— Depuis la Galilée, tu plonges dans les entrailles de la terre. Divers alphabets t’annoncent : Niveau de la mer. Tu n’y crois pas, mais tu t’enfonces. Plus tu t’enfonces, plus tu te sens léger, plus tu oublies.
— J’oublie quoi ?
— Tu oublies les pourquoi, sans parler des comment. Avant que le dernier virage ne s’ouvre, tu es seul avec la terre et l’uniformité d’un bleu profond. À Tibériade, tu es reçu par le silence. Du moins c’est ce que tu admets. Rien n’est réel, encore moins ses vagues au clapotement velouté.
Tu t’assois sur les galets, tu observes les montagnes, enfin les bords du trou qui t’accueille. Tu regardes le lac, un bateau passe, poursuivi par des mouettes en meutes. Tu suis les plongeons d’une famille de martins-pêcheurs aux couleurs éclatantes.
— Tu es restée longtemps ?
— Peut-être ! J’ai marché, beaucoup. J’ai pris un bus, je crois, mais j’ai surtout marché. J’ai vu la pierre sur laquelle ils ont construit leur église. J’ai vu Capharnaüm. C’est étrange que le calme de ses ruines ait donné son nom au chaos… Surtout là, en dessous des océans. C’est au mont des Béatitudes que j’ai compris.
— Quoi ?
— Quelle importance !
— Mais…
— Chut ! Prends-moi dans tes bras, j’ai froid ! Pourquoi ai-je dû revenir ? Là-bas, il n’y a que toi et une paix improbable. Ici, enfin là-bas, rien n’existe qui ne soit harmonie. Ce n’est pas pour rien qu’ils les ont inventées en ce lieu. Dommage qu’elles n’aient su être à cette image.
— Nous irons !
— Non, mais toi, si ! Pose tes pas dans les miens, tu pourras peut-être m’y ramener. Tu m’éviteras le piège, celui d’une carte s’appropriant les hauteurs et d’une télé montrant armes, peurs, horreurs et haines. Tu auras le courage de les éteindre ? Elles ne sont qu’illusions, mais te raccompagnent là où je ne veux plus jamais être, là où l’homme et ses instincts sont maîtres.
Buenos Aires le 8 mai 2014