Ernst Zürcher, spécialiste des arbres : « L’homme moderne présente un syndrome de manque de nature »
Par EMMANUELLE VEIL le
Interview. Le naturaliste suisse Ernst Zürcher nous parle de notre rapport à la forêt, de la vie végétale qui tourne au ralenti et capte énormément de choses, même de simples intentions cérébrales.
Ingénieur forestier, docteur en sciences naturelles, spécialiste des sciences du bois, le chercheur suisse Ernst Zürcher étudie le lien entre l’univers végétal et le cosmos. Ses travaux confèrent une base objective à de très anciennes connaissances empiriques, telles que l’influence de la lune. Dans son livre Les arbres entre visible et invisible (1), il rend hommage aux peuples premiers et autochtones, porteurs de cet « autre savoir », et explique qu’ils ont beaucoup à apprendre aux pays riches en matière d’agriculture savante, équilibrée et durable.
En quoi l’arbre est-il une pièce maîtresse de notre écosystème ?
Un écosystème naturel tend à de se doter d’arbres partout où les conditions locales le permettent. Les forestiers observent que c’est le cas dès que la période de végétation comporte soixante jours avec une température journalière moyenne de 10° C. Le second facteur est ensuite d’ordre hydrique : une quantité d’eau suffisante est-elle disponible dans le sol et le sous-sol ?
Les arbres et la forêt sont la forme de couverture végétale majeure sur les continents à climat tempéré. L’Europe, dans la période suivant les glaciations et précédant l’occupation massive par l’homme, était ainsi entièrement couverte de forêts, sauf dans les zones de hautes montagnes et les steppes herbeuses de l’Est. Dans ce sens, un écosystème stable sur la durée se caractérise par une part d’arbres, qui à leur tour en influencent le climat de façon positive.
Quelles différences y-a-t-il entre un espace de sylviculture intensive mono-espèce et une forêt naturelle ?
Une foresterie basée sur l’élimination de la forêt naturelle pour la remplacer par des plantations à grande échelle de peuplements monospécifiques instaure une situation de concurrence extrême. En effet, tous les plants recherchent au même moment dans le même horizon du sol les mêmes ressources hydriques et les mêmes nutriments. Ceci implique un état de carence programmé durant toutes les étapes de développement, et donc une prédisposition aux maladies et ravageurs.
À l’opposé, une sylviculture appliquée à des peuplements naturels favorise la régénération spontanée, le mélange des essences et la mixité des âges (stades de développement). Ici, c’est la complémentarité, les symbioses et les synergies qui jouent leur plein rôle. Les forêts naturelles bénéficient ainsi d’une plus grande résistance aux ravageurs et produisent des bois de haute valeur.
Vous dites que l’arbre est le seul être vivant sur Terre qui dépasse l’homme par la taille et le temps. Comment expliquez-vous le manque de respect (ou de sensibilité ?) de notre espèce envers les arbres, le fait qu’on les utilise ou qu’on les mutile sans se poser de questions ?
Je pense que c’est dû au fait que nous nous sommes beaucoup éloignés de la nature, au détriment de notre empathie pour le vivant – que ce soient les animaux ou les plantes – et au détriment de notre propre système immunitaire. Des auteurs anglophones nomment ce phénomène « Nature Deficit Disorder » : syndrome de manque de nature.
Deux biologistes ont découvert récemment que les arbres ont un cœur qui bat environ toutes les deux ou trois heures. Selon vous, de quelle nature est le sentiment amoureux entre les arbres : existe-il des couples, des familles, des amitiés et inimitiés ?
En fait, il s’agit de mouvements verticaux rythmiques observés récemment au niveau de la couronne d’arbres [la partie avec les branches et feuilles, N.D.R.]durant la période nocturne, comme de légers battements d’ailes. Les chercheurs hongrois et danois dont vous parlez ont ainsi décelé une périodicité de deux à quatre heures pour certaines essences, et plus longue pour d’autres. Nous avions pour notre part découvert en 1998 déjà des pulsations analogues au niveau du tronc de jeunes arbres maintenus en obscurité constante, en phase avec les marées gravimétriques lunaires.
En tant que scientifiques, nous ne pouvons néanmoins pas directement assimiler ces phénomènes à des battements de cœur – ou alors abandonner la représentation que le cœur soit un organe réductible à une « pompe ». Quant à les associer à des émotions, nous ne disposons pas encore des outils méthodologiques et techniques pour le faire. Toutefois, il est bien connu que certaines essences croissent volontiers ensemble (le bouleau et le pin sylvestre par exemple) et que d’autres semblent faire le vide autour d’elles.
Les arbres peuvent-ils reconnaitre les humains (comme les animaux) ? Quel genre de plaisir ou de souffrance éprouvent-ils si on les enlace ou si on les attaque à la hache ?
Le grand scientifique indien Sir Jagadish Chandra Bose (1858 – 1937) avait déjà pu démontrer au début du siècle passé que les plantes sont extrêmement sensible au niveau électromagnétique à tout ce qui se passe autour d’elles. Le californien Cleve Backster (1924 – 2013) le confirma ensuite de façon multiple. Ses travaux semblent indiquer que non seulement des actes physiques, mais déjà de fermes intentions déclenchent des réactions mesurables. Rien n’empêche donc de supposer qu’il puisse y avoir chez les plantes un processus d’identification des humains ou de l’activité humaine, puisque nous-mêmes, nous émettons également de tels signaux électromagnétiques, en particulier en fonction de notre activité cérébrale.
(1) Actes Sud, 2016.
• Une version plus longue de cette interview paraitra au printemps 2019 dans le numéro 6 de la revue Soldes.
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