"Renaissance écologique" de Julien Dossier

La fresque de Julien Dossier et Johann Bertrand d’Hy pour représenter une ville et une campagne durables.

La fresque de Julien Dossier et Johann Bertrand d’Hy pour représenter une ville et une campagne durables.

(JULIEN DOSSIER, JOHANN BERTRAND D'HY / RENAISSANCE ECOLOGIQUE)

Partir d'une œuvre de la renaissance italienne pour imaginer un monde moins carboné face au changement climatique. C'est la démarche originale entreprise par Julien Dossier dans son livre Renaissance écologique (Actes Sud, 2019). L'auteur, qui dirige le cabinet de conseil Quattrolibri et s'est notamment occupé de la stragérie zéro carbone de la ville de Paris, a réalisé, avec l'aide du dessinateur Johann Bertrand d'Hy, une version contemporaine de L'Allégorie des effets du bon gouvernement, peinte par Ambrogio Lorenzetti en 1338.

Ambrogio Lorenzetti, Les Effets du Bon gouvernement dans la ville, 1337-1339. Fresque de la Salle des Neuf du Palais Publique de Sienne.

En y illustrant "24 chantiers pour le monde de demain", le Nantais propose une vision de la transition écologique pour limiter les effets du réchauffement climatique en cours. Avant son intervention au sommet Change Now, jeudi 30 janvier, au Grand Palais à Paris, franceinfo a interrogé cet expert de la ville durable sur sa démarche.

 
 

Franceinfo: Qu'est-ce qui vous a décidé à vous lancer dans une adaptation de la fresque de Lorenzetti ?

Julien Dossier : C'est l'expérience de l'après-sommet mondial des villes durables en 2013 et de l'après-stratégie zéro carbone de la ville de Paris. Dans les deux cas, nous avions une information riche. Mais comment la communiquer ? Comment faire vivre un rapport technique de 367 pages de manière à enclencher une dynamique de transition ? Tout cela pose la question de la diffusion de la connaissance.

Sur le réchauffement climatique, l'information factuelle existe depuis plusieurs décennies. Nous ne manquons pas d'informations pour décrire les effets du changement climatique sur la planète et son origine humaine. Force est de constater que notre cerveau ne réagit pas de manière rationnelle sur ce sujet-là. Nous n'avons pas une traduction pratique de ce qu'on apprend, de ce qu'on comprend... Pour engager des changements de trajectoire, il faut sortir de la pure démonstration logique et toucher d'autres registres. Dans la fresque de Lorenzetti, on voit un monde résilient et quand on analyse les composantes de cette fresque, on a les clés de la transition pour aujourd'hui.

Selon vous, pourquoi la rationalité ne suffit-elle pas face au réchauffement climatique ?

C'est une question qu'on peut poser à tous les fumeurs, qui savent lire "Fumer tue" et qui pourtant prennent un paquet de cigarettes. Il y a un poids de l'habitude, une dépendance par rapport à un mode de vie qui fait qu'on ne change pas de manière radicale. Radicale, pas dans le sens violent, mais dans le sens d'aller à la racine, de toucher les fondements du système qu'on doit aujourd'hui faire bouger. Je pense qu'il y a en partie un problème d'imagination, de marge de manœuvre et d'émotion.

Nous sentons que les sujets sont graves, mais nous espérons ne pas être touchés. Nous nous sentons à l'abri, nous croyons que nous n'avons pas besoin de changer. Ce raisonnement-là est de moins en moins vrai parce que les ramifications des catastrophes climatiques finissent par nous toucher : qualité de l'air, sécheresses, inondations.

Dans votre livre, vous critiquez la vision communément admise du mur vers lequel nous nous dirigeons, ainsi que la notion d'effondrement soudain. Vous écrivez : "Comme dans une pièce de Beckett, nous attendons une forme d’effondrement qui ne viendra pas". Pourquoi ces notions ne vous conviennent pas ?

Nous nous construisons une image de l'effondrement à la manière d'Hollywood, qui livre des films comme Blade Runner 2049Mad Max ou Wall-E. Dans ces films, on nous montre un monde qui s'est effondré, qui ne marche plus du tout, une vision post-apocalyptique. Ces films disent qu'il y a eu une catastrophe planétaire, un événement unique, qui a eu des conséquences sur toute la planète. Cette vision hollywoodienne nous fait attendre une grande catastrophe, un événement qui va tout casser. Cet imaginaire nous empêche de regarder ce qui est en train de se passer, en Australie ou en Amazonie, ce qui s'est déjà passé et qui devrait nous alerter. Il ne s'agit pas d'attendre une crise ultime, parce qu'en attendant, nous ne sommes pas à l'œuvre pour résoudre les crises actuelles.

Votre livre enjoint le lecteur à se lancer dans une véritable transition écologique. Par où commencer ?

Il faut entrer dans une approche segmentée, pour ne pas proposer de solutions uniformes. Quelqu'un sous la contrainte d'une mobilité subie, qui manque de moyens pour investir, rénover sa maison ou se nourrir autrement ne va pas avoir la même réponse que quelqu'un qui a les moyens de faire tout cela. Nous avons besoin d'avoir une réponse diversifiée, adaptée aux circonstances de chacun.

Le point commun qui va peut-être réunir tout le monde, c'est de consacrer du temps à ce sujet. On peut l'utiliser pour s'informer ou pour changer ses habitudes de transport. Vous pouvez par exemple vous dire, au début, que vous consacrez 15 minutes pour la planète par semaine. Ce quart d'heure, vous pouvez l'allouer à des temps de trajet. Je peux accepter 15 minutes de plus sur mon temps de trajet, divisé par cinq jours actifs, cela fait 3 minutes que je peux consacrer à attendre que quelqu'un vienne me chercher si je fais du covoiturage.

Sur la question écologique, il y a un grand débat entre les gestes individuels et les actions collectives, d'associations ou d'entreprises. Certains se disent : "Cela ne sert à rien que je change mon comportement tant que telle entreprise continue d'extraire des énergies fossiles." Dans votre ouvrage, vous plaidez pour l'action individuelle. Pourquoi ?

Nous avons besoin d'agir sur tous les fronts, de se saisir des moyens dont on dispose, là où on en dispose. Pour moi, l'objectif, c'est de rendre chaque instant que nous vivons dédié à cette urgence climatique. Quand ces choix se traduisent à l'échelle individuelle, agissons à l'échelle individuelle : le contenu de notre assiette, la façon dont on utilise notre temps... Chercher à s'informer sur ces questions-là plutôt que de regarder des vidéos de chats sur internet, c'est un choix individuel.

Ensuite, il y a des actions qui nous engagent dans notre capacité à être parent d'élève, électeur, employeur ou investisseur. C'est le fait de réunir l'action de plusieurs personnes et d'unir nos forces qui donne du sens à ce que chacun d'entre nous peut faire. A l'échelle d'un groupement d'entreprises, on peut parler de covoiturage, d'espace de coworking avec un impact significatif sur un bassin de vie de centaines de milliers de personnes. A plus petite échelle, nous pouvons agir à l'échelle d'un quartier, dans une cage d'immeuble, dans une fête d'école, dans une salle de spectacle. Tous ces leviers-là nous permettent de gagner en impact. 

Pour vous, il n'y a donc pas de petits gestes ?

Il faut cibler l'efficacité, ne pas se tromper d'ordre de grandeur. Dans son livre L'énergie durable : Pas que du vent ! (De Boeck, 2015), David MacKay rappelle que quand on débranche un chargeur de téléphone pour éviter de consommer de l'électricité, on touche 0,5% de la consommation du foyer par jour. C'est très bien de le faire, mais l'essentiel est ailleurs. Il y a également une différence entre les "projets petits pas", qui nous font pédaler comme des hamsters dans une roue mais qui ne nous font pas avancer d'un pas, et les "actions premier pas".

Dans le livre, je prends cette image de la craie. Dans une école, un matin, cette craie permet de tracer dans la cour les voies de circulation qui mènent à l'école. Nous pouvons localiser l'habitat des enfants qui vivent à moins de 500 mètres et dans la matinée, nous avons organisé un pédibus [un ramassage scolaire à pied], que nous pouvons mettre à l'œuvre dans l'après-midi.

Après avoir fait cette matinée à la craie, l'étape suivante, c'est de trouver des solutions pour des enfants qui habitent à plus de 500 mètres de l'école. Là, nous avons besoin d'équipements, de vélos, de triporteurs, de trottinettes. Il faut le temps de les acheter, il faut libérer des moyens.

Il faut donc éviter de se dire : "C'est bon, je fais déjà des efforts, je peux m'arrêter là" ?

Il ne faut pas se mentir. J'ai reçu quelques semaines après les fêtes de Noël un message d'un ami, qui disait "Voilà, je suis parti à Oman, maintenant, j'aimerais compenser mon voyage en avion. Qu'est-ce que tu recommandes ?" Je lui ai recommandé un mécanisme de compensation, la location de parcelles forestières dans lesquelles du carbone est séquestré, mais surtout j'ai répondu en disant qu'il est urgent de lire le résumé pour décideurs du rapport spécial du Giec à 1,5°C. Puis, je l'ai invité à poser la question de savoir s'il fallait continuer aujourd'hui de planifier des voyages dans des destinations comme celle-là. N'avons-nous pas d'autres formes d'actions de loisir plus proches de nous qui permettent de se passer de l'avion ? 

Il ne s'agit pas de 'renoncer à', il s'agit d'apprendre à aimer autre chose et de se tourner vers d'autres désirs, d'autres sources de plaisir et de découverte.

La compensation peut être un véritable outil. Mais si c'est une simple excuse pour se donner bonne conscience en prenant l'avion pour aller faire la fête à Marrakech, c'est honteux.

Il y a un autre discours, que l'on entend chez les personnes qui rechignent à changer leurs habitudes pour tenir compte de la crise climatique. C'est celui qui consiste à dire : "L'innovation technologique nous sauvera." A l'inverse, dans votre fresque, vous ne proposez que des techniques qui existent déjà. Vous ne croyez pas à cet argument de l'innovation ?

Non. D'abord, parce que nous manquons de temps. Il faut prendre la mesure de l'inertie du déploiement des nouveautés. Quand on parle d'innovation dans le secteur aérien, on parle de quelques pourcents de la flotte de 2050 qui pourra envisager de bénéficier des véritables améliorations techniques. Mais l'immense majorité des avions qui voleront en 2050, s'ils volent encore, existent déjà. Soit ils sont déjà en service, soit ce sont ceux qu'on sort des lignes en ce moment. Ces avions-là ne sont pas compatibles avec les objectifs de neutralité carbone. Inverser la tendance sur des systèmes techniques, c'est long et nous manquons de temps.

La deuxième partie de la réponse, c'est que nous créons des complexités en allant vers des systèmes techniques qui supposent une extraction de matière première, de la consommation d'énergie pour les distribuer et des technologies, y compris numériques, pour en suivre la maintenance... Sur ces variables-là, il y a de forts risques d'approvisionnement : nous manquons de ressources minières en métaux et en terre. Il va y avoir des tas de blocages dans le déploiement de ces technologies. Par exemple, il faut prendre la mesure de la consommation de données de solutions automatisées. Quand on parle de la voiture autonome, c'est le patron d'Intel qui indiquait que les données pour un million de voitures sont équivalentes à celles de 3 milliards de personnes. Nous ne pouvons pas imaginer un déploiement à grande échelle de ces technologies-là. Nous ne ferions que transformer le problème du climat en un problème d'énergie. Nous devons être sobres dans les solutions qu'on utilise et augmenter nos chances de réussite en utilisant ce qu'on maîtrise.

Sur la gauche de votre fresque, vous avez dessiné votre ville durable. Quelles sont ses caractéristiques ?

Il y a une double urgence dans les villes. Nous ne sommes pas seulement dans une urgence d'atténuation des émissions, mais aussi d'adaptation. Quand il a fait 40 °C à Paris l'été dernier, nous pouvons imaginer que les étés prochains ne vont pas être tellement plus froids. Nous devons privilégier des solutions de végétalisation et de déminéralisation des villes pour réduire l'effet "îlot de chaleur". Cela pose une question sur l'aménagement et sur la gestion du foncier. Aujourd'hui, on voit du foncier et on se dit : "Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir bâtir dessus ?". Demain, il faudra regarder cela autrement. C'est sur ces espaces-là qu'on va devoir se poser la question de "Comment faire pousser des arbres ?" Nous avons besoin d'arbres : un arbre, c'est trois climatiseurs en ville. Une approche par le végétal a énormément de vertus : elle participe à l'adaptation au changement et réduit la consommation d'énergie.

Cette notion de proximité est aussi un vecteur de lien social. Les villes sont un véritable creuset de mobilisation, on peut se sentir efficace, on se fait confiance les uns les autres dans un réseau urbain de proximité. On croise des visages connus, on est fidèle à tel ou tel commerçant, on peut partager l'effort, il est plus facile dans cette proximité d'adopter des modes de vie type "zéro déchet" où il est normal d'arriver dans un magasin avec des emballages que nous apportons, parce que ça fait partie d'un mode de vie qu'on partage ensemble. Cela crée aussi des débouchés pour des producteurs à proximité des villes qui, aujourd'hui, cherchent à améliorer leurs revenus en vendant en direct ou en réduisant les distances de transport.

Dans les villes, il y a évidemment un stock de bâtiments à rénover. Il y a trop de copropriétés privées qui n'ont pas les moyens de financer leur rénovation. Nous pouvons nous poser la question de la mutualisation des opérations entre les copropriétés solvables et celles qui ne le sont pas. Il y a des questions de redistribution évidentes et d'engagements financiers de la part de grands investisseurs.

Dans la ville que vous dépeignez, la différence frappante avec les métropoles actuelles est l'absence de voitures. Est-ce réaliste ?

Cette fresque est une allégorie. Nous évoquons des fonctions, nous ne cherchons pas une représentation totalement réaliste. De manière générale, dans les villes, l'enjeu pour moi se résume à une question de relocalisation. Avoir une diversité de fonctions, commerces et ressources à proximité, c'est la clé. C'est cela qui nous permet d'avoir un choix de modes de déplacement beaucoup plus riche et beaucoup moins carboné. Si nous avons 15 minutes à pied pour faire tout ce dont on a besoin, à aucun moment nous allons sentir le besoin d'avoir une voiture.

Au centre de votre fresque, il y a une série de bâtiments que vous appelez "la membrane" et qui sépare la ville de la campagne. Pouvez-vous nous expliquer en quoi cela consiste ?

C'est important de revenir sur l'équilibre général de la composition. C'est un grand rectangle, divisé en deux avec, à parts égales, une partie urbaine avec des usages en ville et une partie rurale, avec des usages à la campagne. Pour moi, il est essentiel d'avoir cela en tête, nous sommes dans un système mutuellement dépendant : la partie urbaine a besoin d'une partie naturelle pour produire à manger. C'est là où l'essentiel de l'alimentation des villes se passe. Sans campagne, il n'y a pas de céréales, de bétail, de fruits ou de légumes. Les villes ne peuvent pas fonctionner seules, elles ne disposent pas de la surface nécessaire intra-muros pour cultiver du blé ou de forêts permettant de créer des charpentes pour les ossatures bois.

Ensuite, la zone de frontière n'est pas une séparation, qui oppose l'un à l'autre, mais une zone qui construit l'alliance entre ces deux grands systèmes. Ces zones frontières sont des zones où l'on va retrouver des implantations industrielles, là où on va avoir la rencontre de la main-d'œuvre qui vient des villes et des matières premières acheminées de l'extérieur. C'est aussi là où on va stocker des réserves, qui vont être des silos à grains, des chambres froides... Ce sont des zones ressources qui sont dans des interfaces entre partie urbaine et partie rurale. On y voit également une gamme de solutions de transport : un tram-fret pour transporter passagers et marchandises, du covoiturage, des pistes cyclables aménagées pour des triporteurs, pour nous permettre de sortir de "l'autosolisme", cette façon d'être seul dans sa voiture à moteur thermique.

A droite, vous dessinez une campagne où l'on voit beaucoup de cultures et peu d'élevages. Dans votre monde durable, l'alimentation est donc moins carnée que dans le nôtre ?

Je me suis référé aux travaux de Solagro, un projet qui s'appelle Afterres 2050. C'est la traduction dans le milieu agricole des objectifs de l'accord de Paris. Nous savons que la bascule d'une alimentation d'origine carnée à une alimentation d'origine végétale est beaucoup plus sobre en ressources. Il faut sept fois plus de ressources en surface pour produire la même quantité de protéines animales que de protéines végétales. Nous devons donc réduire massivement les émissions en réduisant notre consommation de viande. Il s'agit d'accompagner cette bascule avec une émergence d'une alimentation qui utilise beaucoup plus les céréales et les légumineuses.

L'animal est présent dans cette fresque, pour rappeler qu'on a besoin de matière organique pour fertiliser le sol. Le réchauffement climatique pose la question du bon dimensionnement de la place de l'animal. 

Aujourd'hui, nous avons développé une surconsommation de viande, des mêmes morceaux, nous pensons steak, rumsteak, gigot, blanc de poulet, nous sous-utilisons une grande partie de l'animal. C'est une source de perte d'efficacité.

Il faut multiplier le nombre de bêtes pour faire le même nombre de côtes de bœuf, nous avons des pratiques alimentaires qui ne sont pas efficaces. Le mode d'élevage intensif, souvent hors-sol, dépend de l'importation de tourteaux de soja venant principalement du Brésil, sur des sols conquis sur la forêt primaire en Amazonie. Il y a des effets en cascade qui sont provoqués pour répondre à une tendance actuelle d'extension des élevages en stabulation [des élevages en espaces restreints et clos], avec des circuits d'animaux qui donnent le tournis. J'ai en tête, dans la Loire, des installations qui font venir des veaux d'Italie pour les faire pâturer quelque temps en France, puis les faire repartir. Ce sont des norias de camions derrière.  

Ce n'est pas visible dans la fresque, mais vous défendez dans votre livre une agriculture sans pesticides. Que répondez-vous à ceux qui estiment que nous ne pouvons pas nourrir l'ensemble de la population sans l'agrochimie ?

Ce qui est frappant, c'est de constater que l'opposition entre pro et anti-pesticides est aujourd'hui très stérile. Nous avons d'un côté une mesure de la productivité à l'hectare sur une récolte : si je charge mon sol en engrais et que je mets tel traitement chimique, j'obtiens tel rendement. Mais ces gens-là oublient de calculer l'impact élargi de ce genre de techniques, comme le phénomène des algues vertes en Bretagne. Nous n'avons pas imputé aujourd'hui le coût et l'impact de pertes de biodiversité sur les pratiques agricoles. Nous n'imputons pas les externalités négatives au prix du kilo ou au prix à l'hectare. 

De l'autre côté, nous avons une mesure de la valeur sur un temps long. Dans l'agroécologie, on a besoin de mesurer la stabilité des écosystèmes sur des temps plus longs, pas seulement sur une saison, mais sur cinq, dix, quinze saisons. On ne mesure pas la même chose sur des horizons de temps différents. J'espère qu'on pourra arriver à un débat apaisé en se mettant d'accord sur les termes du débat. Aujourd'hui, nous n'avons même plus les termes du débat en commun, donc nous avons, forcément, deux visions du monde.

Dans votre fresque, on voit des panneaux solaires en ville, des éoliennes à la campagne, un barrage, un méthaniseur agricole... Est-ce que vous croyez à un scénario 100% énergies renouvelables ? Nous en sommes très éloignés aujourd'hui.

Nous en sommes très loin. Mais, en même temps, nous avons de très nombreuses sources, dont l'Ademe, qui ont fait des modélisations de scénarios 100% énergies renouvelables. On a tendance dans le débat français à se concentrer sur les débats du côté de l'offre et à minimiser le potentiel de la transformation de la demande. Or la proximité est un facteur d'efficacité énergétique. Nous allons réduire les distances et simplifier les outils qu'on va utiliser. Si on se déplace en marchant ou à vélo, le déplacement est beaucoup moins consommateur d'énergie.

Dans cette fresque, l'homme se consacre à un autre objectif que l'accumulation matérielle, donc nous consommons beaucoup moins.

Mais ce n'est pas une vision de décroissance : dans cette fresque, il y a énormément de choses à faire. C'est une vision de plein-emploi, de production pour mettre en œuvre cette transition.

Par exemple, dans cette fresque, il y a un mur à pêches, qui est un véritable réservoir d'efficacité énergétique. C'est un mur de briques qui permet de stocker la chaleur du soleil dans la journée et de la restituer sur une plage élargie. On optimiste la captation du rayonnement solaire, chaque fruit bénéficie d'un maximum d'apport d'énergie du soleil et on coupe le vent, on protège la plante des effets des vents froids en hiver. Cela permet de produire des fruits plus au nord et de ne pas en faire venir de loin. Le cumul de ces actions montre qu'on a un réservoir de réduction de consommation d'énergie considérable.

Dans votre livre, vous plaidez pour un "strict encadrement" de l'économie de marché et pour "une puissance publique forte". Un changement qui risque d'être combattu par les milieux économiques. Comment opérer cette transition ?

Il y a aujourd'hui une tension qui se crée entre des pratiques d'un ancien temps et celles qui sont largement souhaitées et portées par la société. Mais nous avons des alliés économiques qui sont en train de faire basculer les décisions, notamment les investisseurs de long terme, comme les fonds de pension ou les caisses de retraite, qui doivent prendre en compte le climat dans l'impact de leurs investissements, à horizon dix, vingt ou trente ans. Ce sont ces acteurs qui ont été les premiers à peser sur les décisions de désinvestissement dans le charbon. Nous sommes aujourd'hui en train d'élargir le périmètre aux hydrocarbures. 

Il faut lire en détail la lettre de Larry Fink, le patron de BlackRock très décrié par ailleurs, quand il prescrit aux patrons des entreprises dans lesquelles son entreprise investit un reporting de leurs actions en fonction de la compatibilité vis-à-vis de l'accord de Paris. Des groupes aujourd'hui très loin de la question vont se retrouver fragilisés pour continuer leurs activités. C'est une première tendance. 

Par ailleurs, certains acteurs ont pris la mesure des risques sur les activités dont ils dépendent. Il faut écouter Pierre-Emmanuel Taittinger, qui dit : "Moi, en tant que producteur de champagne, je suis directement impacté par ces évolutions et la continuité de mon activité est en cause."

La crise des "gilets jaunes", déclenchée par la taxe carbone, a montré qu'il y avait un énorme enjeu d'acceptabilité sociale sur ces questions. Dans votre livre, vous faites le diagnostic d'un déficit démocratique sur ces sujets. Comment le combler ? 

L'objectif est de devenir collectivement des citoyens actifs et de s'emparer de ce sujet. Il faut regarder étroitement les programmes des candidats aux élections municipales et faire le tri entre celles et ceux qui auront établi l'état d'urgence climatique comme premier point du programme et ceux qui ne seront pas compétents. Nous devons dépasser un moment où nous attendons que les solutions viennent des élus ou du gouvernement, nous devons nous considérer comme coacteurs de ce changement. Soyons actifs, ne soyons pas consommateurs."

 

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