Divertir ou bousculer ?
- Par Thierry LEDRU
- Le 10/06/2019
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""Il y a un point commun direct entre tous les gens qui lisent un de tes livres, c'est de le finir au milieu de la nuit ou au petit matin. J'ai fini "Jusqu'au bout" à 4h du mat parce qu'il n'était pas concevable de ne pas aller au bout tellement tout l'esprit est focalisé sur le livre. Mais je ne vois absolument pas comment un de tes livres pourrait fonctionner dans le marché, et c'est preuve de qualité. Il y a tellement peu de gens avec qui il est possible d'atteindre une discussion, un tantinet philosophique, et encore moins qui sont capables d'aborder ce que tu écris. Les rares personnes avec qui j'ai parlé de romans, ils lisaient Stephen King, bien sympathique mais à des années lumières de ton style. Je ne sais pas s'il t'arrive encore de regretter que ça ne marche pas pour le grand public mais ça n'en vaut pas la peine. Les livres qui fonctionnent, les gens les oublient en 2 mois, les tiens marquent une vie."" Léo.
Ce commentaire-là est gravé à tout jamais dans ma tête.
Oui, bien entendu, on pourrait penser que Léo n'est pas objectif envers son père. C'est mal le connaître. Léo a une intégrité morale absolue et l'idée même d'une faille n'est pas envisageable. S'il avait eu une critique à faire à ce roman, il l'aurait faite. Par respect pour moi tout autant que pour lui.
Et ce matin, je tombe sur un article qui présente les dix meilleurs auteurs français de 2018 et depuis le début de l'année.
Je connais deux, trois auteurs et d'autres absolument pas. Je me laisse donc porter par la curiosité et je vais lire la page amazon d'une auteure citée.
"Niais"
"Simplet et totalement infantile."
"J'attendais avec beaucoup d'impatience ce livre. Et j'ai été déçue, selon moi ce n'est clairement pas son meilleur. J'ai eu du mal à entrer dans l'histoire, j'ai trouvé les personnages trop dans la caricature, pas assez nuancés. Et je me suis surprise plusieurs fois à me dire "mais ça c'est pas possible". L'idée de départ est dans l'air du temps, la retraite, que faire quand on ne sent plus utile pour la société active, la protection de l'environnement. Mais tout est effleuré. Seuls les remerciements à la fin m'ont apporté un certain éclairage sur le livre, dommage qu'ils soient à la fin du coup....
Il se laisse lire mais ce n'est clairement pas son meilleur"
"Une écriture digne de l'école primaire, et encore..."
"Magnifique pour ne plus penser à rien étant donné qu'il n'y a rien dedans."
"Un très bon roman divertissant."
"Une plume légère pour une histoire qui fait réfléchir."
"Très très déçue. Bcp de poncifs, on tourne en rond et je n'ai même pas envie de le finir ! Pas de style, des dialogues soporifiques et des enfants qui parlent comme des adultes, mais où l'auteur a-t-elle vu ça ? Je le déconseille aux lecteurs (trices) aimant la littérature... Sans intérêt et je regrette moi aussi cet achat !"
"Bien, si on n'a rien d'autre à faire."
"J'ai lu tous les romans d'A... et j'attends le prochain avec impatience."
"Ce livre est inintéressant au possible, superficiel à un point ! Les personnages sont grossièrement ébauchés, les situations vite expédiées. C'est dommage car les thèmes évoqués auraient mérité mieux que ce semblant de roman ."
"Un livre qui se lit facilement avec des émotions et des valeurs de vie. SUPER"
"Nul, J'ai lu les 4 premiers livres d A..., ils étaient sympa, celui la achetée 18€90 est une véritable daube, insipide sans fil conducteur, sans histoire construite, un machin a faire du pognon, les autres avaient une histoire, on sattachait au personnages, mais celle de ce retraité qui se met au bio n'apporte rien, très, très déçu, attendez qu'il sorte en livre de poche, il vous coûtera moins cher."
"Enfin, une comédie très plaisante à lire."
etc etc...
Bon, la question qui s'impose est simple.
Comment est-il possible que cette auteure soit dans le top ten des meilleures ventes de romans ?
Effet de groupe, effet médiatique, inertie entretenue par les médias suite à un premier succès, personnage charismatique du gotha littéraire ?
Je n'en sais rien...
Ce qui est clair en regardant de près l'ensemble de "l'oeuvre", c'est qu'il y a une niche littéraire bien précise : la famille, la vie quotidienne, ses bonheurs et ses tracas. J'imagine donc que les gens s'y retrouvent quelque peu. L'idée est d'utiliser le roman comme le miroir de l'existence de chacun.
Mais en dehors de ce reflet, quelle est l'intention fondamentale ? Divertir ?
Personnellement, je n'aime pas le divertissement littéraire. L'expression est même à mes yeux une aberration mais il est clair en tout cas qu'il s'agit de l'objectif prioritaire des lecteurs.
Je n'écris pas pour divertir.
Je veux que ça cogne, que ça bouscule, que ça choque, que ça brasse, que ça bouleverse, je veux décaper le vernis quotidien pour mettre à jour les fibres les plus profondes, je veux que ça fasse mal et que ça illumine, que ça tranche dans la vie quotidienne pour en extraire les éléments qui élèvent, je veux qu'à la fin du livre, il ne soit pas possible de l'oublier en passant aussitôt à un autre.
On me dira que c'est prétentieux.
Oui, peut-être.
Il faut croire que j'ai une idée trop élevée de l'écriture.
Je prends donc le commentaire de Léo comme l'aboutissement de mon travail. Et je m'en réjouis.
"Jusqu'au bout" ne divertit pas. Il a pour objectif de poser la question de l'engagement personnel. Jusqu'où doit-on lutter ?
"Kundalini" ne divertit pas. Il a pour objectif de sonder la profondeur de l'étreinte amoureuse, corps et âme.
"Les héros sont tous morts" ne divertit pas. Il a pour objectif de sonder les valeurs morales.
"Là-Haut" ne divertit pas. Il a pour objectif de sonder la force de vie.
Il faut croire que ces objectifs ne correspondent pas à l'idée de la littérature dans le grand public.
Tant pis. Je n'ai jamais, de toute ma vie, accepter l'idée de compromission.
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