Alimentation et commerce mondial

Alimentation : si on court-circuitait le commerce mondial ?

 

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Jeudi dernier, la Convention citoyenne pour le climat a envoyé cinquante propositions au gouvernement pour « porter l’espoir d’un nouveau modèle de société ». Parmi elles, le groupe de travail « Se nourrir » a mis en avant le développement des circuits courts, tandis que nos responsables politiques actuels, du président de la République au ministre de l’agriculture en passant par le ministre des Affaires étrangères, parlent de plus en plus de nécessaire « autonomie alimentaire ». Alors que l’angoisse de la pénurie monte, la réflexion sur notre souveraineté alimentaire fait un grand retour. Dans #lemonded’après, faudra-t-il relocaliser notre alimentation ?

Etal de fruits produits en France Etal de fruits produits en France• Crédits : Fotostudio de Oude School - Getty

L’autre jour, alors que j’étais sortie faire des courses dites « de première nécessité » et prise d’une forte envie de fraises, je suis restée indécise devant les trois barquettes que proposait le primeur d’à côté. L’une contenait 250g de gariguettes d’Ile de France pour 5,95€. Elles sont bonnes les gariguettes, ce sont des fraises acidulées. Dans la deuxième, il y avait des fraises marocaines tout aussi alléchantes à 3,45 la barquette. La troisième comprenait 500g de grosses fraises bien rouges provenant d’Espagne, pour 6,90€. Je suis restée devant l’étal cinq bonnes minutes, puis j’ai pris les deux plus économiques. Drame de l’indécision. Mais cette perplexité m’a plongée dans des interrogations sans fin, qui m’ont conduite du locavorisme à la question de la souveraineté alimentaire...

Près de chez soi, jusqu'où ?

Le locavorisme, c’est le fait de consommer des produits fabriqués près de chez soi, souvent en circuits courts, c’est-à-dire sans intermédiaire entre moi consommateur et le producteur. Mais près de chez moi c’est jusqu’où ? Et pourquoi ce serait mieux de consommer des fraises françaises plutôt que belges, marocaines ou espagnoles ? Que nos amis les Belges ne m’en veuillent pas, mais quand même, les fraises ont un peu besoin de soleil pour pousser, ce qui est déjà une première réponse possible. Mais pourquoi pas les Espagnoles ? Pour reprendre les mots de notre site partenaire Alimentation générale, « Vaut-il mieux se nourrir principalement de ce qui est produit sur notre territoire de vie (ville, région, pays) et accessoirement de ce qui vient d’ailleurs, ou bien l’origine géographique de ce que nous mangeons est-elle, sauf exception, indifférente ? » 

Selon un récent rapport, près d’un fruit ou légume sur deux dans l’Hexagone est importé. Pourquoi la France a-t-elle fait le choix d’importer des aliments qu’elle peut produire elle-même ?

Premier élément de réponse avec le géographe Gilles Fumey : 

« Les légumes on en a, mais il faut des gens pour les ramasser, de la main d’oeuvre étrangère, qu’on ne veut pas rémunérer justement. Le modèle qui a été mis en place consiste à dire que puisque nous avons la possibilité d’exploiter des gens de l’autre côté de la frontière, faisons-le. La grande distribution a privilégié le fait d’avoir des prix bas. L’Espagne et le Maroc produisent toute l’année des produits de basse qualité dans des conditions sociales effroyables. Et sur le plan environnemental, c’est catastrophique car la tomate traverse toute l’Europe pour au final nous donner des produits de piètre qualité. »

Cuisine et dépendance : la fin d'une époque ?

Avocats du Mexique, lentilles du Canada, framboises du Portugal, tomates d’Espagne, fraises de Belgique… La manière dont nos approvisionnements dépendent des flux mondialisés n’a jamais été aussi flagrante. Est-ce à dire que la France a perdu sa souveraineté alimentaire? 

Pour Gilles Fumey : « Nous sommes plutôt interdépendants, dépendants de choses secondaires, par exemple du Brésil pour le soja, parce que nous avons fait le choix d’un élevage industriel. Des clients nous achètent des poulets élevés avec du soja brésilien en Bretagne. Quant aux productions tropicales, la France est quand même privilégiée avec ses régions d’outre-mer. Une grande partie des bananes que nous mangeons en métropole vient des Antilles, la canne à sucre vient de la Réunion… A part le café et le chocolat, tout le reste peut être produit sur le vaste territoire français. Nous avons la chance d’avoir une palette climatique riche depuis le Roussillon qui fournit des abricots jusqu'aux Flandres qui produisent des endives. »

Cette crise mondiale inédite peut être une chance de remettre tout à plat, à commencer par la manière dont nous produisons. Face à la délocalisation de la production agricole vivrière et nourricière qui s’est produite en France ces dernières années avec une déferlante de produits pas chers, certains appellent déjà de leurs voeux une relocalisation massive de notre production alimentaire

Relocaliser ?

C’est le cas de l’ancien ministre de l’Economie et du redressement productif Arnaud Montebourg, l’un des premiers à avoir parlé de « démondialisation », aujourd’hui entrepreneur, lancé dans la production de miel et d’amandes français sous la bannière Bleu Blanc Ruche, que nous avons joint : 

« La mondialisation doit être rétrécie, il ne s’agit pas de fermer les frontières, c’est à une sorte de rééquilibrage contre les excès de la mondialisation que nous devons nous atteler, nous Européens. Je suis pour la relocalisation des activités de production agricole sur le sol français, et favorable à ce qu’on mange le plus près de chez soi possible, ce qu’on a là où on est. Le mouvement des AMAP et des locavores montre qu’on peut manger très bien et très riche en consommant des produits de saison. Quel est l’intérêt d’aller chercher la nourriture loin alors qu’on peut la produire localement ? » Arnaud Montebourg

Il faudrait poser la question à ceux qui ont ratifié les accords internationaux, dont les deux derniers (entre les pays du Mercosur et l’UE, conclu en juin 2019, et le CETA, traité de libre-échange entre le Canada et l’UE, ratifié par le Parlement français en juillet 2019) ne manquent d’ailleurs pas de susciter des inquiétudes, entre arrivée sur le marché européen de produits de moins bonne qualité, concurrence déloyale et déstabilisation des filières agricoles européennes...

Mais qui dit circuits courts dit offre de saison, plus restreinte. Cela va à l’encontre de la promesse de la grande distribution et de son offre très large, tout au long de l’année. Sans parler des tarifs. L’intérêt d’aller chercher la nourriture n’est-il pas dans les gains obtenus par le commerce international en termes de quantité, de diversité et de prix, à défaut de qualité dans son assiette ? C’est un jeu d’équilibres entre circuits courts et circuits longs pour répondre à plusieurs exigences en même temps : consommer de tout, tout le temps et sans dépenser davantage, non ?

Il faut savoir ce que l’on veut, rétorque l’ancien ministre. 

« En Europe par exemple, nous sommes en compétition acharnée avec une concurrence déloyale. Il faut aller voir ces paysages couverts de plastique de la région d’Almeria ou de Huelva en Espagne où l’on fabrique les tomates et les fraises hors saison pour le nord de l’Europe : C’est un modèle anti social et anti environnemental donc condamnable. Et on n’a jamais été capable d’organiser la régulation. » Arnaud Montebourg

Reste que les tomates espagnoles coûtent (souvent) moins cher, donc. Et ce qui est valable pour les tomates l’est aussi pour mes fraises, les poireaux et les carottes, qui peuvent varier du simple au double, même si elles ont moins voyagé. Selon Yuna Chiffoleau, agronome et sociologue à l’INRAE, qui travaille sur les circuits courts, « Ce n’est pas tant le transport qui est coûteux que le coût de production. En France, ceux qui vont produire des fraises sont souvent des petites exploitations, avec des productions resserrées. »

Et de toute façon répond Arnaud Montebourg, l’augmentation des prix « doit être un objectif politique » 

« Nos revenus sont nos dépenses et le citoyen consommateur doit se reconnecter au producteur, donc accepter une remontée des prix agricoles. Dans les années 60, les Français consacraient 25 à 30% du budget à l’alimentation. Cette part est tombée à 15% aujourd’hui. Le logement occupe l’essentiel du pouvoir de vivre de nos compatriotes. Est-ce qu’un gouvernement responsable ne devrait pas assumer idée qu’il faut diminuer le coût du logement et réinvestir dans l’agriculture ? »

À quelle échelle ?

C’est là que la question de la proximité se pose. Jusqu’où doit aller ce patriotisme alimentaire ? Inclut-il l’Europe ou s’arrête-t-il aux frontières françaises ? 

Pour Gilles Fumey,foin de la dimension chauvine, le bon échelon est local, celui qui conserve le mieux la valeur nutritionnelle des aliments. Mais Bruno Parmentier expliquait à Guillaume Erner le 2 avril qu’à l’échelle nationale, l’approvisionnement en circuits courts de certains territoires est difficile: 

“Prenez la région parisienne. 12 millions de personnes mangent chacune un kilo par jour. 12 mille tonnes. 15 à 20 000 tonnes de nourriture si on compte le gâchis. C’est super d’avoir des petits poulaillers. Mais les Parisiens se rendent-ils compte qu’il faut 8 à 10 millions d’oeufs par jour pour les nourrir ? Tout ce qu’on peut faire à proximité c’est parfait, mais ce sera toujours ultra marginal dans la nourriture des grandes villes. Donc il faut absolument continuer à avoir une agriculture massivement productive ». Bruno Parmentier

Pas simple.

Une exception agricole française ?

Pour Yuna Chiffoleau, la bonne idée consiste à s’appuyer sur les territoires :

« La solution est dans la proximité : il faut diversifier les régions spécialisées, sans forcer la nature, et tisser des partenariats entre territoires pour ne pas être démuni comme nous pouvons l’être aujourd’hui. Gagner en autonomie n’implique pas de tout relocaliser. Dans le sud de la France, par exemple, ces partenariats seraient plus faciles que dans le nord, où on risquerait de réduire la part de fruits et légumes consommés. » 

Et comment financer cette relocalisation ? 

« Prenons modèle sur le cinéma français d’une taxe sur le ticket pour financer la production française, propose Arnaud Montebourg. Pourquoi ne pas faire une exception agricole française sur le modèle de l’exception culturelle et instaurer une taxe sur chaque produit importé non conforme en termes environnemental et social, afin d’en faire bénéficier des agriculteurs français dont on récompenserait le bon comportement ? » 

 

 

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