A CŒUR OUVERT : le libre arbitre

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Chapitre 5

"Une matinée pour trouver de la lecture. Il reprenait son train en début d’après-midi. L’hôpital avait appelé. Rien à signaler.

Il errait piteusement dans les allées de la librairie sans savoir même ce qu’il cherchait. Il avait bien inspecté les têtes de gondoles mais il n’était tombé que sur des romans grand public, des histoires d’amour ou de truands ou d’assassins, des noms d’auteurs célèbres qu’il avait vaguement entendus parfois à la radio. Il avait regardé discrètement ce que les clients achetaient et s’était demandé à quoi servaient toutes ces étagères qui restaient oubliées. L’impression que le marché se limitait à ces fameuses têtes de gondoles. Il aurait dû demander de l’aide à un vendeur mais il ne savait même pas comment l’aborder.

« Bonjour, je cherche un livre qui me dirait pourquoi j’ai l’impression de n’être plus moi. »

Sûr que le vendeur le dirigerait vers le rayon psychiatrie.

Il continua à s’enfoncer vers les profondeurs du magasin. Cuisine, bricolage, voyages, politique, sport, histoire du monde, philosophie.

La catégorie l’interpella. C’était peut-être là. Il sortit un exemplaire au hasard.

« Les grands philosophes »

Il lut un passage. Un désastre. Dix termes inconnus en cinq lignes. Des tournures de phrases qui lui étaient incompréhensibles. Il reposa l’exemplaire et continua à avancer.

« Religions. »

Non, la religion ne répondrait pas à ses questions. Il en était persuadé. La religion apportait des réponses avant même d’écouter les questions. Il avait détesté les messes que ses parents lui avaient imposées jusqu’à son adolescence, jusqu’à ce qu’il parvienne à se rebeller.

Il continua à s’enfoncer en terre inconnue.

Une étiquette placée sur le devant d’un rayon l’arrêta.

« Développement personnel. »

Il fut surpris par l’existence d’un tel registre, il pencha la tête et lut les différents titres. Un panel de mots se constitua peu à peu.

Conscience, éveil, quête spirituelle, esprit, soi et moi, peur, souffrance, conditionnements, âme, ego, mental…

Il finit par sortir certains ouvrages, enflammé par la découverte.

Il sentait les battements de son cœur, un emballement qui le ravissait. Une machinerie qui s’affole quand le cerveau pense à la spiritualité. Il s’en amusa quelques secondes.

Il posa certains livres sur l’extrémité du présentoir et continua sa progression dans la file. Il ne connaissait aucun auteur et ne s’en étonnait pas. Il prit un peu de recul et s’aperçut que le registre qu’il consultait s’étendait sur dix bons mètres et six étagères. Il retourna rapidement à l’entrée du magasin et inspecta les livres présentés. Il ne décela aucun ouvrage susceptible d’entrer dans la catégorie du développement personnel. Une incompréhension. La cuisine, les thrillers du moment, du bricolage, les stars people qui racontaient leurs vies, les politiciens qui arrondissaient des fins de mois déjà copieuses, les derniers prix littéraires… Mais que faisait-on du cheminement intérieur ? S’il existait une telle profusion d’essais, de romans, d’autobiographies, de comptes rendus de conférences, de dialogues entre chercheurs de sens, il devait bien exister une clientèle ? Qu’y avait-il donc de plus important que cette exploration personnelle ? L’art devait-il constituer un soutien à la futilité ou aux dérives égotiques ? Lui savait où ça l’avait mené. Devait-il le crier dans le magasin ? Une colère qui gonflait, comme un gâchis à dénoncer.

Il sortit un ouvrage conséquent.

« Inconnaissance de Soi » Diane Constance, éditions du soleil levant.

Sur la quatrième de couverture, une photographie en couleur. Il hésita quelques secondes tant la surprise était de taille. Il scruta attentivement le visage. C’était bien elle.

L’épicière de la Godivelle.

Il rangea tous les livres qu’il avait sortis, fonça vers la caisse, paya et se retrouva dans la rue. Il héla un taxi et se fit ramener à l’hôtel.

Ordinateur portable, moteur de recherche : Diane Constance. Journaliste, écrivain, conférencière, de multiples participations à des revues diverses, le développement spirituel comme ligne de conduite. A vécu à Paris. Trois ouvrages :

« Inconnaissance de Soi »

« Plénitude de l’unité »

« Le voyage intérieur »

Pas d’autres informations, une photographie datant d’une dizaine d’années. Il reconnaissait un quartier de Notre Dame. Aucune explication sur son départ de Paris, ni depuis combien de temps. Il revint sur la page d’accueil du moteur de recherche et tomba sur un site personnel. « Nudité de l'âme. »

Une musique démarra. Johann Johansson. Il ne connaissait pas. Très doux, cristallin, des violons mélodieux, synthétiseur. Il ignorait tout de la musique en dehors des tubes qu’il pouvait entendre parfois à la radio.

Le poids de toutes ses ignorances culturelles devenait insupportable et il en venait à se dire qu’il n’aurait pas le temps de les combler.

Il s’appliqua à lire quelques articles.

Une sensation de chaleur intérieure.

Il observa le phénomène. Le cardiologue lui avait expliqué que les effets des émotions, les rougeurs du visage, la transpiration, les mains moites et tous les troubles associés, il en était débarrassé, et pourtant cette lecture semblait l’atteindre d’une façon profondément humaine. Il abandonna toute tentative d’explication.

Comme cette chaleur devant l'épicière. Ce désir de l'enlacer, c’était absurde, inconvenant, incompréhensible. Il bougea la tête pour sortir de sa catalepsie intérieure. Il se leva pour se servir un verre d’eau puis il reprit sa lecture. Un article paru dans une revue à visées philosophiques et qu’elle avait mis en ligne sur son site.

LE LIBRE ARBITRE

« Dans le déroulement de vie d’une personne, on peut considérer que l’éducation favorise l’émergence de trois paramètres : la culture s’impose en premier lieu, elle se renforcera dans certains domaines pour devenir une connaissance stable. Puis, dans certains cas et pour certaines personnes, viendront prendre place les convictions. D’autres individus resteront engagés dans des voies fluctuantes, au hasard des expériences et des rencontres. Ni conviction, ni connaissance mais juste un vernis culturel.

Un petit enfant africain, un petit enfant européen ou un petit enfant asiatique n’auront pas le même bagage culturel, leurs connaissances et leurs convictions seront influencées par cet environnement culturel.

Dès lors se pose le problème du libre arbitre…

   «La notion de libre arbitre, synonyme de liberté, désigne le pouvoir de choisir de façon absolue, c’est à dire d’être à l’origine de ses actes. »

Mais si nous gardons à l’esprit les influences environnementales, est-ce qu’il est possible d’envisager ce libre arbitre ?

Ne sommes-nous pas plutôt fondamentalement « enfermés » dans des fonctionnements qui nous échappent ?

Le libre arbitre ne nous est-il pas retiré au fur et à mesure de notre avancée, au fil des expériences de vie ?

Ne s’agirait-il pas davantage d’une liberté originelle à ne pas perdre ?

Un sujet qui se voudrait libre est sensé pouvoir choisir de lui-même, sans être poussé à l’avance d’un côté ou d’un autre par quelque influence ou cause que ce soit.

Si l’individu « choisit », c’est qu’il dispose de plusieurs options et surtout qu’il bénéficie d’un complet contrôle de lui-même. Il se doit d’être « vierge » de toutes influences.

Mais est-ce que c’est possible ? Ne devrait-on pas apprendre à identifier clairement la totalité de ces influences afin de s’en détacher et de pouvoir assumer dès lors l’intégralité du choix ?

La complexité des conditions de vie, les relations sociales, le poids du passé, l’intégration professionnelle, le formatage intellectuel, cette culture imposée ou cette inculture propagée ne maintiennent-ils pas, tous imbriqués, insidieusement ou intentionnellement, un détournement de l’esprit, une direction donnée ?

Les conditions objectives n’enferment-elles pas l’esprit dans un conditionnement subjectif ?

Sur quoi repose la notion de libre arbitre ? N’est-il pas simplement une certaine forme de prétention, un déni de l’enfermement ?

Est-il si évident, par exemple, que nous ayons un contrôle sur nos pensées et nos émotions ?

La plupart de nos supposées « actions », ne sont-elles pas en réalité des réactions mécaniques qui répondent à autant de facteurs intérieurs (émotions, préjugés, culture, histoire personnelle…) et extérieurs (les circonstances) que nous ne contrôlons pas ?

Et ces supposées pensées ne sont-elles pas toujours la résultante de pensées antérieures, juste la croissance entretenue des entraves ?

Le mental est fondamentalement boulimique. Comme on nous a appris à faire de lui le seul élément capable de trouver les solutions et que l’ego est sans cesse en recherche de sécurité et de maintien de son pouvoir, les pensées deviennent l’unique point de repère.

On est couché, prêt à passer une bonne nuit de sommeil, on éteint la lumière et la ronde des idées commence. L’un après l’autre, tous les soucis vont se présenter et le mental va vouloir traiter, penser, échafauder des hypothèses. Alors, on tourne, on vire, on cherche une position pour s’endormir et plus on cherche, moins on trouve. Il n’y a pas d’interrupteur interne. On va lutter contre ces pensées et simultanément en créer d’autres.

Prenons l’exemple d’un arbre au milieu d’une forêt. Bien sûr qu’il continue à pousser et à se dresser vers la lumière mais son environnement influe sur cette croissance. La proximité des autres arbres, les aléas climatiques, l’impact humain. Il n’existe pas de croissance libre mais une capacité d'adaptation plus ou moins grande.

La multitude des expériences de vie et mon environnement immédiat et même planétaire conditionnent mon évolution. Et l’ensemble de mes pensées n’est qu’un courant agité par cet environnement lui-même. Il est intéressant, par exemple, de lister les activités quotidiennes tout autant que les pensées et d'en identifier les sources. Le résultat est consternant. Nous sommes fondamentalement conditionnés.

Si je remonte encore plus loin vers la source ou vers la graine, je n’ai même pas choisi ce que je suis. Je n’ai pas choisi délibérément ma naissance. Est-il envisageable de parler de liberté innée ou d'une liberté à conquérir ?

Il ne peut s’agir à mes yeux que d’une liberté qui s’acquiert. Ou plutôt de la désintégration progressive de tout ce qui peut porter atteinte à la liberté désirée … Il n'y a pas de liberté unique ou universelle : il n'est question que de la liberté choisie de chacun, même si ces diverses libertés peuvent sembler carcérales à d'autres.

Disons qu’il n’y a aucune liberté. Mais qu’il est envisageable au fil du temps de s'en inventer une dès lors que chacun des actes et chacune des pensées les plus essentielles sont nourris par la pleine conscience. Rien de rapportée ne doit influer de façon inconsciente.

Est-ce que c'est possible ? Il convient de se poser la question.

Le fait de s'engager dans la quête de cette liberté n'est-il pas déjà en soi un acte libérateur ? Ne s'agit-il pas dès lors de s'astreindre à cette quête, sans se projeter vers un objectif final ? Le chemin n'est-il pas le but ? »

 

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