Musique et écriture

Le tome 3 de la tétralogie en cours a été écrit avec comme accompagnement musical toutes les compositions de LOSCIL.

L'album « Clara » a été une découverte particulièrement émouvante et je me suis appliqué ensuite à écouter tout ce que ce musicien a produit.

Je suis toujours impressionné depuis le temps que j'écris en écoutant de la musique de constater la puissance de cet accompagnement.

Malgré les années écoulées, il m'arrive en écoutant une musique de voir défiler les images de ce que j'ai écrit. Tout est définitivement relié.

Je regrette de ne pas avoir mentionné à chacun de mes romans les musiques qui m'ont accompagné. Je le ferai désormais. 

 

 

LE DESERT DES BARBARES

CHAPITRE 33

Tristan avait pris son poste de veille à vingt-deux heures. Dans le dernier virage avant l’arrivée sur le plateau. David occupait le deuxième poste cinquante mètres plus haut. Fusil, cartouches, poignard, cocktail Molotov, radio, thermos, lampe frontale, un duvet. Quatre bouteilles incendiaires. Moussad les avait confectionnées. Il avait expliqué que l’ajout de produit vaisselle limitait l’évaporation de l’essence et les morceaux de plastique découpées en petites lamelles et glissés à l’intérieur avait pour intérêt de coller à la surface du véhicule en fondant et de renforcer l’emprise de l’incendie. Ils s'étaient tous investis pour le débroussaillage des deux pentes du corridor. Deux arbres, surplombant la piste, avaient été abattus. L'idée était de ne pas mettre le feu à la végétation avec les cocktails Molotov.

L’attente.

Peut-être rien. Peut-être le pire. La conscience aiguë de la survie du groupe.

Tristan avait vérifié le fonctionnement de sa radio en appelant David puis il avait installé ses affaires. Tout à portée de main. Il avait laissé le duvet dans son sac. La nuit était douce, ciel étoilé. L’idée de garder une radio dans le hameau pour prévenir d’une attaque avait été abandonnée. Si une attaque avait lieu, les coups de feu suffiraient à réveiller le groupe. Il était préférable que les guetteurs puissent communiquer entre eux. Ils avaient regretté malgré tout de n'avoir pas assez investi dans le matériel de communication. La maison de Sophie et Tristan avait été choisie pour accueillir l’ensemble de la communauté pendant les nuits. Il était essentiel que le groupe soit réactif. Pas de dispersion dans les diverses habitations. Les décisions devaient être immédiates. Il avait fallu aménager les pièces, enlever des meubles pour installer des couchages. Quatre couples à loger. Martha avait demandé à rester avec Tian et Louna.

Poste de guet en pierres sèches, au sommet de la pente qui dominait la piste, cinq mètres en contrebas. L’autre versant montait en pente douce sur trois mètres. Pas d'endroit adapté pour ériger un poste de guet, la pente n'était pas assez haute, un tireur aurait été trop vulnérable. Moussad avait regretté que les deux pentes ne soient pas à la même hauteur. Un corridor étroit aurait permis de couvrir les deux versants et de croiser les tirs. Des assaillants n'auraient eu aucune échappatoire.

Pendant la construction des deux abris, ils s’étaient tous appliqués à penser au confort. Si tant est qu’on pouvait parler ainsi. Des pierres plates en assise et pour le dos, le corps tourné vers la piste. Un châssis en bois supportant deux tôles. Les pluies étaient rares mais souvent intenses. Il s’agissait de tenir quatre heures, aux aguets. Des assaillants viendraient sans doute avec des véhicules, comme chez les Mangin mais ils pouvaient aussi les laisser plus bas et finir à pied. Il fallait rester vigilant, guetter le moindre bruit de pas sur les pierres de la piste, une lampe frontale, des voix.

Une chouette au loin, pas de vent. La lune en phase ascendante, juste un croissant. Clarté limpide.

Tristan se doutait bien qu’ils auraient tous à vivre des nuits bien plus rudes.

Il se leva pour uriner, s’écarta de quelques mètres puis il décida de pousser jusqu’au point de vue, un promontoire qui dominait l’étendue forestière. Si la piste n’avait pas filé en ligne droite pendant un kilomètre pour bifurquer bien plus bas, il aurait pu voir les phares d’éventuels véhicules. Mais sous lui, s’étendait uniquement un espace sauvage, parcouru par les sentes animales. Avant que le monde ne s’éteigne, on pouvait distinguer les lumières des villes en fond de vallée. Maintenant, la nuit n’avait plus aucune blessure. Pas un seul point lumineux sur tout l’horizon. À vol d’oiseau, Alès devait être à vingt kilomètres. Tristan imagina la ville dans l’obscurité. Comment les habitants se débrouillaient-ils sans courant ? Plus d’eau potable dans les robinets, plus de nourriture dans les magasins, plus de soins dans les hôpitaux. Les forces de l’ordre étaient-elles encore en état d’intervenir ou la loi du plus fort était-elle devenue la norme ? L’entraide, la solidarité, le partage, l’attention aux autres. Que restait-il de ce qui avait permis à l’espèce humaine de se développer alors qu’elle avait représenté pendant des millénaires une proie de choix ? Il se souvenait d’un livre de Kropotkine sur cette entraide. Loin des théories de Darwin et du combat pour la vie, de la sélection naturelle à l’avantage du plus fort, Kropotkine considérait que l’entraide avait eu un rôle considérable dans le maintien et le développement des communautés, qu’elles soient animales ou humaines. Le chaos permettrait-il aux humains de redécouvrir ce que la vie moderne avait effacé ? Non pas juste, le coup de main aux membres de la famille ou aux amis proches, mais un mouvement de masse, un comportement universel. Les villes regorgeaient-elles désormais d’individualistes acharnés ou baignaient-elles dans un amour inconditionnel de l’autre ? Ou était-ce le mélange des deux ? Et qui avaient le plus de chances de l’emporter ?

Lui vint alors l’image de Jean et Delphine. Et la tristesse de Martha.

Il retourna à son poste de guet.

Il restait quinze minutes avant la relève lorsqu’il entendit un moteur. Dans les deux ou trois premières secondes, il pensa à un avion et réalisa que c’était juste un espoir, le déni de l’évidence.

Une voiture arrivait sur la piste. Il saisit la radio et contacta David.

« J’entends un moteur, peut-être deux. On y a droit, David. 

- On va y arriver. On est prêt. 

- Cocktail Molotov.

- Oui.

- Et on descend tout ce qui sort.

- Bonne chance, Tristan.

- À toi aussi, David. »

 

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