A CŒUR OUVERT : le trou dans le bois.

 

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« Diane, comment tu expliques cette impression de vide qui m’envahit parfois ? Comme si je n’étais plus là et que pourtant, j’avais pleinement conscience de la vie en moi. » 

Elle le regarda en souriant et glissa une main contre la sienne.

« J’ai écrit quelque chose là-dessus dans un de mes livres.

- J’aimerais encore mieux que tu me le racontes, lança-t-il immédiatement.

- C’est bien mon intention, mon amour. J’essaie juste de voir comment commencer, répondit-elle en posant une bise sur sa joue. Je vais essayer de ne rien oublier dans la description. C’est partie de la réflexion d’un auteur que j’aime bien. Il fait une analogie entre notre perception de notre moi et un trou dans un morceau de bois. Ce trou peut être décrit par rapport à la couleur du bois, sa forme, sa dimension, la texture du bois, la régularité du contour, etc… mais il ne s'agit réellement jamais du trou lui-même, c'est à dire du vide qui le constitue, de la qualité de l'air qui s'y trouve, en fait de tout ce qui se trouve dans l'espace même de ce trou et non de ce qui l'entoure.

- Difficile à décrire effectivement, commenta Paul.

- Les qualités du vide dans le trou sont trop abstraites pour être clairement définies et surtout nous avons l'habitude par notre conditionnement de porter notre attention vers l'environnement plutôt que vers le sujet lui-même.

- C’est ce que j’ai fait toute ma vie, Diane.

- Eh bien, c’est cette habitude qui constitue notre "moi". Notre sens d'identité personnelle est généré par notre environnement et toutes les expériences vécues dans cet environnement. Nous construisons nos schémas de pensées en fonction de nos interactions avec cet environnement, notre capacité à nous y insérer, à y prendre forme, à nous modeler en fonction de toutes les influences que nous subissons. Possessions, rôles, appartenances, croyances, statuts, sont des données rapportées au fil de l'existence et nous les érigeons en identité. Mais ce "moi" n'est qu'un ectoplasme fabriqué sur mesure, par l'individu lui-même en fonction des influences projetées par l'environnement. Il se moule en choisissant l'atelier de poterie qui répond à ses désirs ou en subissant la puissance des influences. »

Elle s’arrêta quelques secondes. Elle regardait l’horizon.

Il ne la quittait pas des yeux. Il aimait la profondeur de sa voix, il aimait ses paroles et ce regard intérieur.

« Mais tout autant que ses désirs, le moi est empli de peurs et de souffrances diverses. Même le statut de victime est identitaire et le moi s’y reconnaît tout autant que dans le bonheur.

- C’est ma vie que tu décris, Diane.

- Ton ancienne vie, » Paul.

Il lui sourit.

- Oui, tu as raison.

- Et elle était nécessaire pour que la suite du chemin se dévoile.

- Continue Diane, je ne t’interromps plus.

- Cette identité devient par conséquent son bien le plus précieux et il s'efforcera de la renforcer par des rencontres, des expériences, des situations qui valideront ces choix et le convaincront de la justesse de son raisonnement. Là, où il ne s’agit pourtant que de phénomènes inconscients. Qu'en est-il si par malheur pour lui cet environnement vient à être perturbé à un tel point que les repères s'estompent ou disparaissent ? Que reste-t-il de l'individu ? À quoi peut-il se raccrocher pour ne pas tomber dans le vide existentiel qu'il avait justement toujours évité d'explorer ? Cette conscience du vide survient avec une telle violence que tous les repères volent en éclat. Il n'y a plus de bois autour du trou. C’est le vide qui surgit. Et la peur qu’il génère. Divorce, chômage, dépression, maladie, accident, décès d'un proche, les éléments capables de ronger le bois comme des animaux xylophages sont nombreux et redoutables. Le plus souvent inattendus. Jusque-là, le moi se nourrissait de tout ce qui était le non moi et il entretenait l'image de cette identité. Si l'environnement devient une source de peur et de danger, ce vide jamais exploré n'offre aucun ancrage. C'est le néant qui apparaît, un néant aussi terrifiant que l'image que l'on a de la mort. Il ne reste rien, l'individu a disparu parce que l'environnement connu ne le maintient plus en état. Et c’est ce que j’ai vécu à la mort de Tyler.

- Et c’est ce que j’ai vécu quand mon cœur a lâché.

- Et sans doute ce vécu commun nous a-t-il rapprochés.

- Comme une reconnaissance de conscience alors ?

- Oui, Paul, c’est comme ça que je vois les choses.

- Alors que se passe-il concrètement quand tout s’est effondré ?

- C’est la possibilité pour le trou d'exister enfin. Mais le vide dans le trou ne peut pas être éprouvé dans le même champ d'expériences que l'environnement, avec les mêmes outils de compréhension. Il existe une entité immuable qui a le pouvoir de considérer ces changements sans que ces changements n'influent sur elle. C'est l'identité véritable, le Soi. Un expérimentateur qui est parvenu à se dessaisir de lui-même. C’est un état de conscience pure, dépourvu de tout contenu. Il ne s'agit pas là de s'observer dans les évènements extérieurs mais d'entrer dans un espace sans expérience et que cette observation ne devienne pas elle-même une expérience. Au risque de renvoyer l'expérimentateur face à son objet. Il s’agit d’être conscient de n'être conscient de rien en soi.

- Une conscience désidentifiée en quelque sorte.

- C’est exactement ça, Paul. Et je pense que c’est la raison de tes tourments. On peut voir ça comme un conflit intérieur entre ton mental et ses propres schémas de pensées et cette conscience.

- C’est l’âme qui contient cette conscience ?

- C’est ce que je pense.

- Et c’est l’âme libérée des chaînes du mental qui entre en conscience avec l’esprit ?

- C’est également ce que je pense. »

 

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