Le désir de l'école.
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/12/2010
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"Mais moi, l'école, ça ne me manque pas du tout. Et je ne la désire pas."
Inutile de préciser que cette phrase lancée par un élève me tourneboule depuis deux jours.
S'il n'y a pas de manque, il ne peut y avoir de désir. Mais pourquoi ce manque ne s'éveille-t-il pas ?
Je ne garde que la conclusion d'un long échange avec les enfants. Une idée principale qui est ressortie de façon générale.
Le plus difficile avec l'école, c'est de n'être jamais autorisé à profiter du présent...
Dès qu'un apprentissage est fini, un autre commence.
Dès qu'une leçon est apprise, une autre arrive.
Dès qu'un contrôle est passé, un autre se prépare.
Dès qu'une année est finie, une autre se présente.
Il n'y a pas de présent dans cette course en avant, ce qui revient à priver l'enfant de la satisfaction. D'autant plus qu'il n'y avait pas en lui de manque ni par conséquent de désir. L'école n'est qu'un labeur constant qui n'autorise que subrepticement le contentement. La pression revient immanquablement à la charge.
On voit dès lors l'importance du Maître. Il est le seul à pouvoir déclencher ce manque essentiel. Qu'un désir s'éveille, que le labeur devienne plaisir, que l'énergie ne soit pas constamment projetée vers l'avenir mais dans la jouissance de l'instant, dans le bonheur d'apprendre, sans qu'aucune sanction ne vienne salir ce bonheur.
On voit dès lors l'incongruité du systéme. Des notes, des contrôles, des bulletins, des appréciations, des sanctions arbitraires, des jugements subjectifs, tous les "Peut mieux faire" qui rappellent que la vie est à venir, que le futur est un présent insaisissable, qu'il faut travailler encore et encore pour s'approcher de ce fameux seuil de réussite cher au système.
"Tu seras un Homme mon fils," disait Kipling.
-Est-ce que ça donne le droit au système de m'arracher à ma vie d'enfant ?"
L'enfant est là. Et pas dans cet avenir d'adulte.
Ce sytème révèle avant tout l'incapacité des adultes à générer en l'enfant la conscience d'un manque de connaissances, un désir d'apprendre, une énergie à utiliser pour être celui qui sait et en profite et non, uniquement, celui qui doit savoir, le regard fixé vers l'horizon à atteindre.
On en revient à cet épouvantable espoir que l'on martèle dans des esprits malléables. Cette idée que la vie est à venir, qu'il faut gagner sa vie, qu'il faut préparer sa retraite, qu'il faut réserver son caveau. Jusqu'à en oublier d'être là.
L'école en devient finalement un apprentissage de toutes les dérives spirituelles de l'individu.
Ca me mine au plus profond.
Pour ma part, je pense que le mal est fait à l'école primaire, qu'il est renforcé par le collège et trouve son aboutissement au lycée. C'est une oeuvre de désintégration de l'individu.
Comment des parents pourraient-ils s'investir dans le respect de l'école quand ils ont eux-mêmes été démolis par cette école, qu'ils le sont encore par le jugement inique des enseignants? Il faut arrêter de dire que les parents n'éduquent pas leurs enfants. Aucun parent n'est satisfait de la révolte et de l'échec scolaire de leurs enfants. Eux aussi, ils en souffrent. Et de toute façon, mettre les parents au pilori ne les incitera jamais à soutenir les professeurs.
Celui qui est condamné ne sera jamais le soutien de ses juges. Que l'école reconnaisse ses erreurs serait déjà un pas immense, qu'elle reconnaisse qu'elle n'est plus un sanctuaire mais un tribunal, qu'elle admette qu'elle doit revoir à la base même son fonctionnement, que les enseignants apprennent à vivre avec les jeunes et non "contre" les jeunes.
C'est la motivation le moteur et non la peur de la sanction. Il n'y a aucune sanction à donner quand on travaille en osmose. C'est un accompagnement et non un rapport de force.
Il ne s'agit plus de changer de techniques d'apprentissage, de calendrier scolaire, de formation des professeurs mais bien d'établir QUI mérite d'entrer dans cette fonction ? C'est au départ que ça se joue. Mais pour établir quels sont les critères de sélection des futurs enseignants, encore faut-il que le projet éducatif soit entièrement reconstruit. Et ça, personne ne le veut.
C'est la formation de "l'individu-enseignant" qu'il faut entièrement reprendre, le contenant et pas le contenu.
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