Austérité ou sobriété
- Par Thierry LEDRU
- Le 26/08/2023
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Et maintenant : austérité ou sobriété ?
LE 09/07/20206 min
Eloi LaurentEconomiste, professeur à Sciences Po et à l’université de Stanford
On a trop peu souligné combien les mots choisis par le président de la République le 14 juin dernier, à l’heure de tirer un premier bilan de la pandémie de Covid-19 en France, furent ahurissants : « Nous pouvons être fiers de ce qui a été fait et de notre pays. »
Rappelons rapidement ce que nous disent, en réalité, les quatre indicateurs du carré tragique français : « notre pays » a l’un des plus mauvais bilans sanitaires au monde, il a imposé à ses citoyen(ne)s des restrictions de liberté parmi les plus strictes de la planète, il est frappé par une des récessions économiques les plus sévères du globe et il a vu s’effondrer la confiance politique comme nulle part ailleurs en Europe. Fiers ? De quoi au juste ? « Reconstruction » définit fidèlement, pour le coup, l’ampleur de la tâche à accomplir pour remettre le pays à flot après ce naufrage.
Deux horizons étymologiquement proches et radicalement éloignés politiquement se dessinent devant nous en la circonstance : l’austérité et la sobriété. On peut chercher à les contraster de différentes manières (la première serait subie, la seconde choisie) mais la distinction la plus convaincante est celle de leur objet respectif : l’austérité est sociale quand la sobriété est écologique. Laquelle faut-il préférer sur le plan économique ?
Création d’emplois
L’austérité sociale est toujours une catastrophe en temps de crise, il est encore utile de le rappeler aux héritiers intellectuels du Jacques Rueff de « l’assurance chômage, cause du chômage permanent ». Nous avons déjà vu en France, en 2011-2013, la saison 1 de cette série masochiste. Pourtant, un certain nombre de syndicats patronaux qui goûtent les faillites d’entreprises et d’économistes qui n’ont toujours pas lu Keynes (en libre accès ici) réclament à cor et à cri une saison 2 de l’austérité sociale, faite de déflation salariale et de reflux des protections collectives. Ce serait une idiotie impardonnable, soit, mais la sobriété écologique serait-elle préférable ? Il y a trois raisons sérieuses de le penser.
Pour commencer, les réglementations environnementales du type de celles, nombreuses et variées, que propose la Convention citoyenne pour le climat, peuvent accélérer l’innovation, selon l’hypothèse dite « de Porter », à condition qu’elles soient combinées à des instruments de prix comme la fiscalité écologique, dont la France a plus que jamais besoin.
Ensuite, la sobriété énergétique et carbonique favorise les créations d’emplois, comme le démontre clairement le scénario Negawatt qui prévoit, entre autres bénéfices, la création de 400 000 emplois nets en 2030 (600 000 en 2050).
Enfin, la sobriété écologique peut être synonyme de progrès social – notamment sanitaire – et de maîtrise des finances publiques, comme le souligne la note de la chercheuse finlandaise Tuuli Hirvilammi qui vient d’être publiée par la Fondation de l’écologie politique.
La sobriété, vecteur d’innovation
A cet égard, il est temps de déboulonner l’idée simpliste, reprise sans surprise par un président de la République sans imagination, selon laquelle la croissance est nécessaire pour « financer » les politiques sociales. Sous couvert de réalisme économique, il s’agit là d’une manière archaïque de concevoir la protection sociale au siècle des défis environnementaux : il importe aujourd’hui, en matière sociale comme en matière énergétique, de passer d’une logique de dépense à une logique d’économies.
En effet, le prolongement écologique de l’Etat providence – qu’imposent les risques sociaux engendrés par les crises environnementales – repose sur une logique d’économies et non pas de dépenses gagées sur des prélèvements eux-mêmes assis sur des revenus. Le financement d’un Etat qui doit devenir social-écologique peut ainsi être assuré par les économies colossales de dépenses sociales directement liées à l’atténuation des crises écologiques.
Que l’on songe aux économies provoquées par un traitement rationnel, c’est-à-dire non autodestructeur, des écosystèmes et de la biodiversité, qui aurait participé à écarter les épidémies de Sida, d’Ebola, de Mers, de Sras et bien entendu de Covid-19. Que l’on songe aux économies de dépenses sociales permises par l’atténuation progressive de la crise de la couche d’ozone, qui a entamé sa régénération du fait d’une gouvernance globale efficace et ainsi contribué à éviter des dizaines de millions de cas de cancers de la peau sur la planète. Que l‘on songe aux économies de dépenses sociales qui pourraient être réalisées par l’atténuation du changement climatique ou de la pollution de l’air. Sans parler des conséquences sanitaires et donc financières de l’amélioration des pratiques d’alimentation, des pratiques sportives ou de mobilité urbaine (marche à pied, usage du vélo...).
Même lorsque de nouveaux prélèvements doivent être introduits, comme la fiscalité carbone, celle-ci peut aisément aboutir, à condition d’être correctement calibrée, à des économies doubles, en termes de bien-être et de revenu pour la majorité de la population (Berry et Laurent 2019).
A l’inverse, comme le souligne l’OMS : « Tenter de faire des économies en négligeant la protection de l’environnement, la préparation aux situations d’urgence, les systèmes de santé, et les filets de protection sociale [s’avère] une fausse économie. »
Résumons : la sobriété écologique est un vecteur d’innovation quand l’austérité sociale détruit durablement les capacités humaines ; la sobriété écologique est créatrice d’emplois et de progrès social quand l’austérité sociale enferme les individus dans le chômage de masse ; la sobriété écologique est économe quand l’austérité sociale est une gabegie budgétaire. Pourquoi, dès lors, ne pas aujourd’hui faire le choix d’une politique publique dont nous pourrions être fiers ?
Eloi Laurent
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