"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas." (3)
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/06/2014
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"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (1)
"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas." (2)
Nouvelle écoute.
Il s'aperçut que les notes longues du synthétiseur apparaissaient bien plus tôt que ce qu'il avait décelé à la première écoute. Il s'était laissé prendre par le leitmotiv e til n'avait pas su s'en libérer...
Les yeux clos, il vit crépiter des lumières, comme des papillons virevoltants.
Longue inspiration, longue expiration. Sans le vouloir, sa respiration avait adopté un rythme particulier, comme si les notes agissaient sur lui comme un chef d'orchestre.
Apaisement.
Un crescendo céleste. L'expression s'imposa, une évidence.
Les notes longues qui montaient et gagnaient en puissance.
Il se sentit aspiré, une ascendance tiède et délicate, aucun soubresaut, une élévation d'âme...
L'âme...Le mot avait jailli comme un diable hilare de sa boîte.
Il en sourit et laissa les sensations l'envahir. Comme des retrouvailles, des embrassades attentionnées, un câlin de femme...
Ascension...
Des chaînes de montagnes et des glaciers, des jungles infinis tapissant la Terre d'une houle frissonnante, des plaines aux herbes dansantes, des brises gonflées de chaleur, des vols d'oiseaux lancés à travers les horizons lumineux, et l'Océan, l'Océan, comme il ne l'avait jamais vu. Un fin liseré dessinant l'arrondi de la planète, reflet de l'atmosphère, miroirs symétriques, l'un et l'autre se contemplant, il devina la rotation de la Terre dans l'espace, mouvement indicible d'une puissance incommensurable, la Terre tournait sur elle-même dans une courbe solaire et nous n'en étions même plus étonnés...
Les notes longues qui montaient vers les cieux.
Une paix inconnue gonfla en lui, une succession effrénée d’images déboula, une masse compacte animée d’une volonté inébranlable, il regarda derrière ses paupières et vit le monde, il le vit comme il ne l’avait jamais entendu et l’expression ne l’interpella même pas, il s’abandonna au flux dans ses veines.
Il sentit courir en lui des troupeaux de zèbres, la puissance des antilopes, le grondement puissant des sabots sur le sol, la montée de la sève dans les bourgeons affamés, il entendit la croissance des herbes, il suivit le parcours obstiné des insectes dans les jungles des sous-bois, le vol bondissant des papillons amoureux, il entendit le chant des vents d’altitude et se laissa porter par les grands courants marins, coula dans les fleuves au milieu des limons, survola les sommets, descendit lentement au cœur des glaciers, icebergs dérivant dans les mers polaires, il imita le silence des pierres, plongea au cœur des atomes, fusionna dans les coulées de lave, glissa sur une fougère dans un corps d’escargot, amibe insérée dans un conglomérat visqueux, il sentit ruisseler en lui le parfum des fleurs, des milliers de parfums comme des tourbillons enivrants, il compta en un milliardième de secondes les flocons qui tombaient sur le monde.
« Je suis la vie présente en moi… Je suis l’énergie, la beauté de l’ineffable. J’écoute ce que je n’entendais plus. »
Ce cœur qui bat sans que rien ne l’explique, cette mélodie sourde, régulière, comme un tambour éternel, cet apaisement immédiat, une comptine récitée en lui, un condensé de douceurs pour le calmer.
Plus de grésillements mais une chaleur diffusée dans les fibres, un courant continu, il devinait une charge électrique, rien qui ne puisse être identifié, rien qui ne puisse être saisi par la raison, il percevait encore cette osmose inimaginable avec les éléments de la vie, cette rencontre fusionnelle, ce partage qu’il n’aurait su concevoir.
Le courant en lui.
L’impression qu’il était réfugié dans une grotte close et que l’agitation du monde s’approchait.
Le leitmotiv le saisit à la gorge. Il en fut atterré puis il comprit aussitôt qu’il en était responsable. Le flux vital était toujours là, les notes longues comme un chœur divin…
Placenta humain, placenta terrestre, placenta divin…Une succession infinie, des expériences à saisir pour grandir, des expériences pour valider la croissance…
Il ne comprenait rien à ce qui jaillissait en lui.
Les notes longues comme des nourritures spirituelles.
Notre naissance, cette expulsion du ventre maternel. Nous n’avions pas compris. Nous nous pensions humains, nous n’étions qu’une nouvelle forme embryonnaire. La Terre était un deuxième placenta. Nous devions y grandir avant que la mort ne nous renvoie au placenta divin, celui des âmes, celui des énergies originelles, dans le flux vital, dans le courant des particules…
Le leitmotiv des conditions de vie n’était qu’une sourdine posée sur cette âme, l’interdiction de grandir, une condamnation que nous nous infligions. Il fallait en sortir et se nourrir de l’Amour.
Les phrases en lui comme des bourgeons gorgés de vie.
Il ne comprit pas les larmes. Il se l’était toujours interdit. Les injonctions de son père. Un garçon ne pleure pas. Et l’homme à venir doit tuer l’amour de la vie. Brider les émotions et s’en tenir à la raison apprise.
Il ne pouvait plus.
Il aurait pu en mourir. Alors que la Vie était là…
Suite plus tard…
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