Politique et paradis fiscaux

« Si nos politiciens étaient honnêtes, le système égotique actuel ne tiendrait pas longtemps. »

 

Ces grands possédants n’ont jamais eu de peine à s’entendre pour conserver leurs intérêts, et ils décident d’utiliser les paradis fiscaux pour faire de l'évasion fiscale, mais surtout rendre intraçables des transactions, illégales la plupart du temps.

 

 

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3 novembre 2020 - Matthieu Delaunay

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- Thème : effondrement de la société, abordé de manière douce et positive
- Format : 128 pages
- Impression : France

 

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Avec « Là où est l’argent », Maxime Renahy signe un témoignage personnel saisissant et rare ainsi qu’un cours magistral sur son travail dans les services secrets contre la fraude et les paradis fiscaux. Entretien autour de l’éthique, de l’intégrité et de l’intérêt général.

Propos recueillis par Matthieu Delaunay – @Delaunaymatth

LR&LP : Qu’est-ce qui vous a amené, alors que vous étiez administrateur de fonds à Jersey, à proposer votre collaboration à la direction générale de la Sécurité extérieure (DGSE) ?

Maxime Renahy : Mon grand-père paternel et mon père ont été des piliers de mon éducation. En 1941, mon grand-père s’est engagé dans la résistance. Il a notamment sauvé des rafles de nombreux juifs, puis a été capturé par les Allemands. Il s’est ensuite échappé, a pris la direction du Maghreb où il a rejoint les FFL (Forces françaises libres, ndlr) où il est devenu goumier (membre d’unités d’infanteries légères composées de troupes marocaines, ndlr).

Vingt ans plus tard, pendant la guerre d’Algérie, il a aidé pendant deux ans une trentaine d’Algériens en les cachant dans une chapelle au fond de son jardin. Il a répondu à l’appel d’un curé réputé de Besançon qui cherchait quelqu’un pour protéger les Algériens des ratonnades qui avaient cours à cette période.

Mon grand-père était quelqu’un de taiseux, très catholique, droit et austère, mais auprès de qui j’ai ressenti beaucoup de choses. C’était un homme qui, à 19 ans, a mis sa vie en jeu contre l’avis de son père pour rentrer dans l’illégalité afin de servir l’intérêt collectif.

Mon père, lui, a été un établi (militant politique établi dans une usine pour y partager la condition de vie ouvrière et y diffuser ses idées, ndlr) dans les années 70, pendant 10 ans sous une fausse identité. C’était le n°3 d’un parti maoïste interdit par Valéry Giscard d’Estaing. Dans ma famille, y a donc toujours eu cet aspect de servir jusqu’au bout et à l’excès.

Nous vivions dans la pauvreté, mais, pour mon père, il n’y avait rien de plus beau que de se dédier à l’intérêt général.

Ces personnes-là m’ont forgées et c’est sans doute pour cela que j’ai toujours été à la recherche d’une vie d’aventure au service du collectif. Après mon bac, je me suis mis à travailler dans l’hôtellerie de luxe pour vivre. Arrivés à Paris avec mon frère, plutôt que d’aller visiter la tour Eiffel, je lui ai demandé de me prendre en photo dans le 20ème arrondissement, devant la caserne de la Direction générale des services extérieurs (DGSE, ndlr).

La vie offre toujours une porte dérobée pour arriver dans un endroit dans lequel on ne nous attend pas à l’origine. Je suis rentré dans le journalisme sans la formation, dans la finance sans la formation, à la DGSE sans la formation, et j’ai écrit un livre sans formation non plus. Cette prédétermination, c’est à chacun de la dépasser pour laisser libre court à sa créativité. Le désir et le travail font que les opportunités s’ouvrent.

Votre plongée dans le monde des paradis fiscaux commence alors que vous travaillez en Angleterre.

Quand une amie anglaise, rencontrée alors que je travaillais dans un hôtel de luxe, me propose d’aller travailler à Jersey, je ne savais rien sur les paradis fiscaux, rien sur les lanceurs d’alertes. Nous sommes en 2007, et peu de médias traitaient ces sujets. Le monde de l’information a beaucoup changé en 15 ans.

J’ai accepté cette proposition sans hésiter, car j’ai eu l’intuition que c’était l’opportunité de travailler avec la DGSE. Je me suis dit que cela pourrait être le moyen de faire advenir mes rêves. Dans une société basée sur la raison, parler d’intuition peut sembler un peu naïf, mais j’ai toujours fonctionné comme ça.

Vous arrivez donc à Jersey.

En quelques semaines, je comprends que je suis dans le « Saint des saints ». Il m’a d’abord fallu beaucoup travailler pour bien comprendre ce que je faisais et avec qui. J’ai eu la chance de travailler sous la direction d’un mentor qui m’a appris toutes les ficelles du métier d’administrateur de fonds et au bout de quatre mois, je me suis dit que j’avais l’opportunité de contacter la DGSE.

Après une première tentative ingénue de prise de contact sur le site web de l’armée, je tente plus tard, par un appel téléphonique, d’en savoir plus. Puis, je fais la rencontre de celui qui deviendra mon officier traitant, qui donnera suite à d’autres rencontres qui s’étalent sur un peu moins d’un an. Ensuite, tout est allé très vite. J’ai travaillé pour la DGSE pendant 5 ans en tant qu’agent secret.

Beaucoup ne comprennent pas vraiment les termes qui ont trait à la haute finance. Selon ma compréhension, un fonds d’investissement est un organisme qui permet à un collectif de détenir et gérer des actifs financiers pour bénéficier d’une gestion professionnelle et profitable. Pourriez-vous en détailler les origines et les pratiques ?

Dans mon portefeuille de gestion, à Jersey puis au Luxembourg, il y avait une immense majorité de Fonds Private equity (Fonds d’investissement en capital dans des entreprises non cotées, ndlr), qui n’est pas du capital risque. Il s’agit d’un titre de fonds spécifique de rachat de sociétés non cotées en bourse, ce qui ne veut pas dire qu’elles ne puissent pas le devenir par la suite.

Les membres de ces fonds jouent sur toutes les paramètres pour s’enrichir : en sur endettant les entreprises qu’ils rachètent, en remontant des profits via très souvent un remboursement de dette fictive vers des paradis fiscaux, en désossant les entreprises pour les revendre plus facilement, etc.

Je fais un petit rappel historique : le système de finance offshore vient de la Suisse, de la Grande-Bretagne et des États-Unis et apparait à la fin du 19ème siècle. Dès les années 1920, d’énormes fortunes américaines s’organisent en fonds d’investissement pour s’associer et être plus fortes et profitables (le livre de Christian Chavagneux à ce sujet est une référence).

Ces grands possédants n’ont jamais eu de peine à s’entendre pour conserver leurs intérêts, et ils décident d’utiliser les paradis fiscaux pour faire de l’évasion fiscale, mais surtout rendre intraçables des transactions, illégales la plupart du temps.

Pour cela ils usent de la création de monopoles, d’abus de bien sociaux, d’abus de confiance, de délits d’initiés, du blanchiment d’argent, etc. Cette pratique s’est accélérée avec l’explosion de l’industrialisation et de la mondialisation et le développement de l’informatique.

La richesse a augmenté de façon exponentielle, les pratiques d’évasion fiscale se sont accrues et complexifiées avec les Hedges Funds par exemple, qui sont peu réglementés et réservés à la catégorie des investisseurs institutionnels ou aux grandes fortunes. Il y a aussi les fonds en immobilier, capital-risque, fonds souverains.

Tous fonctionnent de façon opaque et je témoigne que les groupes dits « respectables » en utilisent et que les multinationales utilisent également d’autres moyens pour transférer leurs profits. Je n’avais pas une grande connaissance en dehors des multinationales bancaires et des assurances de par mon parcours à Jersey et au Luxembourg.

Mais c’est grâce au groupe que j’ai monté en 2013, constitué aujourd’hui d’une cinquantaine de personnes qui travaillent avec moi sur ces sujets, que je me suis formé sur les fraudes des multinationales et des prix de transfert.

Capture d’écran d’un entretien à Thinkerview

C’est donc avec cette masse d’argent mise en commun que les détenteurs de fonds s’enrichissent, et ce, par des moyens légaux, illégaux et amoraux ?

Exactement. Le côté légal n’est qu’un vernis. Ces pratiques sont tout le temps illégales et immorales en permanence, mais ne parlons même pas de ce dernier point.

Vous parlez de vernis légal. Mais pourquoi son existence ? Qui fait ces lois ? Pour quels intérêts ?

Je vais donner un exemple. Je viens de terminer une Investigation sur le groupe Verallia, leader mondial de l’emballage en verre. Cette entreprise va licencier 200 personnes dans le Sud-ouest de la France, à Cognac. Mon ami Fabien Roussel, député et secrétaire national du Parti communiste français, m’a demandé de regarder ça, car les salariés et lui trouvent que cette histoire est louche.

J’ai donné un premier coup de sonde et constaté qu’effectivement, il y avait des choses bizarres. J’ai donc investigué en urgence, et voilà ce que j’ai découvert. En décembre 2019, Verallia a transféré 559 millions d’euros de sa holding basée au Luxembourg vers les iles Caïmans, qui est sur la liste noire des paradis fiscaux.

Pendant ce temps, la BPI (Banque publique d’investissement, ndlr) est investie aux côtés du fonds d’investissement Apollo, dans Verallia. En plus de ce transfert, ils ont remonté des profits de plusieurs centaines de millions d’euros sur cinq ans, via une dette à un taux usurier de remboursement, de 8 %, interdit par les directives européennes.

Le fonds se prête à lui-même au niveau des structures européennes pour remonter les profits de façon déguisée.

Or, nous sommes dans une période où les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas, pour ne pas dire négatifs parfois, pour les entreprises. En plus de cela, le management de Verallia touchait des actions gratuitement du groupe, s’il respectait des objectifs de restructuration.

Dans le même temps, se pose la question des salariés qui n’ont pas touché la part due de leur participation et de leur intéressement, auxquels ils avaient légalement droit. Pour expliquer cela, on leur a fait croire qu’il n’y avait pas suffisamment d’argent dans l’entreprise, alors qu’on a fait remonter des profits faramineux vers les paradis fiscaux.

Suite à cette enquête, j’ai été contacté par le FISC qui a déclenché deux contrôles sur Verallia. Au cours d’un appel téléphonique, ils m’ont proposé de nous rencontrer à la DVNI (Direction des vérifications nationales et internationales qui contrôle tous les impôts, droits et taxes dus par les entreprises réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 150 millions d’euros, ou dont l’actif brut est supérieur à 400 millions d’euros, ndlr). J’ai accepté avec plaisir cette invitation et j’attends maintenant une proposition de date.

Réunion de la CGT devant un des sites de Verallia

Mais ce vernis légal ne sort pas de nulle part ?

Non. Toutes ces façons de faire en France, ne pourraient continuer sans des réseaux, des connivences, des amitiés au plus haut niveau de l’Etat, avec des hauts fonctionnaires et certains politiques qui permettent d’organiser ça depuis 50 ans.

On peut dire que l’adversaire, c’est « le monde de la finance, les Chinois et les Américains qui nous pillent », ce qui est vrai ; mais si en face nous avions des gens qui défendaient l’intérêt collectif, qu’ils croient ou pas en l’indépendance de la Nation, ou en une forme de souveraineté, les choses se passeraient différemment.

Ce qui se passe, c’est que, en plus d’être incompétents, ces gens vivent avant tout en vendant la souveraineté de la France, du collectif, au plus offrant. Je ne peux pas faire grand-chose de plus que de semer des graines pour ce qui va se passer dans le futur, s’il se passe quelque chose, ce qui est aussi loin d’être sûr.

Pensez-vous que la population, dans son ensemble, souhaite que ces états de fait changent ?

Je pense que, pour la majorité, les gens s’en fichent encore. Ils ne changeront pas leur façon de vivre, de penser et de s’entre-aider avec la crise écologique qui couve. Pour eux, ça n’est pas suffisant pour bouger.

Mais si une crise économique majeure met une partie du système à terre, quelques-uns se réveilleront et se demanderont : « comment tourne cette machine ? Qui fait marcher l’Etat ? ».

Selon moi, tant qu’il y aura une couche moyenne aisée en France, qui représente à peu près 30 % de la population, tant que ces personnes resteront confortablement installées à leur place, il n’y aura pas de changement.

Et les lanceurs d’alertes, les syndicalistes et les activistes n’y changeront rien. Nous faisons donc notre travail, heureux de le faire, et conscients que ce travail est limité du fait du pouvoir d’inertie.

L’impunité financière en France est donc simplement due à la corruption de certains de nos dirigeants ?

C’est presque aussi simple que ça. Il a aussi le laisser faire d’une partie de la population. Si nous avions une équipe au pouvoir, aussi imparfaite soit-elle car nous ne sommes que des mortels, qui soit honnête et qui comprenne le concept de l’intérêt général et le serve, le système égotique dans lequel nous vivons à l’heure actuelle ne tiendrait pas longtemps. Beaucoup de cartes seraient redistribuées et des choses basiques seraient changées rapidement.

Il y aura bien sûr une forme de violence et de résistance en face, de la part de certaines personnes qui ne voudront rien lâcher, mais je crois que les choses peuvent encore bouger. C’est dans cette perspective que nous semons.

Aujourd’hui, il y a la COVID, les Gilets jaunes, mais ces évènements importants n’ont pas encore fait suffisamment vaciller l’Etat. A un moment donné, la vague sera plus importante et nous aurons quelque chose à jouer pour que ça évolue dans le bon sens.

Vous y croyez ?

Oui, presque contre mon gré. Même si j’essaie de me raisonner, j’ai la foi en fait. Physiquement je sens qu’il y a quelque chose, que nous sommes aux prémices de quelque chose de neuf. Si un jour cette sensation disparaissait, je retournerais faire mon jardin et écrire des livres. Mais tant que je ressens cette force et cette foi, je continuerai un peu plus chaque jour.

Quelle est votre définition de l’intérêt général ?

Ma conception englobe déjà la nature et le respect qu’on doit lui porter. L’intérêt général, pour moi, est quelque chose de frugal. C’est un endroit où tout le monde a ses chances, dans lequel chacun est capable de s’autolimiter pour n’écraser, ni la nature ni les autres. Il y a aussi la notion d’entraide qui y est fondamentale. C’est le ciment nécessaire à notre tissu collectif.

Elle consiste en un dévouement aux autres avant soi, en une égalité entre tous et une amitié, une camaraderie, qui offre une entente sur laquelle l’entraide peut naitre. Pour résumer l’intérêt général c’est : entraide, égalité, liberté, et autolimitation dans une planète finie.

Toutes les questions que vous soulevez pourraient se résumer ainsi : plus de contrôle, moins de passe-droit. Il faudrait simplement que nos dirigeants soient intègres ?

Voilà. Le temps est venu que le peuple devienne souverain et que soit constituée une structure pour accompagner ce changement dans lequel il vivra dans un état démocratique, plus développé que l’embryon qui existe en Suisse. Le peuple sera l’Etat.

Il aura la possibilité de mesurer l’impact des actions menées par les dirigeants par le biais d’associations citoyennes, de systèmes différents, flexibles, qui seront en mesure de demander des comptes concernant des grands sujets comme celui de la pollution, de l’industrie, ou la possibilité de battre à nouveau monnaie.

Je pense qu’on n’aura pas d’autre choix que de rebattre monnaie et de ne plus laisser cette prérogative aux banques privées. Un point de rupture est en train d’arriver. De notre côté, il nous faut rester tranquilles et créatifs pour transformer ce monde basé sur la domination.

Les garderies Babilou ont été financées par le fonds Alpha private equity en passant par Jersey, les plateformes de pétition comme Change.org sont basées au Delaware, un des plus gros paradis fiscaux au monde. C’est désespérant. Comment arriver à faire les choses de façon éthique et intègre ?

Il y a là un côté que je trouve très encourageant : quel que soit le domaine de lutte, nous sommes de plus en plus conscients de ce qui se passe dans le monde. Je m’en réjouis. Il faut toujours, sans être paranoïaque, veiller à être vigilant. À qui est-ce que je confie ma signature ? À qui, pourquoi je donne mon argent ?

Grâce à internet, on peut aujourd’hui donner quelques coups de sondes pour se faire un premier avis, puis creuser en s’informant précisément. Il y a aussi beaucoup de choses alternatives qui existent, qui permettent de consommer différemment, y compris même de signer des pétitions. Il faut simplement prendre le temps de les chercher et de les utiliser.

Je crois aux choses toutes simples, qui s’inscrivent dans le local. Je vis très simplement en regardant comment je peux être le plus vigilant possible. Rien ne sera parfait, mais il me semble que c’est la seule façon de réduire nos impacts négatifs dans nos vies, notre système et sur la planète.

crédit photo couv : Capture d’écran d’un entretien à Thinkerview

3 novembre 2020 - Matthieu Delaunay

 

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