KUNDALINI (23)
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/08/2017
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"KUNDALINI"
Il était assis au sommet du rocher lorsqu’elle revint.
« Reste là-haut, Sat. Ne fais pas de parade. Je n’en aurais pas besoin.
-Pourquoi ?
-Je veux monter vers toi et l’amour sera mon aimant. »
Une voix déterminée, un visage embrasé.
Kundalini. Une certitude pour lui. Des effets inexplicables. Extension du champ des possibles. Maîtrise de son corps, forces décuplées, clairvoyance, lucidité là où la raison habituelle parlerait d’inconscience.
« Juste une chose. Si tu sens que tu vas tomber, tourne en l’air pour tomber dos au rocher et pouvoir rouler au sol en vidant tes poumons. Repère bien la position de la grosse pierre anguleuse derrière toi, c’est elle surtout qu’il faut éviter en cas de chute. »
Elle observa le terrain, minutieusement et sans se l’expliquer, dans une acceptation immédiate du phénomène, sa vision se mua en un découpage instantané de chaque détail, un assemblage de photographies englobant chaque pierre, un assemblage précis des pièces du puzzle, chaque ondulation de la zone de réception, l’épaisseur variable du tapis herbeux, elle analysa dans le même instant l’impact éventuel de son corps au sol, le mouvement de roulade avant, l’exacte position dans laquelle elle devait se trouver avant d’atterrir, la rotation de son corps dans le vide, tout était là, inscrit comme si elle l’avait déjà vécu.
Elle se tourna enfin vers la roche surplombante et scruta chaque aspérité, imagina chaque mouvement, anticipa chaque déplacement, dans une lecture qui relevait du décryptage, une radiographie géologique, la forme et la taille de chaque ancrage, la rugosité du grain, le positionnement idéal sur les divers appuis, tout était là, en elle, dans un saisissement fulgurant, une compréhension intuitive de chaque instant à venir. Elle ne savait pas où elle allait passer mais la roche le savait et elle l’écouterait.
Elle percevait distinctement l’énergie amoureuse de Sat, sa totale confiance. Elle le remercia intérieurement de ne pas l’alourdir par des pensées craintives et des émotions invalidantes.
Pourquoi choisissait-elle de compliquer l’épreuve, de refuser sa protection au sol, sa connaissance de la voie, tous les conseils qu’il pouvait prodiguer ?
Elle n’avait pas de réponse.
Sinon celle de son intuition. C’est ainsi que ça devait se passer.
Il n’était pas temps de chercher à comprendre.
La vie en elle bouillait d’énergie, un haut fourneau à plein régime et elle se réjouissait de pouvoir user de ce magma.
Elle remercia la roche d’accepter sa présence.
Sat s’accroupit au sommet. Et il n’aurait su présager de la suite.
Il ne la quitta pas des yeux, dans une sidération contemplative.
Un enchaînement parfait de mouvements aériens, fluides, souples, d’une efficacité totale.
Elle joua de son corps avec une dextérité qui le subjugua, une concentration développée habituellement par des années de pratique assidue, une maîtrise mentale qui relevait de la perfection, il n’y eut aucune hésitation, aucune tension, pas la moindre marque de peur, pas le moindre trouble, juste une implication totale, libérée de toutes entraves, comme une évidence, il ne pouvait en être autrement. Les prises semblaient l’appeler et insuffler en elle le positionnement le plus favorable.
Le jour où il avait découvert ce bloc, il se souvenait avoir effectué plusieurs tentatives avant d’en trouver le seul itinéraire possible.
Maud voyait immédiatement ce qu’il n’avait pas vu, analysait à la perfection ce qu’il avait longuement travaillé, sentait spontanément le geste idéal.
Ce qu’il avait dû travailler, elle le découvrait dans une résolution divine.
Elle se redressa à ses côtés et l’intensité lumineuse de son regard le transperça.
Elle n’était pas là. Inatteignable dans les altitudes intérieures.
Une émotion suprême en elle, il en devinait le bouleversement.
Elle respira profondément comme si elle devait s’extraire d’une bulle et ses yeux redevinrent ceux de Maud.
Elle écarquilla les paupières, bougea le haut du visage, le tendit et le relâcha, plusieurs fois, puis elle frotta ses mains l’une contre l’autre, comme des rappels à soi, le retour d’une conscience mentale.
« Je ne sais pas si tu réalises vraiment ce que tu viens de faire, mon amour ? »
L’expression finale la combla de bonheur et elle ignora la question.
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