"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (5)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (1)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas." (2)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas." (3)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (4)

"Bonsoir Paul. Je me permets de vous contacter par mail pour vous adresser cette vidéo. Regardez-là quand vous serez tranquille. Essayez de ne penser à rien. Laissez-vous porter. Toujours cette idée toute simple : Écoutez ce que vous n'entendez plus. C'est en vous de toute façon, vous n'avez pas à aller chercher dans des antres insondables mais simplement à vous libérer d'une attention dirigée. Nous en reparlerons si vous le souhaitez un jour. Le coeur bat au choeur de la vie. Bonne continuation."

Pierre. 

 Vingt-deux heures trente. Christine était couchée. Les deux garçons dans leur chambre respective. 

Il s'allongea sur le canapé. Les écouteurs en place. L'ordinateur portable posé à ses côtés. La lampe sur pied, éclairage vers le plafond, diffusion légère, un halo pâle, comme un matin de brume. 

"Le coeur bat au choeur de la vie."

Il ne comprenait pas la phrase. Une de plus. Ce thérapeute fonctionnait par énigmes, il le savait bien depuis le temps.

Il ferma les yeux et repensa à sa journée. Cette impression étrange que la séance du matin s'était évanouie, que toutes les activités avaient agi comme une gomme, un effaceur impitoyable. Réunion de travail, les graphistes, brain storming, appels téléphoniques, rencontre avec l'organisateur du salon du 4X4 de Valloire, une affiche à créer, téléphone, téléphone, fax, téléphone, discussion avec l'imprimeur, le coloriste, le maquettiste, un projet avec la ville pour le bi centenaire du Château des Ducs, téléphone, fax, dicter un courrier à Laura...Une course infernale, permanente. Depuis combien de temps ? Que cherchait-il à se prouver ? 

Il avait été surpris par ces questions insensées. L'impression qu'en lui un horizon inconnu se révélait.

Il était rentré à dix-neuf heures trente, un horaire honorable au regard de certaines journées.

Christine corrigeait ses cahiers de classe.  

Il l'avait embrassée sur le front. Elle avait levé vers lui un regard fatigué. Cette ride qui barrait son front. Elle s'étendait comme une lèpre. 

Pendant le repas, Albin avait raconté une nouvelle altercation avec le professeur de chimie. 

"Il nous prend pour ses esclaves. Je ne supporte plus cette humilation. J'en ai marre d'être pris pour un gamin. J'ai l'impression que pour tous ces profs, nous ne sommes que des individus complètement ignares, incapables du moindre raisonnement en dehors de leurs cours. Et ça m'apporte quoi à moi, toutes ces formules que je dois apprendre ? 

-La possibilité un jour de gagner ta vie, avait-il répondu. Les diplômes, c'est la seule issue. Tu ne peux rien faire d'intéressant en dehors de cette voie.

-Gagner sa vie ? Mais je n'ai pas à la gagner, elle est déjà là, Papa."

Il n'avait eu aucune réponse. 

"Aurora";

Le titre du morceau. Y avait-il une signification cachée à son intention ? Tout ce que ce thérapeute disait ou faisait était empli de sens. La moindre anecdote contenait une leçon à saisir. Il ne l'avait pas compris au début. Mais il avait toujours eu confirmation dans les jours qui suivaient. Comme si tout était déjà inscrit, comme si tout était déjà prévu. À moins que nos comportements et nos pensées viennent influer sur la vie elle-même, à moins que nos actes soient les graines des actes à venir, comme un enchaînement inéluctable.

Mais alors, comment pouvions-nous accepter de vivre sans observer cette vie ? L'impression ne d'être qu'un acteur incapable de comprendre la pièce dans laquelle il joue. Et la jouer pourtant. 

Ce sentiment d'impuissance et d'ivresse, comme un abandon au naufrage. L'orchestre du Titanic qui s'obstine à jouer de la musique. 

Sa vie coulait dans les affres de l'inconscience avec des justifications nourries d'illusions apprises.

Cette nausée qui durait et s'amplifiait insidieusement. Cette alternance insoumise entre les obligations professionnelles, cette nécessité de gagner sa vie, cette fierté de chef d'entreprise et ce chaos existentiel dont il ignorait la source. Comme une aurore qui point. 

Un sursaut. Il se redressa et cliqua sur le mail de Pierre.

"Bonne continuation"."

Comme si son thérapeute avait deviné son intention de ne plus revenir...

Était-il donc si prévisible ? Il ne s'agissait pas d'une inexplicable capacité à prévoir l'avenir, il n'y croyait pas un seul instant. Non. Impossible. Il avait nécessairement montré ce qui était en lui et ce thérapeute, sans magie aucune, l'avait ressenti. Nous étions des livres ouverts pour qui savait déchiffrer. 

Pourquoi avait-il pleuré pendant la séance ? Qu'avait-il donc éprouvé ? Il n'avait aucune explication rationnelle et n'avait pas gardé assez de détails pour y trouver une réponse. Il se souvenait juste avoir pleuré et il n'en restait désormais qu'une certaine colère. Comment accepter de ne pas se comprendre ? 

Et pourquoi se perdait-il ainsi en interrogations infinies ? 

Il était allé voir ce thérapeute parce qu'il avait la réputation d'apaiser le stress. Il avait imaginé des séances de massages relaxants, une énergie retrouvée et le retour au front, chargé de forces nouvelles. 

Au lieu de ça, il se sentait désormais aspiré par des sables mouvants...

Et il en avait peur. 

Il ajusta les coussins sous sa tête, lança la lecture de la vidéo, s'allongea confortablement, les mains jointes sur sa poitrine et ferma les yeux. 

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