"Les émotions de la Terre" de Glenn Albrecht

 

Philosophe australien de l’environnement, Glenn Albrecht, à l’origine du concept de « solastalgie », nous invite à exprimer nos émotions vis-à-vis de la Terre pour mieux affronter le désastre écologique en cours. Nous l’avons rencontré à Paris.

https://usbeketrica.com/article/ne-nous-laissons-pas-envahir-par-l-anxiete-face-a-la-crise-climatique?fbclid=IwAR3zbf-FedJMBwJDzYpyLvSxRvgLWSuFb11I4G5WHu9o05bUQWEIqTSZ4sg

Dans les années 2000, Glenn Albrecht ressent un choc émotionnel face au spectacle désolant qu’offre la Hunter Valley, une région au nord de Sydney soumise à l’exploitation minière, à la dynamite et aux pelleteuses. « Un bouleversement psychique personnel » auquel s’ajoutent les témoignages des habitants qui partagent avec lui ce sentiment de détresse face à un paysage familier qui, soudain, ne l’est plus. Le philosophe australien forge en 2003 le terme de « solastalgie », à partir du mot anglais solace (réconfort) et du suffixe grec algia (douleur). La solastalgie est décrite comme le « sentiment de désolation causé par la dévastation de son habitat et de son territoire. » Mais aussi comme « le mal du pays que vous éprouvez alors que vous êtes toujours chez vous. »

17 ans plus tard, à l’heure de l’urgence climatique, alors que des méga-feux ont ravagé l’Amazonie puis l’Australie, la solastalgie, reconnue dans le milieu acédémique, a fait du chemin. Le philosophe australien est de moins en moins seul à s'intéresser aux impacts psychologiques de la dégradation continue de l’environnement, et les témoignages d’« éco-anxieux » ont fait leur apparition dans les journaux. Mais Glenn Albrecht, 65 ans, a eu le temps d’approfondir son terrain de recherche. Il en propose une synthèse dans Les émotions de la Terre. Des nouveaux mots pour un nouveau monde, dont la traduction vient de paraître aux éditions Les Liens qui libèrent.

Au premier chapitre, il raconte son enfance passée dans le bush australien en compagnie des serpents venimeux - une enfance « peu habituelle, même pour les Australiens », reconnaît-il joyeusement quand nous évoquons, avant d'entamer l'interview, ce lien à la vie sauvage peu commun. Mais il déploie surtout, au long de l’ouvrage, la défense d'une nouvelle relation au vivant. Naviguons donc de la colonisation britannique de 1788 à aujourd'hui, de l'Anthropocène au Symbiocène, en s'autorisant quelques détours par Avatar ou l' « eutierrie » ressentie face à Gaïa.

Usbek & Rica : Au coeur de votre travail, il y a la conviction que le langage est crucial pour mieux comprendre et affronter la crise climatique. Pourquoi ?

Glenn Albrecht : D’abord parce que les mots dont nous disposons ne suffisent plus. Rendez-vous compte : nos langues ont été développées à une époque où nous vivions dans de petites villes médiévales, alors que plus de la moitié de l’humanité vit aujourd’hui dans d’énormes mégalopoles… Nous n’avons pas le langage adapté pour parler du réchauffement climatique à l’échelle mondiale, de l’extinction des espèces, de pollution, etc.

« Si même les Inuits, qui ont 30 mots pour parler de la neige, n’en ont pas pour parler des bouleversements en cours, il y a un manque à combler »

Les Inuits ont utilisé un mot de leur culture, « uggianaqtuq », qui désigne « un ami qui agit bizarrement », pour l’appliquer au climat. Si même les Inuits, qui ont 30 mots différents pour parler de la neige, n’ont pas de mots pour décrire les bouleversements en cours, il y a a priori, pour nous tous, un manque à combler. 

La deuxième raison, c’est que les mots que nous avons utilisés pour essayer de changer les choses - comme « durable », un mot que j'ai longtemps été fier d'employer à l'université, ou « résilient » - ont été récupérés par les forces qui veulent que le monde reste exactement comme il est… Ils ont été pervertis. On parle d’ailleurs de « résilience perverse » pour qualifier la résilience de ceux qui veulent surtout ne rien changer à tout ce qui est nuisible pour l’environnement.

Je pense donc qu’il nous faut de nouveaux mots. Et ceux-ci doivent déranger, perturber, de la même façon que les manifestations de rue perturbent l’ordre établi. Ils doivent nous permettre d’avoir une pensée critique sur la situation actuelle. Certains mettent les mains dans des arm-locks pour bloquer des ponts, ou font des sittings devant le Parlement. Moi, je perturbe avec des mots.

Les mots que vous proposez ne se limitent pas aux conséquences négatives du réchauffement. Vous qualifiez aussi les émotions positives que nous ressentons au contact de notre environnement.

Ces mots positifs sont là pour nous aider à empêcher l’extinction d'émotions que nous n’avons jamais pris la peine de nommer. Tout simplement parce qu’elles étaient simples, accessibles à tous. Le concept d’Eutierrie ( « sentiment positif et réconfortant d’unité avec la Terre et avec ses forces vives, où les limites entre le soi et le reste de la nature sont effacées, et où un profond sentiment de paix et de connexion envahit la conscience », ndlr), par exemple, correspond à ce que ressentent les religieux lors d’un moment extatique, ou les surfeurs quand ils prennent la vague parfaite, mais à ce que chacun d’entre nous peut ressentir au contact de son environnement. Mais de plus en plus difficilement : on peut de moins en moins faire abstraction du son de l’hélicoptère ou des plastiques sur la plage. Même au sommet de l’Everest, vous verrez des tonnes de déchets... Je parle d'« extinction de l’immersion ». En créant ces mots, en les utilisant, en les partageant, j’aspire à ce que l’on devienne de plus en plus conscients des problèmes en cours. 

Glenn Albrecht, ©Réda Settar 

Vous espérez empêcher la disparition de ces émotions-là, ou bien faut-il accepter qu’une partie d’entre elles disparaisse malgré tout ?

Je n’accepte aucune disparition de quoi que ce soit. Je crois fermement que nous devons résister à tous les niveaux, y compris celui du langage, et combattre l’extinction de ces émotions-là. Elles font partie de ce qui fait de nous des humains. Sans elles, nous perdons une partie de notre humanité, et notre connexion aux autres formes du vivant. Donc toute mon énergie est dirigée vers l’éducation et la sensibilisation à travers ces mots, qu’ils viennent d’autres chercheurs ou que je les ai créés moi-même.

« Les humains ont jusqu’à présent bâti leur succès, en tant qu’espèce, sur les émotions terranaissantes (l’amour, l’empathie, etc.) », écrivez-vous, lesquelles « ont prévalu sur les émotions destructrices, sinon les humains se seraient eux-mêmes rayés de la surface de la Terre depuis longtemps ». À votre sens, cette prévalence ne peut que se poursuivre.

Parce que nous n’avons pas le choix ! Vous serez d’accord avec moi, la vie est préférable à la mort, il y a une sorte de binarité que même un enfant de maternelle peut comprendre. Mais c’est aussi que nous n’avons d’émotions négatives que parce que nous avons en nous l’opposé : vous ne pouvez ressentir de la solastalgie que parce que vous éprouvez de l’attachement et de l’amour pour un endroit, un paysage. Toutes les émotions négatives, la solastalgie, l’anxiété, la crainte, tous ces sentiments apocalyptiques sont légitimes. Mais si on les laisse nous submerger, nous serons paralysés, et nous ne ferons rien, ce qui n’est pas acceptable.

« Notre culture n’a même pas 300 ans ! Et nous sommes déjà en train de provoquer des changements qui pourraient mener à notre propre destruction ?! »

L’Australie est peuplée depuis 80 000 à 120 000 ans par des populations indigènes. La colonisation britannique n’a commencé qu’en 1788. Vous comparez d’ailleurs cette colonisation à l’Anthropocène, « arrivé comme une force colonisatrice refoulant toutes les expressions de cultures antérieures. » Que peuvent-nous apprendre aujourd’hui les Aborigènes, que vous avez beaucoup étudiés, et qui ne représentent aujourd'hui plus que 3% de la population du pays ?

Nous avons tendance à considérer la planète comme un dépotoir, sans penser à l’impact de la pollution sur nos vies, notre santé, sur les autres. Une culture qui peut traverser des centaines de millénaires a clairement quelque chose à nous dire. Notre culture n’a même pas 300 ans ! Et nous sommes déjà en train de provoquer des changements qui pourraient mener à notre propre destruction ?!

Je dirais que les Aborigènes ont deux choses cruciales à nous apprendre. D’abord leur relation à la nature, dans laquelle ils ne font pas de distinction entre l’humain et le non-humain, qui sont interconnectés. L’éthique environnementale fait partie de leur culture. Ils ont - par exemple - des animaux totems : il est de ton devoir de protéger ton totem : tu ne le manges pas, tu ne l’exploites pas, tu veilles sur l’endroit où il vient se reproduire, et tu n’exploites pas l’eau, la nourriture des espaces qui pourraient provoquer l’extinction des espèces qui y vivent.

Et puis les Aborigènes ont également réussi à vivre des centaines de milliers d’années dans un immense pays sans se battre en permanence. Leur modèle, que j’admire énormément, est celui d’un lien très fort de chacun à sa région. Vous apprenez tout sur votre région, sa géographie, sa faune, sa mythologie, et vous vous identifiez au paysage, et parce que vous grandissez avec ce fort sentiment d’appartenance, d'identité, cela n’a pas de sens pour vous d’aller prendre la place de quelqu’un d’autre. Si bien que chaque peuple protégeant sa région, le territoire entier devient protégé. En Australie, si vous allumez un feu chez vous sans respecter vos voisins, vous risquez de brûler leur maison… Donc il faut communiquer, échanger, et il y a un sens de la justice qui est dans leur culture.

« Les Aborigènes sont toujours là, ils résistent, pendant que nous paniquons à cause d’un virus »

Ce que j’ai appris des cultures traditionnelles, et pas seulement des Aborigènes, c’est que si vous ne voulez pas que votre culture soit éphémère, il faut respecter cet amour pour le paysage. L’amour n’est pas qu’une affaire d’humains. Cette intense identification à un lieu est parfois vue comme négative, comme si c’était synonyme de nationalisme ou de xénophobie. Je ne pense pas que le peuple aborigène était xénophobe. Ils ont d’ailleurs accueilli les Européens. Sauf que les Européens ont érigé des barrières, abattu les arbres, tué les animaux, empoisonné l’eau et tué les Aborigènes ! Ils ont vécu une première colonisation, et en vivent aujourd’hui une seconde, sous une autre forme, avec le problème du réchauffement climatique. Mais ils sont toujours là, pendant que nous paniquons à cause d’un virus. Ce peuple a connu bien pire. Ils résistent. Ils préservent leur culture. Ils continuent de respecter et d’aimer le pays, et ils essaient d’inviter le reste de l’Australie à faire de même. Mais nous ne sommes pas encore prêts.

Quel impact ont eu les mégafeux sur la population australienne, et comment envisagez-vous les années à venir d’un point de vue politique, puisque le climato-scepticisme du Premier ministre Scott Morrison ne semble plus toléré par la population 

Les feux ont réveillé le gouvernement - même s’ils ont pu créer l’inverse chez certains,  en les menant vers des formes encore plus extrêmes de déni. Pour beaucoup d’Australiens, les feux ont été un choc psychologique très fort. Les politiques sont désormais complètement déconnectés de la population, c’est de plus en plus évident.

« Les politiques australiens ne sont pas idiots, ils sont corrompus »

Je pense que le reste du monde regarde l’Australie en se disant « Comment diable un pays peut-il être gouverné par de tels idiots ? ». Mais à mon sens, ils ne sont pas idiots. Ils sont corrompus. Des partis, des think-tanks, sont financés par les industries du pétrole, du charbon et du gaz. Les allers-retours entre les cadres de ces industries et le monde politique sont permanents. Tous sont pro-pétrole, pro-charbon, pro-gaz, car leur futur et leur fortune en dépendent. Peu importe, alors, les preuves qui leur seront présentées.

Mais les Australiens se réveillent. Et je pense qu’il y aura une période de conflit. La droite et la gauche sont d’ailleurs aussi coupables l’une que l’autre : la gauche essaie de protéger les emplois dans l’industrie, et la droite de faire du profit grâce à ces réserves abondantes. En tout cas, les structures politiques traditionnelles représentant la droite et la gauche ne sont plus capables de régler ces problèmes. C’est probablement le cas pour tous les pays, au-delà du cas de l’Australie.

« Nous devons étendre la démocratie pour qu’elle soit adaptée au vivre ensemble avec d’autres formes du vivant »

La prochaine ère politique devra embrasser ce que j’appelle le Symbiocène, une nouvelle ère dans laquelle nous nous écarterons de l’Anthropocène et des politiques d’exploitation et d’écocide. C’est l’idée de « symbiocratie », qui vise à étendre la démocratie pour inclure les non-humains : ce n’est pas mon idée, mais je l’ai simplement nommée pour secouer les gens et souligner le fait qu’il va falloir gouverner davantage que demos, le peuple. Nous devons étendre la démocratie pour qu’elle soit adaptée au vivre ensemble avec d’autres formes du vivant. C’est l’une des transformations les plus importantes qui doit se jouer dans la sphère politique. Est-ce que cela viendra des Verts ? D’un nouveau parti ? Avons-nous d’ailleurs besoin de partis pour cela ? Ou d’un engagement démocratique très intense au niveau local ? Quoi qu’il arrive, cela ne peut pas continuer comme avant. Le vote des Australiens ne vaut rien : quel que soit notre vote, nous obtenons le même résultat, plus d’exploitation, plus de pollution, et la plus grande contribution par tête d’émissions de gaz à effet de serre. En tant qu’Australien, cela me fait honte, et cela doit changer.

Forêt dans la ville de Mallacoota, en Australie, le 2 janvier. Crédits : Ninian Reid, Flickr (CC BY 2.0).

« Solastalgie » est un terme que vous avez imaginé pour tous ceux qui, face à une nature dégradée, un paysage détruit, éprouvent « le mal du pays tout en étant chez eux ». Le problème n’est-il pas qu’une majorité d’entre nous, surtout les habitants des villes coupés de toute vie sauvage, ne voit pas la nature disparaître, ou ne perçoit pas quotidiennement l’impact du réchauffement climatique ? Certains parlent d’« amnésie environnementale »...

Si, en effet. Nous le savons grâce au travail de personnes comme Richard Louv, qui a écrit sur le « trouble du déficit de nature » chez les enfants, dans un livre lu par des centaines de milliers de personnes à travers le monde (Last Child in the Woods: Saving Our Children From Nature-Deficit Disorder, paru en 2008, ndlr). Dans les villes, nos enfants sont de moins en moins en contact avec la nature sauvage. En Australie, il fait si chaud qu’il est difficile de rester dehors et les enfants passent leur temps dans des écoles, des voitures, des centres commerciaux à air conditionné. Donc oui, comment une telle culture pourrait-elle être sensible à la destruction de son paysage et aux dérèglements du climat ?

Eh bien, les feux ont changé cela. Ils ont touché près de deux tiers de la population, directement pour ceux ayant perdu leur terrain ou leur bétail, ou indirectement. Malheureusement, c’est la Terre qui nous réveille. Gaïa - si nous lui conférons une forme de « volonté », ce à quoi je ne souscris pas, mais c’est un moyen poétique d’expliquer la situation - nous dit que nous avons été trop loin.

Avatar ©Sam Worthington, Copyright Twentieth Century Fox France 

Par ailleurs, nous avons aujourd’hui des moyens fantastiques pour permettre aux gens de mieux comprendre l’interconnexion des êtres vivants, de prendre conscience des problèmes en cours. Prenons l’exemple d’Avatar : ce film a touché des millions de personnes, et même si je ne cautionne pas ses aspects hollywoodiens, il m’a prouvé que les gens pouvaient avoir d’intenses expériences émotionnelles de façon virtuelle, y compris en ressentant de la solastalgie à l’endroit d’une planète fictionnelle et de personnages de fiction.

« Nous avons aujourd’hui, très nettement, un déficit de biophilie »

Et cela ne marche pas que pour les enfants : à la fin du film, de nombreux adultes voulaient revenir à Pandora… Je parle dans le livre du terme « biophilie », proposé par le biologiste Edward O. Wilson comme étant une tendance innée à se concentrer sur la vie et les processus biologiques, et plus tard par le psychanalyste Erich Fromm comme étant indispensable à la socialisation des humains. Nous avons aujourd’hui, très nettement, un déficit de biophilie. Il faut donc être créatifs dans la façon dont nous voulons le surmonter. Or, pour chacune des émotions qui peut être ressentie dans une forêt, il y en existe une qui est virtuelle. Il y a la solastalgie, et la solastalgie virtuelle !

Que conseillez-vous à ceux qui en revanche ressentent bel et bien, aujourd’hui, de la solastalgie, ou toute forme de détresse liée à l’urgence climatique ?

Dès le premier article que j’ai écrit sur la solastalgie, j’ai expliqué que c’était un état réversible. Mais il y a eu un malentendu, et certains ont cru que je définissais une maladie mentale médicalement définie et une lésion du cerveau. Or il s’est toujours agi d’un état existentiel, émotionnel. Et la solution à la solastalgie, c’est de s’attaquer au problème. C’est un concept intrinsèquement politique. Une politique de protestation envers ce qui vous provoque cette détresse, cette douleur, ce sentiment de mélancolie. Et si vous le souhaitez, vous pouvez réparer, redonner vie à un paysage abîmé, vous pouvez aller planter des arbres pour alléger votre souffrance psychologique, vous pouvez vous associer à d’autres pour réaliser que vous n’êtes pas le seul à ressentir ça, que ce n’est ni votre faute ni une faiblesse de votre part. La solastalgie est une réponse rationnelle à une situation irrationnelle qui vous a été imposée.

« J'offre le Symbiocène comme un horizon, un futur alternatif qui signera la défaite de l’Anthropocène »

C’est à cette situation qu’il faut s’attaquer, que ce soit comme ce que fait Extinction Rebellion en luttant contre les énergies fossiles, ou comme ce que fait Greta Thunberg en utilisant la grève de l’école pour expliquer aux plus jeunes qu’il n’y aura pas de futur si on ne s’attaque pas au climat. Je parle de « génération Symbiocène » pour qualifier cette génération dont la protestation me semble totalement appropriée. C’est la bonne façon d’agir. C’est non-violent. C’est éducatif.

Je crois que je ne fais qu’ajouter une couche à cela en offrant le Symbiocène comme un horizon, un futur alternatif qui signera la défaite de l’Anthropocène. Nous pouvons imaginer un bien meilleur futur, qui soit une source d’espoir et de créativité. Il s’agit en réalité de solliciter l’intelligence humaine. Nous sommes censés être Homo Sapiens. Mais depuis quelques centaines d’années nous avons agi de façon vraiment stupide en polluant, en empoisonnant notre propre environnement, en empoisonnant nos enfants… Tout ça en exploitant et en brûlant des choses… La technique la plus simple qui soit ! Il est temps que notre intelligence nous mène dans une autre direction.

Mais pour vivre dans un monde qui sera malgré tout totalement différent, car il va être difficile de remplacer le pétrole par d’autres énergies renouvelables, surtout dans des délais raisonnables…

Je ne suis pas d’accord, je pense que nous le pourrons. Je ne vois pas pourquoi dans quelques décennies, très rapidement, nous ne pourrions pas remplacer toute l’énergie venant du pétrole par des énergies renouvelables. Je pense qu’il faut accélérer l’économie du Symbiocène et ralentir l’économie de l’Anthropocène. Je veux que notre énergie intellectuelle dédiée à la technologie aille furieusement plus vite, que l’on innove et investisse de telle façon que chaque élément de l’anthropocène qui soit toxique, non-biodégradable, non-renouvelable, ait une alternative. Nous commençons à le faire. Nous commençons à éliminer les plastiques à usage unique, nous utilisons de la cellulose pour construire des briques, des champignons pour produire des habits et des micro-organismes pour produire de l’électricité. Il est assez simple d’imaginer ce futur, même à partir des innovations actuelles. Et vous pouvez imaginer combien celles-ci pourraient aller vite si on arrêtait de subventionner les énergies fossiles, si nos universités les soutenaient, alors que nos investissements actuels sont écocidaires.

Je ne dis pas que ça va être facile, mais c’est conceptuellement possible. C’est thermodynamiquement bon. C’est fondé sur les relations symbiotiques et la façon dont la vie fonctionne. Donc je pense être sur la bonne voie. Les autres sont sur la mauvaise !

« Ne soyons pas catastrophistes, ne nous laissons pas envahir par la paralysie et l’anxiété »

Adopter le Symbiocène comme horizon, ce n’est donc pas imaginer un futur dans lequel on consommera moins et on se déplacera moins, en avion ou même en voiture, ce qui métamorphoserait nos façons de vivre ?

L’avion électrique existe déjà. Si nous le chargeons avec des énergies renouvelables, nous volerons « gratuitement ». Aujourd’hui, nous extrayons d'immenses quantités de pétrole, nous poussons 400 personnes dans un avion, et nous appelons ça l’économie. Eh bien, c’est stupide ! Ne soyons pas catastrophistes. Ne nous laissons pas envahir par la paralysie et l’anxiété. Cela nous empêcherait de travailler à ce futur. Cela va prendre toute notre énergie, aucun d’entre nous ne doit rester inactif, il y a tant à faire... C’est à cela que nos enfants devraient être éduqués, dès aujourd’hui. Les enfants du Symbiocène sont les plus importants, dans cette histoire. Or on continue de les éduquer dans la perspective d’un effondrement de l’Anthropocène, sans emplois.

Des centaines d’écrivains et penseurs disent que tout est perdu (ou en tout cas qu'il faut préparer l'après, à l'instar de Pablo Servigne, cité en quatrième de couverture, louant « un livre d'une importance capitale », ndlr). Les catastrophistes dominent. J’ai pris délibérément le chemin opposé. Presque pour les embêter. Mais aussi parce que je crois avoir la science avec moi. Je dois défendre sans relâche le Symbiocène et c’est l’objet de mon prochain livre, qui s’y consacrera. Le monde académique a l'air de trouver que les théories de la catastrophe sont excitantes. Je trouve ça dommage. Et je veux davantage de gens avec moi. Je me sens seul parfois ! Dirigeons-nous vers un monde qui soit beau, bon, vrai. Bienvenue dans le Symbiocène !

 

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