai essayé de chercher des tutos sur Internet pour ouvrir la porte du garage, mais Internet ne fonctionne pas non plus»
Vers 12 h 30 ce lundi, les lumières de la maison de Naïra s’éteignent d’un coup. La mère de famille qui vit à Logroño, la capitale de la Rioja, au sud du Pays basque espagnol, ne s’alarme pas tout de suite. Mais «au bout de vingt minutes, [elle a] commencé à trouver cela bizarre» : «Je devais emmener mon chat chez le vétérinaire, mais je ne pouvais pas ouvrir la porte du garage. J’ai essayé de joindre le cabinet vétérinaire, sans succès», explique-t-elle au téléphone. La quadragénaire commence alors à s’inquiéter. «Je suis sortie de chez moi, pour voir si ma maison était la seule touchée, mais ma voisine m’a dit que c’était le cas pour tout le monde».
Tant pis pour le rendez-vous du chat, mais cette mère de quatre enfants doit tout de même aller les chercher à l’école. «J’ai essayé de chercher des tutos sur Internet pour ouvrir la porte du garage, mais Internet ne fonctionne pas non plus». Finalement, elle trouve la commande manuelle de la porte. Dans sa voiture, elle a une bonne surprise. La radio fonctionne, elle peut enfin avoir des informations. «Apparemment, tout le pays est touché. Même l’hôpital fonctionne sur ses générateurs de secours, c’est vraiment incroyable». Les infos disent que la panne devrait durer six à dix heures. Naïra a déjà préparé les bougies pour une soirée aux chandelles : «Là, je viens d’arriver devant l’école de mon fils. Les feux de circulation ne fonctionnent plus, le trajet était vraiment chaotique».
Elysa, employée dans un call center à Barcelone : «Il n’y a plus de 4G, plus de 5G. Nada»
Elysa, 25 ans, explique que son entreprise, un call center d’hôtels de luxe situé à Barcelone, «est en pleine cellule de crise». Tout a commencé «en salle de réunion», lorsque les lumières se sont éteintes. A son étage d’abord, puis dans tout le bâtiment. «Le wifi a été coupé juste après. Les appels, les SMS, plus rien ne marche. Il n’y a plus de 4G, plus de 5G. Nada», détaille cette jeune Française de 25 ans par téléphone, après être parvenue à rejoindre un réseau wifi restauré.
A l’extérieur, les feux de circulation en panne obligent certains de ses collègues à délaisser la voiture. Faute de métro, à l’arrêt, la marche reste la seule option. Selon Elysa, «tout le monde est un peu stressé, car on s’aperçoit que ce n’est pas uniquement local mais que ça touche le pays entier». L’inquiétude charrie son lot de rumeurs sur l’origine de l’incident. Rien ne montre «à ce stade» que la panne électrique qui frappe l’Espagne et le Portugal ait été provoquée par une cyberattaque, a assuré lundi après-midi le président du Conseil européen Antonio Costa.
La jeune femme souligne toutefois que «personne ne cède à la panique». Elle a déjà envoyé des messages à toutes ses proches pour les rassurer, «avant que [s] on téléphone la lâche». «Je n’ai déjà plus que 50 % de batterie, je me demande comment je vais tenir jusqu’à ce que ça soit rétabli», ajoute-t-elle dans un éclat de rire.
Marine et Lola, stagiaire et étudiante à Salamanque : «Tout le monde est assez démuni, personne ne sait comment faire»
«Aux alentours de 12 h 45, le musée a été plongé dans le noir», raconte Marine, 23 ans, jointe par téléphone. En stage au musée Casa Lis, un établissement d’arts décoratifs situé à Salamanque, la jeune femme a dû «évacuer les visiteurs et fermer le musée car l’éclairage des collections ne fonctionnait plus», tout comme la vidéosurveillance. Elle décrit néanmoins les «forces de police et les pompiers [comme] ultramobilisés».
Coïncidence, la ville du centre-est de l’Espagne célèbre ce lundi le Lunes de Aguas, la plus importante fête locale de l’année. «Pour l’instant les gens sortent mais tout le monde est assez démuni, personne ne sait comment faire, personne ne peut rien acheter. Le centre-ville est vide, les rues sont encore très calmes pour un tel jour», témoigne de son côté Lola, qui fait ses études dans cette ville d’ordinaire très festive.
Pierre, étudiant en chirurgie dentaire à Porto : «Plus de lumière, plus de terminaux de paiement, plus rien du tout»
À la faculté dentaire Fernando Pessoa de Porto, les cours n’ont pas été suspendus ce lundi après-midi mais se déroulent «dans les salles où il y a un peu de soleil», pour avoir un minimum de lumière. Pierre, étudiant en dernière année, décrit un réseau téléphonique qui tourne au ralenti en fonction des opérateurs. La panne électrique a touché la grande ville du nord du Portugal peu après 11 heures : «J’étais au café et la musique s’est arrêtée. Plus de lumière, plus de terminaux de paiement, plus rien du tout», retrace-t-il.
Le jeune homme de 27 ans dépeint également des files d’attente qui commencent à se former pour acheter des denrées essentielles : «L’eau commence à couper aussi. Du coup, il y a des queues partout pour acheter des bouteilles». Avec la gigantesque coupure de courant, à Porto «tout est arrêté. Il n’y a plus de resto, plus de supermarché, plus de lumière, plus de feux de signalisation et plein de gens coincés dans les ascenseurs», égraine Pierre. Avec 30 % de batterie sur son téléphone, il nous laisse un dernier texto avec son programme du soir : «On va se faire un barbecue avec les amis avec les viandes qui étaient au congélateur».
Notre dépendance à la technologie devient criante quand ça ne fonctionne plus. Nous sommes des nantis très fragiles.
LE DESERT DES BARBARES
Seizième jour.
Les chasses-d’eau ne fonctionnant plus, une odeur d’excréments s’éleva bientôt des mégapoles.
Quand des millions de personnes doivent se soulager dans les parcs, dans les jardins publics, dans les bacs à sable pour les chiens, sur les carrés d’herbe en bas des immeubles, sur la pelouse des terrains de sport, dans tous les lieux verts des cités, quand les diarrhées se multiplient par la consommation d’eau impure, les vidanges intestinales couvrent le sol comme les feuilles en automne.
La plupart de ceux qui avaient choisi d’utiliser un seau à couvercle et d’aller le vider quotidiennement n’en pouvaient plus de l’odeur ancrée dans le récipient. À défaut de bénéficier de la proximité d’un ruisseau, d’une source, d’un cours d’eau quelconque, l’impossibilité de nettoyer le récipient rendait la pratique insoutenable. Plus d’ascenseur. Ceux qui logeaient dans des immeubles fatiguaient de devoir enchaîner les escaliers, éclairés bien souvent par une lampe de poche. Les croisements de résidents dans les couloirs, le seau à la main, ne donnaient plus à rire.
Les pénuries de papier hygiénique ne simplifièrent pas le problème. Il fallut chercher avidement les journaux, revues et emballages abandonnés. Tous les containers jaunes de recyclage furent défoncés et vidés.
Des gens en vinrent aux mains pour ne pas avoir à se les salir.
Des centaines de millions de petits tas éparpillés dans les villes, succinctement couverts par des papiers de tous horizons. Des zones entières dédiées à ce soulagement journalier.
On vit même les plantes décoratives, les arbustes puis les arbres des zones vertes, jardins publics, jardins privés et zones commerciales avec leur nature délaissée, pillés par des mains avides. Des hommes grimpaient parfois dans les frondaisons avec un sac en bandoulière et les remplissaient en allant jusqu’au faîte. Seules les orties, le houx et autres plantes revêches, survécurent à ces arrachages sauvages.
Tout le monde se mit à redouter l’arrivée de l’automne.
Les réticents ne supportèrent pas longtemps les douleurs ventrales de la constipation.
Les femmes solitaires craignaient les agressions sexuelles et préféraient garder l’usage du seau à domicile. La nuit, elles jetaient le contenu par la fenêtre. Les obèses qui n'en pouvaient plus de descendre et de monter les escaliers, les vieillards, les malades, tous balançaient leurs déjections quotidiennes de la même façon. Tous les immeubles furent décorés de coulures brunâtres. Malgré la chaleur estivale, il n'était pas possible d'ouvrir une fenêtre au risque d'être envahi de mouches noires, des nuages bourdonnants. À devenir fou.
Les enfants, peu prudents quant à l’hygiène, attrapèrent rapidement divers maux et contaminèrent bien évidemment tous leurs proches.
Les bactéries s’en donnaient à cœur joie.
C’était vraiment la merde.
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