De l'intellect à la matière

Je l'ai déjà écrit, il y a quelques temps. J'ai pleinement conscience que le contenu de ce blog a fortement changé au fil du temps. Entre les textes écrits en 2009, les thèmes abordés, les réflexions, la dimension spirituelle et ce qui occupe désormais mes pensées, la marge est importante. Au premier abord. Mais finalement, la dimension spirituelle et tout ce qu'elle implique comme évolution intérieure, il faut bien, à un moment, qu'elle prenne forme dans la réalité matérielle. Depuis bien longtemps, je m'attache à identifier ce qui relève de la liberté ou du conditionnement, du libre arbitre ou du déterminisme, de la lucidité individuelle ou du formatage social. Il m'importait de pouvoir juger de ma capacité à prendre des décisions réfléchies et non de subir aveuglément des influences multiples. La tâche est immense et bien souvent le constat n'est pas reluisant. 

 

J'avais écrit ce texte en 2012.

Rien n'a changé.

Nous sommes venus vivre dans le département de la Creuse en réaction à divers phénomènes, pour répondre à de multiples paramètres qui nous sont devenus incontournables. Nous avons quitté les montagnes et il y a dix ans en arrière, cette idée nous aurait paru totalement impensable. Il n'y a donc pas une décision libre mais une volonté de préserver notre liberté de vivre comme nous le souhaitons. Nous réagissons à des phénomènes et nous agissons a posteriori .

Notre choix n'est pas issu de rien. C'est le propre de l'humain finalement. La liberté prend forme dès lors que l'action qui s'impose peut être menée à son terme, dans toute son étendue, sans aucune retenue, sans aucun compromis, sans aucun abandon. L'absence totale de liberté, c'est de ne rien pouvoir changer. 

Nous avons donc le privilège de pouvoir réagir en toute liberté à nos conditions d'enfermement. Et c'est ce qui nous rend partiellement libres. Maintenant que nous avons trouvé le lieu qui nous convient, il nous reste à l'aménager pour répondre pleinement à notre choix. 

De la démarche spirituelle, nous entrons dans la démarche matérielle, dans l'action, dans le travail, dans l'engagement physique. Et c'est là que la liberté trouve son second souffle, un déploiement qui sort du cadre intellectuel, une mise en oeuvre qui se doit d'être explorée. 

Le choix de se croire libre

"Je ne crois pas un seul instant à une quelconque liberté. Tout est l'effet des causes initiales. Si je regarde les enchaînements de mon existence, je finis toujours par trouver une cause première. Mes choix n'ont été que des réactions et non des actions. Je sais pourquoi je suis devenu instituteur, je sais pourquoi j'aime la montagne, je sais pourquoi j'aime la solitude, pourquoi j'écris... Rien ne s'est fait "librement" mais parce qu'il y avait initialement un évènement qui m'amenait à réagir. Je pourrais convenir pour me rassurer qu'il y a tout de même une décision prise de ma part et qu'il y en avait sans doute une autre d'envisageable. Mais la source reste la même. Rien ne vient de rien.

Je pourrais choisir d'arrêter d'écrire cet article et de fermer l'ordinateur pour me prouver que j'ai un pouvoir décisionnel. Je regretterai certainement dans peu de temps ce caprice prétentieux et je reviendrai m'asseoir en me maudissant d'avoir perdu ce que j'avais déjà écrit. Je "dois" écrire ce que je porte. Je sais pourquoi je dois l'écrire, j'en ai déjà parlé.

Cette illusion du choix s'établit dans les contingences de la vie quotidienne. C'est certain mais c'est si insignifiant que ça n'a aucun intérêt. Je vais choisir une nouvelle tapisserie. Ouah, formidable...Ou acheter un smartphone, ouah, trop bien ! Ah, non, finalement, là je ne l'ai pas choisi, je n'en avais pas besoin, je n'ai fait que succomber à une pression médiatique et encore une fois prétentieuse. "Moi, j'ai un smartphone" !! (Je ne sais d'ailleurs même pas à quoi ça sert...) Ah, et puis, je pourrais changer de voiture aussi, là, il y a du choix. C'est important le choix d'une voiture ! Elles ont bien toutes quatre roues, un moteur et une caisse mais quand même il y en a qui sont mieux que d'autres et je serais tellement heureux de rouler dans une voiture qui me plaît. Oui, bon, ok , c'est ridicule, je sais...

Je pourrais même choisir de changer de femme. Celle-là est vraiment trop nulle. Et d'ailleurs, je ne sais même pas pourquoi j'en suis arrivé à l'aimer et à avoir des enfants avec elle. Mais des femmes, il y en a tellement, c'est comme les voitures, il y a du choix...Quand je vois ce qui existe dans les revues que je lis...Non, pas les revues de bagnole, les revues avec de belles femmes ! Celle du cinéma par exemple, c'est extraordinaire comme elles sont belles au cinéma. Ah, oui, là c'est vrai, je me fais un film. J'en finis même par ne plus voir la réalité de ma femme...

Liberté du choix...Quelle fumisterie. Il faudrait déjà exister intérieurement pour pouvoir prétendre faire un choix. Car enfin, qui choisit ? Qui est là pour choisir ? Un individu lucide, conscient, éveillé ou une machine qui se remplit de carburant pour croire qu'elle avance par elle-même ? Qui lui donne ce carburant ? Les autres ? Des individus endormis qui fonctionnent avec le même carburant ? Ah, non, ceux-là sont propriétaires des pompes à carburant. Mais ils sont tout aussi endormis. C'est juste qu'ils ont appris à en profiter davantage et à se servir de ceux qui restent juste attachés à ce désir immodéré de remettre sans cesse du carburant. Hiérachie dans le sommeil et dans les addictions. Il y a les dealers camés et les camés tout court.

Le choix de se croire libre est par conséquent une auto mutilation. Je coupe en moi le lien qui me rattachait à mon âme et je "décide" de me soumettre à mon mental. Ca n'est évidemment pas une décision réfléchie mais juste un abandon par conditionnements. C'est pour cela qu'il faut bénir les drames. Ils sont la plupart du temps les seuls évènements susceptibles de réveiller les individus. Il y aura toujours ceux qui regretteront infiniment le temps du grand sommeil et de la multiplicité des pompes à carburant. Bon, tant pis. Peut-être ont-ils besoin de revenir pour un autre passage...Va savoir.

Et puis, il y a ceux ou celles qui ne peuvent plus dormir. Parfois même réellement. Ils vont aller marcher pendant des jours et des nuits. Mûs par une énergie inconnue qui les brûle intérieurement.

Il y a aussi ceux ou celles qui vont s'apitoyer en disant qu'il n'y a rien à faire, "que c'est comme ça ma pauvre dame, que la vie est dure, ah la la, pensez donc, il n'était pas bien vieux encore, partir comme ça, si vite alors qu'il allait être grand-père, c'est vraiment trop dur, et vous avez vu sa pauvre Ginette comme elle a l'air de s'en fiche, vraiment quelle honte."

Bon, on connaît...Et puis quand ça leur tombe dessus et bien ces personnes-là seront des victimes parfaites, elles tiendront leur rôle à la perfection, avec un professionalisme indéniable, comme si elles avaient attendu ça toute leur vie, LE grand rôle. "C'est comme ça, que voulez-vous, mais je suis courageux, je ne me plains pas même si je dois aller chez le docteur trois fois par semaine et deux visites à l'hôpital et que personne ne me fait les courses, mes enfants ne viennent même pas, vous vous rendez compte, avec tout ce que j'ai fait pour eux, mais bon, je ne me plains pas, c'est dur mais je peux y arriver même si avec l'hiver qui arrive, je sais que les journées seront longues tout seul et patati patata...Pas le choix, c'est comme ça ma pauvre dame, c'est même Dieu qui l'a voulu mais je vais à la messe quand même. Y'a rien d'autre à faire."

Bon, là, effectivement, l'absence de choix est vécu comme une opportunité. Pas question d'aller voir à l'intérieur ce qui se passe. L'environnement occupe toute l'énergie dépensée.

Et alors, qu'en est-il de cette liberté existentielle ?

On a donc les endormis qui se gavent de carburant. Liberté existentielle : néant.

On a aussi les victimes qui adorent leur statut de victimes. Liberté existentielle : néant.

On a aussi les traumatisés qui ne cherchent pas à se plaindre parce qu'ils ont basculé dans un espace qu'ils ne connaissaient pas et qui se révèlent absolument fabuleux. Liberté existentielle : en cours d'apprentissage.

Ces derniers possèdent-ils un libre arbitre ? Non, bien entendu étant donné que leur évolution est dictée par un évènement indépendant de leur volonté. Mais il y a une différence essentielle. ILS LE SAVENT.

 

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