Once upon a time...

Il était une fois sur la Terre.

Le regard d'amour de ce garçon, cette fascination, cet embrasement...

Je ressentais la même émotion quand j'étais enfant et que je m'asseyais face à l'Océan...C'est toujours là, en moi, ces pleurs qui ruissellent comme un flot de bonheur trop puissant...Je n'ai pas assez de place en moi.

J'étais dehors  il y a cinq minutes. Il faisait nuit encore. Cinq heures du matin. Les étoiles, le silence, un voile diaphane de lumière vers l'Est, juste une coulée infime...

La Vie est là et je voudrais tant qu'elle sente à quel point je l'aime...Ces frissons qui m'électrisent, comme un flux vital qui se répand, toute cette Vie commune qui parfume l'espace, nous baignons tous dans un Océan de vie dont nous ne comprenons pas la structure, dont nous ignorons l'étendue, nous baignons tous dans un calice miraculeux et nous oublions de bénir chaque instant. 

Les yeux de la femme que j'aime, la lumière qui vibre en elle.

Nos trois enfants, nos trois adolescents, nos trois adultes. Nous n'en sommes que les accompagnants. Le miracle de leur existence ne vient pas de nous. Nous ne leur avons pas donné vie, c'est la Vie qui s'est offerte à eux, c'est la Vie qui a usé de notre amour. 

Comment peut-on oublier de l'honorer ? Comment peut-on taire en nous ce bouleversement ? 

J'étais assis devant l'Océan et je pleurais sans rien comprendre. Comme une tristesse bienheureuse, un bonheur dont je ne savais que faire et qui me laissait hagard...Cette impression insupportable de ne pas savoir aimer la Vie alors qu'elle était en moi, devant moi, autour de moi, que je baignais dans sa lumière...Que pouvais-je bien faire pour la remercier ? 

J'entendais des musiques délicates, des rumeurs d'amour dans les vents du large, des parfums enivrants dans les rayons solaires, j'entendais dans les ressacs des poèmes flamboyants et il me prenait l'envie de courir, d'escalader tous les rochers, de crier cet amour qui me submergeait...Je ne comprenais rien et j'avais peur parfois...C'est pour ça que j'aimais ma solitude. Je n'aurais jamais su partager ces instants...Je n'étais pas "normal"...

Ce sont les écrivains qui sont venus me soulager de ce désarroi...Ils partageaient leur flamboiement, ils magnifiaient ce que je ne savais exprimer autrement que par l'énergie consumée de mon corps en action. 

J'ai commencé à écrire dans le secret de mes nuits. 

J'ai rempli des milliers de pages que je jetais rageusement dans la corbeille de mes insuffisances. Jamais satisfait, jamais repu, jamais comblé. Et toujours cette honte en moi de ne pas savoir aimer. 

Il a fallu que je grandisse, longuement, pour comprendre enfin que de ne pas savoir exprimer les embrasements ne les éteignaient pas pour autant, qu'il ne dépendait que de moi de les laisser couler librement, sans rien chercher à traduire, sans rien chercher à saisir...Je n'étais qu'un dépositaire. La Vie rayonnait en moi et je n'avais pas à l'étouffer sous des volontés de contrôle. 

M'abandonner à l'Amour et le laisser s'étendre...

Écouter simplement cette musique et me bercer de sa douceur, ne rien vouloir, ne rien attendre, ne rien espérer, juste être là, ouvert, disponible, reconnaissant...

J'entendais des mélodies très simples, juste quelques notes qui m'emplissaient comme des respirations. Cette impression que la Vie murmurait en moi...

"Écoute moi Petit d'homme, écoute, tu ne peux rien faire de plus beau que de laisser couler en toi ce que je te donne..."

Je me souviens de visages de filles de mon âge...J'aurais aimé leur dire que j'aimais la Vie dans leurs yeux...Je n'ai jamais su le faire. Tellement peur d'être pris pour un fou...Il a fallu que je grandisse, longuement pour que ces mots prennent forme, pour qu'ils ne meurent plus dans les carcans de retenues apprises.

"Il y a dans tes yeux la lumière de l'Amour de la Vie pour elle-même. Il y a dans ta silhouette la beauté du Monde qui s'observe."

Ridicule.

"On ne dit pas ces choses-là..."

Il aurait fallu que j'invite cette jeune fille à aller boire un verre en ville, à aller à la "boum" du samedi soir, il aurait fallu que je la fasse danser alors que c'est la danse de la Vie en elle qui m'attirait, que c'est la façon dont la Vie resplendissait en elle qui me bouleversait...

Alors, j'écrivais des poèmes la nuit et je les jetais au matin. 

J'ai appris, peu à peu, à accepter mes insuffisances et je ne jette plus.

Je ne parviendrai sans doute jamais à trouver les mots pour jouer cette musique de l'Amour en moi. 

Quand "ça" écrit en moi, je sais aujourd'hui que je ne pourrais rien entendre si je restais attaché à moi-même... Je ne suis pas un créateur, je ne suis qu'un dépositaire. 

Je suis toujours cet enfant assis devant l'Océan...Et je contemple les Montagnes. 

Il m'arrivait, enfant, de baisser les yeux, comme gêné par ces émotions qui jaillissaient, comme un regard d'amour que je ne pouvais plus recevoir, comme si je n'en étais pas digne. 

J'aurais aimé que l'Océan m'enlace et calme en moi les battements de mon coeur. 

J'imaginais des scènes d'amour et d'étreintes.

J'ai passé une nuit au large sur ma planche à voile, j'ai dormi dans les falaises de Pen Hir, au-dessus de la houle, j'ai couru pendant des heures jusqu'à ne plus retrouver mon nom, j'ai pédalé pendant des heures jusqu'à ne plus savoir où j'étais, j'ai nagé pendant des heures jusqu'à me croire poisson...

Mais il y avait toujours ce manque de mots...Il fallait que j'écrive, il fallait que je grave dans la mémoire de l'encre cette musique lancinante qui ne me quittait pas...Il fallait que de cette douleur insoumise, je construise un temple. 

Cet enfant vit toujours en moi. 

Mais il est en paix, désormais.

Les mots en lui sont à la mesure de son Amour pour la Vie. Ils seront toujours insuffisants, rien ne sera jamais totalement  accompli dans cet hommage mais il a appris à ne plus en être malheureux. La Vie ne le lui demandait pas. 

Je regarde les montagnes par la fenêtre. Les grands navires de pluie s'approchent. Je devine la houle des vents sur les crêtes. 

Et le bonheur coule en moi comme des pleurs d'apaisement. 

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