Au service de l'humanité

 

Un travail remarquable, essentiel.

Le bonheur aussi pour nous parce que c'est ce que Nathalie essaie de faire en échangeant des graines par la poste. Elle récolte, elle partage, et elle reçoit d'autres graines qu'elle expérimente. Et les résultats sont parfois fascinants. L'idée, c'est bien entendu de garder des graines des plantes les plus résistantes et les plus généreuses pour nous. On n'achète pas de graines. Nathalie garde celles des plants les plus vigoureux, les plus résistants à la canicule, principalement. Il est clair également qu'il faut privilégier les plants à floraison tardive. On l'a encore vu cette année. Monsanto et autre firmes du même genre n'ont aucune utilité. Tout est dans la nature. 

 

Alimentation : il conserve des graines pour éviter une famine mondiale

 

Publié le 16/04/2022 à 08h00

Écrit par Yannick Kusy (@yannkusy) Propos recueillis par Alain Fauritte

Stéphane Crozat dirige le CRBA : "Depuis que je suis tout petit, il y a deux choses qui m'intéressent : c'est l'histoire et les plantes"

Stéphane Crozat dirige le CRBA : "Depuis que je suis tout petit, il y a deux choses qui m'intéressent : c'est l'histoire et les plantes" • © Yannick Kusy

Lyon

Rhône

Auvergne-Rhône-Alpes

Ethnobotaniste et historien d'art des jardins, Stéphane Crozat dirige le Centre de ressources botanique appliquée (CRBA), situé près de Lyon. Un organisme, créé en 2008, qui travaille sur l'avenir de notre alimentation à partir de ce qui subsiste : un immense patrimoine naturel en danger.

Ce CRBA est basé à Charly, près de Lyon, au sein de la ferme Melchior, en référence à Melchior Philibert. “Un riche marchand lyonnais du 17e siècle qui a construit cette maison des champs... Une villa de plaisance, en fait, mais qui est aussi un domaine agricole.” précise Stéphane.

Le CRB s’est installé en 2019 dans ce lieu idéal de travail. “C'est un endroit vraiment important pour nous parce qu’on à la fois une mission de conservation, d'études de variétés anciennes... et c'est aussi un domaine historique. Au CRBA, il y a une partie où on travaille sur les jardins historiques, sur l'archéologie des jardins, la restauration des jardins. Cela permettait de tout rassembler dans un seul et même endroit”

Grâce au CRBA, les graines sont conservées et observées dans leur diversité

Grâce au CRBA, les graines sont conservées et observées dans leur diversité • © france tv

La vocation de ce Centre est multiple. “ Au tout début, c'était vraiment d’étudier notre patrimoine horticole agricole lyonnais. Dans la seconde moitié du 19e siècle, il y avait vraiment la création de dizaines de milliers de variétés de fruits, légumes, fleurs de céréales. On a voulu les retrouver et les conserver.”

Puis les choses ont progressé. “On a aussi voulu valoriser ces variétés. Qu'est-ce qu'on en fait ? A quoi elles servent ? Et du coup, on a créé une station d'expérimentation agronomique. Et puis on a aussi créé une ferme dans laquelle on étudie ces variétés, aussi bien lyonnaises que des variétés qui viennent d’un petit peu partout dans le monde entier.”

Dans la seconde moitié du 19e siècle, il y avait vraiment la création de dizaines de milliers de variétés de fruits, légumes, fleurs de céréales. On a voulu les retrouver et les conserver

Il y a quelques années, Stéphane a rappelé, dans un ouvrage intitulé “fleurs, fruits, légumes l'épopée lyonnaise” que Lyon a été le centre du monde en matière d'horticulture jusqu'à la Première Guerre mondiale. “Absolument. C'était vraiment très important. 70% des roses mondiales, dans la seconde moitié du 19e siècle, viennent de cette région. Ce n'est pas anecdotique mais c'est aussi des dizaines de milliers de variétés de fleurs, des céréales, des légumes, des fruits... Par exemple, on a listé à peu près 300 variétés de pommes, de poires de prunes, de pêches, etc... créés dans la région. On en a déjà retrouvé à peu près 120” détaille l’expert.

Lyon était donc le centre du monde à cette époque-là. “Cela commence au 16è siècle, en fait. Toute cette histoire où Lyon est vraiment un grand carrefour - on le dit encore aujourd'hui...la confluence-. Grâce à ces gens qui viennent de toute l'Europe pour construire cette ville, comme les italiens, les flamands, les Allemands, les Espagnols... Chacun arrive avec ses graines, ses artistes, ses architectes, enfin tous ces savoirs européens.” Il donne des exemples : “La fameuse gastronomie lyonnaise est internationale au départ. Elle vient de cette période et les végétaux qui vont avec. Pour pouvoir cuisiner, manger, on a eu besoin de ces végétaux.”

Confrontés aux défis du dérèglement climatique

Aujourd'hui, le défi qui s’annonce consiste à d'adapter nos cultures au changement climatique. “On ne sait pas très bien où on va. C'est vrai qu'on parle souvent de réchauffement climatique mais, on le voit concrètement dans notre quotidien, ce n'est pas que du chaud. C'est vraiment un dérèglement climatique ” s’inquiète Stéphane Crozat. "Si on prend, par exemple, l'hiver... on a eu un hiver très doux, les végétaux ont démarré très tôt puis, on a vécu un gros coup de gel et hop, voilà le problème.”

La question est de trouver comment s’adapter à l’avenir. “Pour des fruitiers, ça peut consister à choisir des variétés tardives. On va chercher, notamment, pour les légumes ou les céréales, des végétaux dont les variétés vont avoir un cycle le plus court possible. Il y a de plus en plus d'aléas. De la grêle, de la sécheresse, les inondations, etc... Il faut passer entre les gouttes, si j'ose dire, et du coup on va devoir chercher les variétés qui s'adaptent ” répond le spécialiste.

Croiser génétiquement les espèces ou laisser faire la nature

S’adapter passera-t-il par des modifications génétiques ou des croisements d’espèces ? ”Ce n'est pas du tout caricatural. Il faut vraiment prendre conscience du fait qu’aujourd'hui il y a ces deux tendances au niveau mondial. Il y a ceux qui pensent que les croisements génétiques, la création variétale, les OGM notamment, vont permettre de nous nourrir et vont révolutionner le monde. Et puis il y a ceux -dont nous sommes- qui pensent plutôt qu’il y a déjà les ressources. On peut continuer de créer des variétés évidemment. Après, c’est toujours un problème de technique. Qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'on met, etc.…”

Il esquisse quelques pistes. “De toute façon quand on crée une nouvelle variété, la ressource vient de quelque part. Cela vient de végétaux qui existaient déjà. On va chercher les qualités chez des végétaux plus anciens. D'où l'intérêt de les connaître et de les conserver. Et, éventuellement, on peut en créer pour un certain nombre de raisons, et notamment pour essayer de de s'adapter”

Depuis 10 000 ans que l'agriculture existe, l'homme a toujours sélectionné les meilleures variétés

L’une des options consisterait à donner tous les pouvoirs à des multinationales, telles que Bayer ou Monsanto, qui auraient, de fait, une mainmise sur l'alimentation de la planète. L’autre possibilité se résume à faire confiance à la nature et au savoir-faire de l'homme qui, lui, peut produire des plantes qui feront face aux aléas climatiques. "Dites-vous que, depuis 10 000 ans que l'agriculture existe, l'homme a toujours sélectionné les meilleures variétés, celles qui lui convenaient le mieux. Et tout ça était dans la main des paysans.” rappelle Stéphane. “A partir du 20e siècle, c'est la standardisation, et l'industrialisation. Donc on a enlevé ça des mains des agriculteurs pour le confier à des multinationales. Aujourd'hui, peut-être qu'il va falloir rendre ces variétés aux agriculteurs tout simplement.”

Anticiper un risque de pandémie sur le végétal

De nos jours, 15 espèces de plantes fournissent 90% des ressources alimentaires de la planète. Ce qui signifie que, si elles s'adaptent difficilement à l'évolution du climat, les problèmes commencent. “Oui et c'est, potentiellement, des risques de famine. Regardez : le riz, le maïs, la pomme de terre, le blé, le soja, voilà... on a à peu près fait le tour, déjà, de ce qui nourrit l'immense majorité de la population. On a standardisé de plus en plus. Donc on a diminué le nombre de variétés. Imaginez une pandémie du végétal...”

Comment s'y préparer ? “C'est l'importance même de la conservation de cette biodiversité, de son entretien, de son utilisation quotidienne dans vos assiettes. Plus vous avez de diversité et plus vous avez de solutions possibles. Plus vous avez de possibilités de vous adapter.”

On voit effectivement des variétés de pastèques, de melons, etc.… qui poussent par 50 degrés

On peut trouver des plantes qui s'adapteront à ces changements climatiques dans l'immense richesse des végétaux qui existent encore, où qui ont existé sur la planète. On trouve, par exemple, en Arménie, des melons et des pastèques qui poussent dans des températures de 50 degrés. “Certaines de nos variétés locales vont s'adapter, mais d'autres pas. Au-delà, on va faire comme les gens ont toujours fait. Je disais tout à l'heure qu’au 16ème siècle, les gens amenaient leurs végétaux de partout et que c'est comme ça qu'ils ont créé les variétés locales. Il faut continuer ce mouvement.”

Ce qui implique des recherches sur le terrain “ On conduit des expéditions botaniques où on va chercher ces végétaux dans des régions spécifiques. On est allés, par exemple, dans une des stations de l'institut Vavilov, de Saint-Pétersbourg, qui est la plus ancienne banque de semences mondiale, au Daguestan. Là-bas, l'amplitude thermique, c'est moins -20 à +53 degrés. Et on voit effectivement des variétés de pastèques, de melons, etc.… qui poussent par 50 degrés. Ici, on n'a pas du tout ce type de variétés là. Donc on les introduit, on les étudie, et on voit ce que ça donne.”

Nikolaï Vavilov, botaniste et généticien russe

Nikolaï Vavilov, botaniste et généticien russe • © france tv

L’Institut Vavilov doit son nom à Nikolaï Vavilov, botaniste et généticien russe qui a effectué 115 expéditions dans 64 pays du monde pour constituer une collection extraordinaire. Elle constitue aujourd’hui la 4ème banque de semences du monde. "Déjà, dans les années 1920/1930, Nicolas Vavilov, qui est un des pères de la génétique mondiale, a eu cette idée. Il fallait identifier ce qu'on appelle les centres de primo-domestication des plantes. C'est à dire l'endroit où l'homme a domestiqué, pour la première fois, le blé, le soja, le maïs, la pomme de terre. Lors de ses expéditions, il est allé collecter ces variétés parce qu’il avait conscience, déjà, que, à l'état sauvage, les plantes résistent à tout. Elles n'ont pas de maladie. On ne les traite pas et elle se débrouillent toute seules. Elles résistent à leur environnement.”

Vavilov est donc allé chercher cette diversité. “Il s'est dit que c’était la clé pour nourrir son pays, à l'époque. Alors il est allé chercher ces variétés un peu partout et elles existent encore effectivement. 80% ne sont là que parce qu'elles ont été collectées avant la seconde guerre mondiale. Soit avant l'industrialisation de l'agriculture. Et avant que quiconque ne se mette à créer ces banques de semences au monde” raconte le spécialiste.

L'immense héritage de Vavilov

Ces semences très anciennes peuvent toujours être utilisées. “Bien sûr. Elles sont multipliées régulièrement. Mais elles sont aussi conservées de différentes manières. En congélation, par exemple, vous pouvez garder les graines entre 50 et 70 ans. Si on reprend l'exemple de l'institut Vavilov, il y a aussi la cryogénisation à l’azote liquide (-196°) qui permet de conserver des pollens ou des greffons pour des durées beaucoup plus longues encore. Cela permet les avoir et de les ressortir en cas de besoin” explique Stéphane Crozat.

Pour l'anecdote, Vavilov, qui voulait sauver les hommes de la faim, est finalement décédé au Goulag, sous Staline, en 1943. Son institut est toujours dans une situation fragile Elle comprend 12 stations dans le monde et une seule hors de Russie. C’est celle dirigée par Stéphane. "L'idée, c'était vraiment de s'inspirer de ces stations et du travail de Vavilov en Russie. Aujourd'hui à Lyon, on va étudier nos variétés, les caractériser, déterminer si elles sont grandes, petites, résistantes aux maladies, à la sécheresse... Si elles ont bon goût ou de bonnes qualités nutritionnelles.”

Les critères pris en compte sont ceux de l'industrie et de la transformation. Jamais l'agriculteur seul, ou le consommateur. Jamais vous et moi.

La mission ne s’arrête pas là. "On fait cette sélection de façon participative avec l'ensemble des utilisateurs. Le consommateur, bien sûr, des chefs cuisiniers, des transformateurs, etc. Il faut savoir que la plupart des variétés que vous trouvez dans vos supermarchés aujourd'hui ont été créées par les grands semenciers dont on parlait tout à l'heure. Et les critères pris en compte sont ceux de l'industrie et de la transformation. Jamais l'agriculteur seul, ou le consommateur. Jamais vous et moi.”

Ce qui signifie que l’on privilégie la facilité à les conserver ou les transporter et pas prioritairement leur qualité gustative. “Donc on cherche à vraiment développer ça. Donc on va faire une sélection avec les gens qui les utilisent. On va les tester, les goûter. Faire un travail sur des variétés qui, finalement, ne plaisent pas aux consommateurs, c'est un peu dommage. Et, enfin, on fait des analyses des qualités nutritionnelles, en laboratoire, pour voir, par exemple, les taux de vitamines, de protéines, etc. Quelles sont les variétés qui développent le plus d'intérêt.”

Il précise : “Vous savez aujourd'hui que, par exemple pour les protéines, on va devoir de plus en plus se passer ldes protéines animales parce que c'est très consommateur d'eau, c'est polluant etc. On va chercher ces protéines dans les végétaux donc on fait des analyses pour savoir quelles sont les variétés qui ont le plus de protéines.”

durée de la vidéo : 01min 27

Stéphane Crozat répond à la question fort minable • ©france tv

Le parcours de Stéphane Croizat parle pour lui et explique sans doute ses convictions. Lycée agricole de Brioude, licence d'histoire de l'art et d'archéologie à Clermont-Ferrand, maîtrise de langues “histoire civilisation du monde entier” option archéologie, école d'architecture option jardin botanique et paysage à Versailles... Stéphane est passé par le CNRS où il était chargé d'études.

Un profil impressionnant, empreint de modestie. “Je ne sais pas... Depuis que je suis tout petit, il y a deux choses qui m'intéressent : c'est l'histoire et les plantes. J’ai toujours suivi ma passion et, petit à petit, je suis allé vers ces différents domaines. Je me suis rendu compte que je pouvais rassembler tout ça dans l’ethnobotanique. A partir de ça, une fois qu'on a commencé à retrouver ces végétaux, on s'est dit que ce n’était pas possible de les laisser s'en aller. On a donc créé le CRBA.” résume-t-il simplement.

Chacun peut cultiver sa variété de semences

D'une passion, Stéphane a donc créé un organisme qui est en train de rendre service à la population, et qui nous sauvera peut-être un jour de la famine. Il propose également aux particuliers d'adopter des graines pour les faire pousser "C’est une démarche participative. On travaille sur du vivant. Et donc il faut continuer à le faire vivre. L'objectif, c'est de faire connaître ce travail, d'expliquer à chacun. Et chacun peut faire des choses. Notamment, si vous avez un jardin, vous pouvez nous aider à multiplier ces variétés. On vous confie une variété -pas plus parce que sinon ça peut être un peu compliqué- vous cultivez ces graines... on vous forme et les graines sont ensuite données gratuitement. Et ensuite les gens nous rendent ces graines. Cela nous permet d'en distribuer à d'autres et aussi aux agriculteurs.” Avec Cette initiative, chacun peut ainsi planter sa petite graine... et c'est comme cela qu'on fait des grandes forêts.

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