Crépuscule des Dieux

 

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Voilà trois ans maintenant, ma mère a été victime de deux AVC consécutifs.

Elle en a réchappé mais en a gardé des troubles cognitifs spatio-temporels, sa mémoire immédiate s'est effacée puis au fil du temps, même les souvenirs plus anciens ont commencé à se diluer.

On n'imagine pas comme une déficience de mémoire immédiate représente un handicap lourd, très lourd...

Mon père s'est épuisé. Comme bien souvent quand on adopte le rôle d'aidant.

J'ai mis en place toutes les aides possibles, portage de repas, ménage, infirmiers à domicile, suivi des rendez-vous médicaux, prendre en charge toutes les démarches administratives, devenir référent, gérer le courrier, les impôts, les caisses de retraite, l'assurance, la mutuelle, les factures, la banque, etc etc..

J'ai vu mon père dépérir, mois après mois, perdre son énergie, devenir de plus en plus fragile.

Il se perdait en voiture et a fini par ne plus pouvoir conduire.

Puis ils ont fini par se perdre en allant marcher autour de chez eux. 

Puis, à son tour, en juillet dernier, mon père a été victime d'un AVC.

Dégringolade.

Mon père actif, énergique, travailleur, organisé, s'est retrouvé perdu, désorienté, privé de son autonomie.

Ma mère tenaillée par une angoisse constante devant l'état de son mari, une angoisse qui obscurcissait les jours.

Le chemin a été long, douloureux, chaotique mais ils ont désormais intégré une résidence seniors.

Suspicion d'Alzheimer pour ma mère et démence sénile pour mon père.

Le diagnostic était sans appel. Ils ne pouvaient plus rester dans leur maison. Ils étaient en danger.

Depuis trois ans, je me retrouve à prendre des décisions majeures pour mes parents.

On ne nous apprend pas à être parents, on le découvre quand le bébé s'annonce.

On ne nous apprend pas non plus à devenir parent de nos parents.

Je fais de mon mieux mais les questionnements sont constants.

Le « syndrome du glissement », un phénomène connu qui touche particulièrement les personnes âgées qui doivent quitter leur lieu de vie. Même si cela se fait pour leur bien, pour les protéger, pour les accompagner dans la vieillesse, il n'en reste pas moins que pour certains, cette rupture est trop lourde et engage un processus de dégradation. Processus fatal.

Bien sûr qu'on préfère envisager du mieux, un apaisement dans la vie quotidienne, une sérénité retrouvée mais rien n'est jamais certain.

Et il faut vivre avec ça.

Avec cette incertitude. Avec l'idée qu'il est impossible de présager de la suite et que les décisions prises auront peut-être un effet contraire à celui escompté.

Je viens donc de déménager mes parents en gardant le maximum de meubles, en reconstituant au mieux l'intérieur de la maison qu'ils quittaient, en recréant les repères.

Ils sont en Bretagne et je vis dans la Creuse. Ils ne veulent pas quitter la mer. Ils veulent être incinérés et que leurs cendres soient dispersées là où celles de mon frère ont été immergées il y a vingt-six ans.

La vieillesse est un chemin de croix et je me dois de les soulager dans cette douloureuse montée vers Là-Haut. Par amour, par respect, parce que je connais leur parcours, parce que je connais les drames qui les ont frappés dans leur enfance, dans leur adolescence, dans leurs années de jeunes adultes puis dans leur vie de parents. 

Crépuscule des Dieux. Les Dieux de mon existence puisqu'ils m'ont donné vie.

 

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Commentaires

  • Thierry LEDRU
    • 1. Thierry LEDRU Le 08/10/2021
    Laura, mes parents ne sont pas dans un ehpad mais dans une "résidence senior", c'est à dire ouverte. Ils peuvent sortir comme ils le veulent. J'ai cherché pendant des mois et j'ai fini par trouver... Ils ont un T2. 2700 euros par mois avec les repas mais pas le petit déjeuner. J'ai donc aménagé un coin cuisine. Le magasin pour les courses est à cent mètres. Et c'était primordial au vu des troubles de la désorientation. J'ai mis en place une aide à domicile deux fois par semaine. La résidence est communale, gérée par le CCAS de Carnac et ce sont des intervenantes de cet organisme. Il y a des activités , des sorties organisées, des intervenants extérieurs. J'ai reconstitué au mieux l'intérieur de leur maison pour qu'ils retrouvent leurs repères. Le logement était vide et c'est ce que je voulais. Je ne voulais pas d'un ameublement impersonnel. Mais j'ai sacrément galéré pour regrouper tous ces éléments. Il y a un manque cruel de places...
  • Laura Millaud
    Je suis d'accord, vivre dans un EHPAD n'est pas la vie, juste une anti-chambre de la mort, ils vivotent, survivent . c'est très triste. Et une fois qu'ils sont là-bas, tu ne "maitrises" plus rien. Pas les traitements, pas les examens. Ils décident de ce qu'ils veulent et te tiennent au courant, au mieux apres coup, ou pas du tout.
    sont-ils dans la meme chambre ?

    Laura
  • Thierry LEDRU
    • 3. Thierry LEDRU Le 05/10/2021
    Bonjour Laura
    Oui, c'est une période difficile. Quelque chose qu'on n'imagine pas et dont on ne prend conscience qu'au moment où ça arrive. Bien que j'ai essayé depuis trois ans de les prévenir, d'anticiper, de prévoir ce nécessaire bouleversement, il m'était impossible de les obliger. Alors j'ai attendu en organisant tout ce que je pouvais pour les soulager. L'idée de quitter leur maison leur était insupportable. Tout comme il leur est impossible de quitter la Bretagne, ce qui complique sérieusement les choses. A 550 km de distance, il y a beaucoup de paramètres que je ne peux pas régler. Je fais avec. Ce que j'ai découvert depuis trois ans, c'est que le pays manque considérablement de places dans les structures d'accueil. Tout autant que de personnel. Les gens qui travaillent dans ces structures devraient avoir des salaires bien plus conséquents au vu de l'immensité de la tâche qui leur incombe. Le service à la personne n'est pas reconnu à sa juste valeur. Et ce sont nos "Anciens" qui en subissent les conséquences. Que l'espérance de vie ait été prolongée, on pourrait s'en réjouir. Mais de quelle vie s'agit-il ? Au regard de tout ça, je ne me souhaite aucunement de durer trop longtemps.
  • Laura Millaud
    Oui, c'est terrible d’être obligés de mettre ses parents en EHPAD ! J'ai connu cette situation pour mon pere et ma belle-mère, c'est affreusement triste ! bon courage !
    Laura

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