Un texte admirable.

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TEXTE DE JACQUELINE WAUTIER


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Tête-de-bois

Par Jacqueline Wautier, Le 09/09/2013 à 11:09

C’est un petit soldat digne     – Digne ? Digne !

Quoi qu’il fasse, il le fait jusqu’au bout.

Quoi qu’on lui ordonne, il obéit à tout.

Sourd à lui-même comme à ses peines, jamais il ne proteste ;

Dur à la tâche et sans relâche, toujours il se presse.

Volonté et courage constamment l’emportent ;

Application et soumission sans frein le portent.

 

C’est un petit soldat digne     Digne ? Digne !

C’est un petit soldat seul       – Seul ? Seul !

Mais il est fier de son caractère bien trempé.

Fier de sa force sans lâcheté ;

De sa vaillance sans errements ;

De son obéissance sans tourments.

Si ses amis l’appellent Tête-de-bois, ils en parlent en baissant la voix.

 

C’est un petit soldat seul        – Seul ? Seul !

Sur les champs de batailles, dans les prés sans semailles, sous les pierres et grenailles, il sera fort.

Des batailles en pagaille aux semailles de tripailles, pris sous les feux et mitrailles, il sera sans remord.

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Un jour arrive son matin, débute son combat : il reçoit fusil, bottine et gros barda.

Son chef lui dit :

« Plein feu sur l’ennemi    – ils n’ont pas le même habit !

Haro sur les mécréants     – ils n’ont pas le même accent !

Droit sur les sauvages       – ils vivent sur d’autres rivages !

Sus aux vauriens              – ils ne mangent pas le même pain !

Malheur aux voleurs        – ils n’ont pas les mêmes valeurs !

Mort aux hommes-chiens – ils ne nous ressemblent en rien !»

 

Il s’en va ainsi vers une guerre sans rime dont il ignore la raison.

Une campagne pour des prunes qui nourrit tant de rancunes ;

Un conflit de malheurs où l’on perd la raison.

S’en va mener le combat des autres qui en attendent fortune ;

Faire une guerre immonde où l’on meurt pour de bon.

 

Pourtant, sous son habit étrange, l’ennemi a les mêmes tourments ; et derrière leur accent étonnant, ceux que l’on dit mécréants perdent pareil sang.

En outre, maisons de terre, maisons de toile, les sauvages se lèvent au même matin ; aussi, galettes blanches ou pains gris, les vauriens souffrent semblables chagrins.

Au vrai et de source sûre, terre commune ou privée, voleurs ou possesseurs tremblent des mêmes peurs ; et  blanc délavé ou noir appuyé, chiens fuyants ou chats dormants, les humains connaissent un sort équivalent.

Car tous les hommes connaissent la même mort.

Toutes les âmes, toutes les humeurs, qu’elles chantent en ut, qu’elles chantent en ré, qu’elles pensent dans leur langue ou dans la tienne, partent d’un même cœur, d’un même esprit…

 

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C’est un petit soldat las        – Las ? Las !

Et par une nuit trop noire où se perdent les espoirs, sous la futaie il s’allonge et dans l’herbe se repose.

Cependant, en ce sommeil lourd qui oublie le temps pour gommer le désespoir, une énorme araignée tisse sa toile autour de ses pieds alignés ; elle fait tant et si bien, se démenant sans fin, que le héros reposé ne peut bouger ni le doigt ni la main :

– Pourquoi donc me ficeler de la sorte, demande-t-il, tout chagrin ?

– Tu étais sur mon chemin, répond-elle l’air malin.

– Est-ce là raison suffisante, petite insolente ?

– C’est la raison du plus fort, soldat qui dort. Ou peut-être ton destin ? Hasard et circonstances jouent souvent notre sort à la croisée des chemins. Pour tisser je suis née, pour combattre tu es fait.

– Absurde… ronchonne le guerrier solidement ligoté.

– Sais-tu, reprend-elle l’air taquin, pourquoi tu as combattu ces hommes à toi semblables, soldat implacable ?

– Ce sont les ordres, vilain cloporte…

 

L’araignée se tait ; continuant son labeur et consolidant son œuvre.

Enfin, satisfaite, elle s’endort avant que sonne l’heure.

Notre soldat se tient coi, surpris ma foi par cette situation inédite.

Et longtemps il médite sur ce hasard curieux qui l’a livré à ce tisserand bizarre   –réfléchissant à ces questions dignes vraiment que l’on cogite.

Ainsi pensant, il ne voit pas venir à lui une souris hilare :

– Qu’as-tu, soldat sans gloire, pour rester sur ce grabat digne d’un loir ?

Il tressaute, louche, et découvre, béat, l’animal sur son bras :

– Peux-tu m’aider ?

– Assurément, je le peux : en deux coups de dents tu seras délivré, prêt à l’élan !

 

Les souris rongent avec entrain, c’est connu d’avant guerre.

Un coup par-ci, trois par là, et voici libre le fada qui, de surprise, en reste sur son derrière.

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Qu’il ait rêvé, qu’il ait pensé, nul ne le sait ; mais c’est un petit soldat libre désormais        – Libre ? Libre !

Enfin il a compris : hasard ou aléas font le rival ou l’ami.

Enfin il a saisi : au soleil comme à la pluie, le malheur seul est ennemi.

Quoi que l’on dise, quoi que l’on veuille, du nord ou du sud, le deuil toujours nous réunit : tête nue ou corps voilé, la mort sans distinction nous engloutit.

Même une souris l’avait compris, la vie n’a pas de prix…

Même l’araignée lui avait suggéré, l’homme seul a de la valeur.

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C’est un petit soldat libre     – libre ? Libre !

De cette aventure il ne garde nulle blessure, mais de l’essentiel il a pris la mesure.

 

C’est un petit soldat tendre   – Tendre ? Tendre !

Quoi qu’il fasse, il le fait tout doux.

Quoi qu’on lui demande, il réfléchit à tout :

Aux déraisons de la raison quand elle oublie le sens de ses interrogations.

Aux questions qui restent en suspension quand des parenthèses étouffent les émotions…

 

C’est un petit soldat heureux  – Heureux ? Heureux !

Il s’émerveille de tout, de tout…

De la saveur du temps et du goût du vent.

C’est un petit soldat joyeux, et toi ?

 

Ce texte est extrait du recueil "Contes et fables d'une Terre presque ronde", Edilivre

 

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