"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (6)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (1)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas." (2)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas." (3)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (4)

"Apprends à écouter ce que tu n'entends pas. " (5)

Des choeurs...Des voix d'église...Il n'avait jamais aimé ça. Il n'y avait pas de vie là-dedans, il n'y voyait que des cérémonies de cimetière. Décidément, ce thérapeute avait le don pour lui proposer des musiques irritantes. 

Non, il ne devait rien refuser. Apprendre à écouter ce qu'il n'entendait pas. C'était peut-être ça cette émotion pendant la séance du matin. Mais qu'avait-il entendu ? Pourquoi n'en avait-il gardé aucune image claire, aucune explication rationnelle ? 

Respiration abdominale. Accepter de gonfler son ventre et de se libérer de la pression qu'il s'imposait, son apparence, un physique affûté... Il n'imaginait pas un chef d'entreprise qui se laisserait aller, qui n'entretiendrait pas son corps. Il se voulait à l'image de son entreprise. Solide, soigné, attentif, efficace, infaillible...

Il s'était demandé à quelques reprises si cette activité effrénée qui le caractérisait ne cachait pas quelque chose.  

La mort... Il n'avait pas aimé cette supposition. Il avait refusé de l'approfondir. 

Une musique de cimetière... Non, c'était impossible. Le thérapeute ne pouvait pas avoir deviné ce qu'il redoutait. Il ne pouvait avoir choisi cette musique avec une autre intention que la détente...Méditer, méditer. Il n'y avait jamais ressenti autre chose qu'une bonne relaxation. Mais elle lui était profitable et il n'en demandait pas davantage. 

"J'aimerais que vous méditiez comme dans un cercueil."

L'expression l'avait ébahi. La troisième séance. Il n'aurait jamais imaginé cela et les séances suivantes avaient validé l'étrangeté de la chose. Cela l'agaçait parfois et l'intriguait à d'autres. Une alternance constante entre le désir de s'en aller et celle d'explorer davantage. 

"Mais je ne suis pas mort, avait-il répondu.

-Et si vous étiez mort à la vie en vous ? Et si vous étiez justement en dehors de la vie ? Non pas dans vos actes mais dans la conscience que vous en avez, non pas dans vos pensées mais dans l'observation que vous pouvez en avoir, non pas dans vos émotions mais dans l'analyse que vous pouvez en faire... Vous comprenez ? La vie à laquelle vous êtes attaché n'est peut-être qu'une avant-scène, un premier degré, le premier barreau de l'échelle... Ce que vous écoutez n'est peut-être pas la totalité de ce qu'il y a à entendre, ce que vous éprouvez n'est peut-être qu'une expérience infime au regard de ce qu'il reste à explorer. Je pense qu'il est approprié par conséquent de méditer comme à l'intérieur d'un cercueil. 

-Et quel est l'objectif ? 

-Imaginez-vous mort mais en ayant conscience de l'être. 

-C'est affreux. 

-Pourquoi ?

-Pourquoi, pourquoi ? Et bien, c'est tellement évident. Vous aimeriez être mort vous ? 

-Je n'aimerais pas ne pas savoir que je vais mourir.

-Oui, bien sûr mais ça ne me sert à rien d'y penser.

-Pourquoi ?

-C'est déprimant.

-Pourquoi ?

-Mais parce que j'aurai tout perdu. Moi, ma femme, mes enfants, mon travail, tout ce que j'aime.

-C'est étrange, vous n'avez pas parlé de la vie. 

-Comment ça ? Je viens de le faire. Je vous ai parlé de ma vie.

-Oui de votre vie. Pas de la vie.

-Mais c'est la même chose.

-Non."

Il n'avait rien trouvé à répliquer. Interloqué. Le thérapeute n'avait rien rajouté. Comme toujours lorsqu'il butait sur une réflexion. 

Cette activité effrénée qu'il s'était fabriquée, que cachait-elle ? 

Qu'avait-il refusé d'entendre ? 

Les choeurs s'amplifiaient par moments et il avait l'impression qu'ils le remplissaient. Il avait conscience que sa respiration s'était calée sur les voix, le flux et le reflux de son ventre comme des marées successives. 

Il est au-dessus de la mer. Au-dessus des cieux. 

La mort... les choeurs qui l'accompagnent. Il est dans son cercueil. Il n'y a personne d'autre. Rien, le néant. 

Et dans ce vide absolu, une lave coule en lui. Une présence. Une vie. 

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