Amour et liberté

Un meurtrier ne tue pas par méchanceté mais parce qu’il aime les impulsivités qui le domine, parce qu’il aime les actes dans lesquels il se retrouve, dans lesquels il se sent exister. Sa victime n’est pas un ennemi mais l’opportunité de s’aimer davantage.

Un militaire peut tuer par amour pour sa patrie, par amour pour les ordres, par amour pour les armes, par amour pour les idées qui le conditionnent.

Les marins d’un baleinier tuent par amour pour l’argent.

Les politiciens mentent par amour du pouvoir.

Les dictateurs tuent par amour d’eux-mêmes.

 

Nos actes sont en grande partie générés par cet amour que nous nous portons. Amour pour nos idées, nos passions, nos obsessions, nos certitudes, amour de la confrontation, toujours ce désir de convaincre… Tout est porté par cet amour pour nous-mêmes.

 

Lorsque nous aimons une autre personne, ne cherchons-nous pas en priorité à recevoir ce qui nous conforte dans cet amour narcissique ? Que l’autre en vienne à ne plus apporter cette nourriture égotique et nous le repousserons. Et si l'amour est vraiment là et qu'il reste à s'en réjouir, il convient d'accepter l'idée que même celui qui aime l'autre, aime ce qu'il fait et s'aime à travers cet amour qu'il donne. Il ne s'agit nullement d'une critique ou d'une présentation qui se voudrait cynique et désabusée. Pour moi, il n'y a rien de néfaste dans cet état de fait. C'est juste une réalité.

 

Nous sommes des toxicomanes de l’amour propre. Cet amour qui nous forme, qui nous identifie, qui nous remplit, qui nous conditionne. Personne d’autre que nous n’en est responsable. Personne d'autre que nous n'est à même de travailler sur cette affliction... Encore faut-il l'admettre. 

 

L’état de la planète, l’état de l’humanité ne sont-ils pas les reflets de cet amour personnifié, individualisé, détourné ?

Nous avons appris à aimer ce que nous portons, appris à respecter les valeurs que nous avons reçues. Il ne s’agit que d’amour et nous aimons ce fonctionnement.

 

Ne devrions-nous pas apprendre à ne plus aimer ?

Cet ego qui fait qu’un industriel n’ira jamais contre son amour et sa fascination pour l’argent, le pouvoir, sa capacité à transformer la matière en valeur ajoutée, sans aucune considération pour l’équilibre ou le respect de la vie, cet amour qu’il porte et qui détruit, la solution ne serait-il pas de l’en priver ?

Mais c’est évidemment impossible… Le mal est fait et c’est pour son bien. Pourquoi s’en priverait-il ?

Alors ne devrions-nous pas apprendre à nos enfants à ne pas aimer ?

L’expression est trop effroyable…

 

Alors c’est qu’il faut aimer autrement.

Ou commencer à aimer vraiment.

Il ne s’agit pas de s’aimer soi mais d’aimer ce qui vit en soi. Et dès lors, cet amour devient universel puisque ce qui vit en soi vit de la même façon où que je sois.

L’industriel ne pourrait plus détruire ce qui est en lui.

L’enfant ne pourrait plus détruire gratuitement la vie de cette plante qu’il arrache.

L’agriculteur ne disperserait plus d’engrais chimiques au cœur de la vie qui est en lui.

Les Amérindiens connaissaient cet amour. Nous n’y avons vu que des « sauvages. » Les Aborigènes, les Inuits, les Tchouktches, les Lapons, les Mentawais, les Kogis… Nous les exterminons à travers la mondialisation car ils sont les images maintenues de notre violence et c’est insupportable à contempler.

 

Nous ne sommes que des images multiples de la vie. Nous n’existons pas individuellement autrement que sous la forme d’images. La source est commune, les gouttelettes sont innombrables.

Nous avons appris à aimer les gouttelettes jusqu’à oublier l’océan. Et chaque gouttelette, lorsqu’elle en vient à n’aimer qu’elle, porte en elle la destruction de l’océan, son assèchement.

 

Nous ne savons pas aimer parce que nous sommes enfermés dans notre amour pour nous-mêmes.

Beaucoup pensent qu'il s'agit de liberté.

 

"La vie en société me permet de vivre comme je l'entends, dans le respect des lois et ça me convient."

 

Mais il n'y a pas eu de choix. Le lieu de naissance ne nous appartient pas. Tout ce que nous connaissons dans notre début d'existence conditionne la suite, c'est inévitable. Nous nous adaptons à notre geôle originelle. Et il arrivera même un moment de l'existence où la personne sera en mesure, si tout se passe pour le mieux, de quitter ce lieu, d'aller chercher une autre terre, voir si c'est plus vert ailleurs. C'est une liberté que certains n'ont même pas. A moins de risquer sa vie.

Nous sommes donc libres, selon la majorité. 

Nous sommes libres par exemple de prendre l'avion pour aller passer les fêtes de fin d'année dans un pays exotique. Juste un exemple de tout ce que notre liberté nous autorise. Et tout est pour le mieux puisque j'en suis heureux. Cela signifie donc que notre liberté de nous comporter comme bon nous semble, dans la limite des lois, n'induit aucune restriction quand il est pourtant évident que cela porte atteinte à tous, c'est à dire à la Terre et au clan.

 

"Les Kogis ne prennent pas l'avion.

-Oui, mais ce sont des sauvages qui se contentent de leurs montagnes. Ils ne voient pas l'intérêt de voyager. 

-Si, ils voyagent, ils se déplacent même beaucoup, mais à pied.

-Ils vont à pied parce qu'ils n'ont pas les moyens de prendre l'avion. Ils ne sont pas libres de faire tout ce que nous on peut faire.

-Ils sont libres autrement."

Etc etc etc... Discussion sans fin.

 

 

Un iceberg fondu n’a pas disparu, il a juste réintégré la source.

C’est cette disparition qui nourrit notre peur. On apprend aux enfants à se lancer dans le monde comme autant de gouttelettes uniques. L’erreur est effroyable et il y a parmi eux les futurs industriels, les futurs baleiniers, les futurs financiers, les futurs politiciens, les futurs assassins, tous ceux qui vivront dans l’hallucination de leur amour pour eux-mêmes.

 

L’humanité ne connaîtra l’amour que lorsqu’elle aura disparu dans l’océan d’amour pour la vie.

Ça prendra le temps qu’il faudra. Et si l’humanité n’y parvient pas et se condamne, ça n’a aucune importance pour l’océan de vie. Son imagination est sans limite.

Il ne s'agit donc pas de ne pas s'aimer mais d'aimer ce qui vit en tout.
Dès lors il est possible et même sain de nous aimer puisque cette vie a jugé bon et sain de vivre en nous.
Au lieu d'être le point central de notre amour nous en devenons l'élément secondaire mais pourtant indispensable.
 
Aimer l'océan avant d'aimer la gouttelette. 
 

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